Anna me transmet ce très beau témoignage de Leonardo Lugaresi, un universitaire italien qui tient le blog «Vanitas ludus omnis» (*), et qu’elle suit avec sympathie car il est un très bon commentateur de Dante, me dit-elle (il a été professeur de littérature italienne). Il faut donc que ce soit un simple fidèle qui vienne à la défense de Benoît XVI avec des mots forts et justes, alors que les hauts prélats et le Pape lui-même restent frileusement silencieux et que l’Eglise n’ose même plus se juger elle-même, confiant à ses ennemis le soin de le faire (voir en France le rapport Sauvé, reçu comme la Parole révélée par presque toute la hiérarchie catholique)

(*) « Tout jeu est vanité » (?). C’est le titre de sa thèse de doctorat sur « Le problème des spectacles dans le christianisme ancien ». Il a écrit en 2020 un livre intitulé «Vivere da cristiani in un mondo non cristiano. L’esempio dei primi secoli» – Luigi Accatoli (qui n’est pourtant pas du même bord) en parle ICI sur un ton élogieux.

Pour le pape Benoît, [je mets] même ma main au feu.

En règle générale, je suis plutôt réticent à la mettre pour qui que ce soit, car on ne sait jamais : il y a toujours le risque de se retrouver avec un moignon. Pour Joseph Ratzinger-Benoît XVI, je le fais sans hésitation. Personnellement, la fameuse campagne médiatique d’accusations qui a débuté contre lui il y a quelques jours me laisse totalement indifférent, pour au moins trois raisons :

1) Le fait, dans les très grandes lignes, semble être le suivant : un rapport, produit par un cabinet d’avocats de Munich, sur les abus sexuels commis par des membres de l’église bavaroise au cours des dernières décennies indique que Joseph Ratzinger, lorsqu’il était archevêque de ce diocèse (1977 à 1982), aurait commis des erreurs dans le traitement de quatre ou cinq cas. Il s’agit d’un rapport unilatéral, dont il conteste les affirmations sur le fond, et, bien entendu, en l’absence de procès et de jugement, ceux qui affirment et ceux qui nient doivent être placés sur un pied d’égalité. Mais indépendamment de cela, même si ces évaluations étaient correctes, la question est de savoir si elles doivent être considérées comme des « accusations » ou non. Si elles l’étaient, en effet, leur signification ne pourrait être que celle de condamner une personne pour ne pas avoir traité, il y a plus de quarante ans, un problème de la manière dont on pense qu’il devrait être traité aujourd’hui. En d’autres termes, ce serait comme faire le procès d’un médecin parce qu’en 1980, il ne traitait pas une certaine maladie de la manière dont elle est traitée aujourd’hui. J’espère qu’un nombre non négligeable de personnes ont encore assez d’intelligence pour se rendre compte de ce qui est évident, à savoir l’absurdité totale de ce non-raisonnement (qui, cependant, est la base des innombrables campagnes de cancel culture actuellement en cours : toute personne qui, dans le passé, ne pensait pas et n’agissait pas comme quelqu’un pense que nous devrions penser et agir aujourd’hui est mauvaise et devrait être « tuée »).

2) Toute la vie de Joseph Ratzinger – Benoît XVI parle pour lui. Une vie très longue et, puisqu’il a été appelé à porter la croix de très hautes responsabilités dans l’Église, limpide et très dure. Même les plus ardents de ses admirateurs ne croient probablement pas qu’il soit doté de compétences exceptionnelles en matière de gouvernance, et il aura commis de nombreuses erreurs, tant comme archevêque que comme pape, mais personne ne peut honnêtement penser qu’il est complice, ou même indulgent, superficiel ou distrait à l’égard du fléau des abus sexuels dans l’Église. Personne, en effet, ne pourrait dire une chose pareille sans se disqualifier immédiatement et irrémédiablement, mais les infâmes hurlements médiatiques font une opération beaucoup plus sordide : il suffit d’approcher son nom de certaines saletés, de lancer quelques phrases qui ne veulent rien dire et le shit storming est déjà commencé (pour certaines merdes, il faut vraiment de l’anglais, car le mot italien, utilisé aussi par Dante, est trop noble).

3) Ceux qui mènent ce type d’opération ne s’intéressent ni aux abus ni aux abuseurs ; ils ne se soucient ni des victimes ni des auteurs. Quels que soient les péchés commis par les ecclésiastiques, si le monde les dénonce, ce n’est jamais pour le bien : il ne s’intéresse pas vraiment aux victimes, ni aux coupables : envers l’Eglise, le monde a toujours fait son sale boulot.

Tout cela est normal, et tout a été largement prédit par Jésus-Christ. Cependant, ce qui ne me laisse pas du tout indifférent, mais m’inquiète et me désole presque, c’est la faiblesse de la position de l’Église dans cette situation dramatique. Trop souvent incapable de se juger elle-même, c’est-à-dire de se purifier à la lumière du jugement divin (et pourtant, comme le dit saint Paul, « nous avons la pensée du Christ », en vertu de laquelle « l’homme spirituel juge de tout, sans pouvoir être jugé par personne », 1 Cor 2, 15-16), elle se montre aujourd’hui encline à se soumettre imprudemment – pour ne pas dire sottement – aux juges mondains, aux autorités autoproclamées et prétendument « indépendantes » (!) à qui elle donne carte blanche, reconnaissant ainsi implicitement que ce n’est que de l’extérieur – c’est-à-dire du monde! – que peut venir une crédibilité qu’elle-même croit ne plus avoir ! Et pourtant, saint Paul écrit aussi :

Quelqu’un de vous, lorsqu’il a un différend avec un autre, ose-t-il plaider devant les injustes, et non devant les saints?/ Ne savez-vous pas que les saints jugeront le monde? Et si c’est par vous que le monde est jugé, êtes-vous indignes de rendre les moindres jugements?/ Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges? Et nous ne jugerions pas, à plus forte raison, les choses de cette vie?/ Quand donc vous avez des différends pour les choses de cette vie, ce sont des gens dont l’Église ne fait aucun cas que vous prenez pour juges!/ Je le dis à votre honte. Ainsi il n’y a parmi vous pas un seul homme sage qui puisse prononcer entre ses frères.

*

(1 Cor 6, 1-5).

Maintenant que, en la personne de Benoît XVI – qui n’est plus le pape, mais qui a été pape! – l’attaque contre l’Église catholique est menée directement au cœur de l’institution qui est historiquement sa pierre angulaire, que fera le pape actuel ? Il est juste d’attendre de lui une parole opportune, forte et sans équivoque, de pleine solidarité, de défense contre les accusations injustes et absurdes, et de réaffirmation du refus des chrétiens de se soumettre au monde. En d’autres termes, une « parole de martyr ». Espérons qu’elle arrive.


C’était le samedi 22 janvier. Deux jours plus tard, après la prