L’accolade de Mgr Negri à Benoît XVI
San Marino, 19 juin 2011

Il a tiré sa révérence le 31 décembre dernier, à 80 ans (voir l’article de Riccardo Cascioli). Je lui ai consacré de nombreux articles sur ce site, au moins depuis le voyage de Benoît XVI en Terre-Sainte, en 2009, et je ne veux pas lui faire manquer cet hommage, même trop tardif. Je dois au disciple de don Giussiani (fondateur de Communion & Libération), ex-évêque de San Marino, ensuite nommé par Benoît XVI Archevêque de Ferrara avant que François n’accepte précipitamment sa démission pour raison d’âge (une procédure automatique mais rarement suivie d’effet immédiat) l’un des plus beaux souvenirs que je conserve du Pontificat bénédictin: la visite du Saint-Père à San Marino, le 19 juin 2011 (voir la page spéciale de mon blog: benoit-et-moi.fr/2011-II).

Le 4 mai suivant, il était reçu en audience privée par le Pape et il s’était empressé de partager sa joie avec ses ouailles dans une lettre pastorale très touchante ICI.

Après la renonciation du funeste 11 février 2013, le bon prélat, défenseur infatigable de la vie (il était un participant assidu de la Marche pour la vie organisée chaque année à Rome), soutien sans faille de Benoît XVI, était tombé sous les fourches caudines de la censure du « nouveau clergé » politiquement correct.

Et en 2017, à la veille de son départ de San Marino, il avait accordé une interview « tonitruante » au quotidien local de Rimini, que j’avais traduite à l’époque, et qu’il vaut la peine de relire pour comprendre son excommunication médiatique… et bergoglienne:


Une interview tonitruante de Mgr Negri

L’évêque de Ferrare use de la liberté de ton que lui concède son départ prochain (les 75 ans canoniques à peine révolus!) pour parler sans langue de bois des dubia, de la situation de l’Eglise, et surtout de la démission de Benoît XVI (6/3/2017)

Dans un article récent, Riccardo Cascioli évoquait le prochain départ de Mgr Negri du diocèse qu’il dirige depuis 4 ans, et où il avait été nommé par Benoît XVI, comme d’un effet de la miséricorde bergoglienne (cf. Prélats en disgrâce).
A la veille de ce départ, Mgr Negri a accordé une interview au quotidien en ligne de Rimini et Saint-Marin, son précédent diocèse. Il s’exprime sur de nombreux sujets. J’ai traduit la partie qui intéresse plus particulièrement les lecteurs français.

«GRAVES RESPONSABILITÉS À L’INTÉRIEUR ET À L’EXTÉRIEUR DU VATICAN POUR LA DÉMISSION DE BENOÎT XVI».
MGR NEGRI PARLE.
«MA « FIN DU MONDE » PERSONNELLE S’APPROCHE ET LA PREMIÈRE QUESTION QUE J’ADRESSERAI À SAINT PIERRE SERA SUR CETTE AFFAIRE»

www.riminiduepuntozero.it
6 mars 2017

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«Benoît XVI a subi des pressions énormes», explique l’évêque qui a commencé son ministère épiscopal dans le diocèse de Saint-Marin et Montefeltro et qui est en train de le conclure à Ferrare. Avec lui, «je me suis senti chez moi». Le présent de l’Église est marquée par «beaucoup de confusion dans une grande partie du monde ecclésial» et les antipapistes d’autrefois sont devenus hyperpapistes parce que cela les arrange. Mais Negri parle aussi de la famille, du risque que court la démocratie en Italie pour la criminalisation des opinions qui ne sont pas « mainstream », de Communion et Libération, et de beaucoup d’autres choses.

La rencontre avec Mgr Luigi Negri a lieu au siège de l’archidiocèse de Ferrare et Comacchio, le jour où il célèbre quatre ans depuis sa nomination comme évêque. «Quatre années magnifiques et épuisantes», explique Negri qui, ayant atteint l’âge de 75 ans, laissera le 3 Juin prochain la direction du diocèse de Ferrare à Mgr Giancarlo Perego.
Une cérémonie qu’il serait exagéré de qualifier de sobre: un verre d’eau, une bougie sur une pâtisserie salée, deux mots échangés avec ses collaborateurs.

– Mgr Negri, une curiosité de profane absolu: un prêtre peut-il prendre sa retraite? Si c’est une mission, pas un travail, comment peut-on dire à quelqu’un « à présent, ça suffit »?

«On ne peut pas le dire, et en effet, je vais continuer à travailler. Tout au plus, on peut me dire que je ne suis plus à la tête opérationnelle du diocèse de Ferrare et Comacchio que j’ai accepté avec humilité et esprit de service à la demande de Benoît XVI. Mais je reste archevêque émérite, je ne perds pas la responsabilité de diriger les catholiques, ce que je ferai certainement, bien qu’avec d’autres modalités. Je vais me dédier sutout au côté culturel. Je vais essayer de porter un discours de sensibilisation, en ligne avec la tradition catholique. Je vais essayer de mettre pleinement en œuvre cet engagement avec une grande liberté, réconfortée par de nombreux amis influents».

– Votre grande relation avec le Pape émérite Benoît XVI est bien connue…

«Au cours des 4 dernières années, j’ai rencontré Benoît XVI à plusieurs reprises. C’est lui qui m’a demandé de guider le diocèse de Ferrara, très inquiet à cause de la situation dans laquelle le diocèse versait. Avec Benoît est né un rapport de forte amitié. Je me suis toujours tourné vers lui dans les moments les plus importants pour discuter des choix à faire et il ne m’a jamais refusé son opinion, toujours dans un esprit d’amitié».

– Compte tenu de cette relation, vous êtes-vous fait une opinion sur la raison pour laquelle Benoît XVI a renoncé à la papauté, un geste dramatique de l’histoire millénaire de l’Eglise?

«Ce fut un geste sans précédent. Dans les dernières rencontres, je l’ai vu physiquement fragilisé, mais extrêmement lucide dans sa pensée. J’ai peu de connaissances – heureusement – des faits de la Curie romaine, mais je suis certain qu’un jour émergeront de lourdes responsabilités à l’intérieur et à l’ extérieur du Vatican. Benoît XVI a subi des pressions énormes. Ce n’est pas un hasard si en Amérique, également sur la base de ce qui a été publié par Wikileaks, certains groupes catholiques ont demandé au président Trump d’ouvrir une commission d’enquête afin de déterminer si l’administration de Barack Obama a fait pression sur Benoît. Cela reste pour l’instant un mystère très grave, mais je suis sûr que les responsabilités sortiront. Je m’approche de ma propre « fin du monde » et la première question que j’adresserai à saint Pierre sera justement sur cette histoire».

– Après la « renonciation » de Benoît, on a assisté à un tournant dans l’Eglise. C’est un fait que le pontificat de François est au centre de discussions. D’un côté, peut-être historiquement éloigné de l’Eglise, on assiste à une célébration du nouveau pape, des milieux définis comme plus traditionnalistes viennent critiques et doutes …

«L’Eglise doit à Benoît la conjugaison extraordinaire de la foi et la raison. La raison pour examiner, et la foi pour vérifier. En appliquant cette méthode, je me suis senti chez moi, dans une sorte de prolongement idéal des années de compréhension avec Don Luigi Giussani.
L’actualité voit beaucoup de débats et beaucoup de confusion dans un grande partie du monde ecclésial, il vient le soupçon que les ligne de compréhension, authentiques car corroborées par la tradition, de tout le dogme chrétien, ne sont pas claires. L’hypothèse est celle de faire coïncider le chemin de l’Eglise avec le présent, mais on ne tient pas compte du fait que, sans tenir compte de la tradition, cette tentative est vouée à la stérilité.
En outre, une damnatio memoriae de l’immense travail des pontificats de Benoît XVI et Jean-Paul II, s’est déclenchée.
Entre autres choses, il est incompréhensible qu’aient été accrédités au Saint-Siège des personnalités équivoques et discutables. Equivoques parce que dénuées de compétences scientifique. « Gaudium et Spes » stipule que l’Eglise doit respecter la liberté et l’autonomie de la recherche scientifique et technique ( «la légitime autonomie des réalités terrestres»), parce que la recherche, avec des méthodes véritablement scientifiques et selon les normes morales, n’est pas contraire à la foi. La réaction à ces choix incompréhensibles de la part de nombreux milieux scientifiques, qui se voient préférer des scientifiques moins compétents et idéologisés dans le sens ant-catholique, est une réaction juste ».

– Les nouvelles fournissent constamment du nouveau matériel pour la fondamentale question bioéthique. Sur ce point, même du seul point de vue d’un observateur des médias, un affaiblissement de la voix de l’Eglise catholique apparaît évident.

«C’est un aspect déroutant. Le ministère ne devrait jamais être réduit au silence. Dans ce cas aussi, nous semblons avoir oublié la splendeur des pontificats du XXe siècle. Là , nous assistions à une pertinence absolue dans le jugement, pour ensuite faire naître, de ce jugement, la charité.
Aujourd’hui, nous assistons à une « vulgate » qui met en doute les paroles mêmes de Dieu, il y a une opposition entre doctrine et pastorale, entre la vérité et la charité.
Sur ce point, la définition fulgurante du cardinal Cafarra suffirait: « La pastorale sans vérité est pur arbitraire. »
L’Eglise aujourd’hui pullule malheureusement d’associations et de groupes qui donnent des directives et des règles de comportement sur toutes les questions, sans considérer la vérité.
L’Église a toujours combattu pour défendre l’humain. Si le monde détruit l’humain et si j’aide le monde, alors je détruis l’humain. Malheureusement, l’impression est que les gens proches de l’Église aident cette destruction de l’humain».

– Une histoire qui divise le monde catholique est représentée par les « dubia » soulevés par quatre cardinaux sur l’exhortation apostolique Amoris Laetitia du pape Bergoglio. La réponse à ces « dubia » ne vient pas, à votre avis, François devrait-il affronter les problèmes posé?

«Amoris Laetitia a besoin d’une clarification, malheureusement, le guide ultime de l’Eglise reste silencieux. Je pense que le Saint-Père doit répondre, bien qu’il semble avoir décidé du contraire. Malheureusement, il s’est déclenché une véritable hystérie contre ces quatre cardinaux qui ont été accusés de tout. Certaines personnes sont allées jusqu’à suggérer de leur enlever le chapeau de cardinal. Ce sont des épisodes répugnats. Les antipapistes d’autrefois deviennent hyperpapistes parce que cela les arrange».

(…)


Pour conclure, en guise d’hommage posthume relisons la lette que Mgr Negri avait adressée à Benoît XVI le 20 janvier dernier:

Milan,
20 janvier 2020
Sainteté,

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Tandis que le passage des jours et du temps voit s’accomplir le projet du Seigneur sur l’Eglise, sur le monde, et sur chacun de nous, je ressens le désir très vif de pouvoir Vous rencontrer une dernière fois. Les circonstances que nous vivons ne sont certes pas faciles, et Vous le savez mieux que moi, l’amitié est toujours un grand réconfort dans les nécessités, comme me le rappelait souvent Mgr Giussani.
Je me permets donc de Vous demander un dernier geste de charité envers moi, de pouvoir Vous voir et Vous confier mon égarement pour les tristes temps que nous vivons, mais uni à une confiance inébranlable dans le Seigneur et dans Sa volonté de bien à laquelle, aussi à travers Votre enseignement, Sainteté, je parviens à me remettre chaque jour avec une confiance de plus en plus grande.
Ayez pitié de moi, tenez-moi dans l’espace de votre étreinte, et faites-moi me sentir avec vous une partie vivante du chemin de cette Eglise qui ne cesse de nous surprendre et de nous faire souffrir, mais qui nous fait marcher chaque jour vers le plénitude du Christ en nous et à travers nous dans le monde.

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Bénissez-moi

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Luigi Negri
Archevêque émérite de Ferrara-Cornacchio.

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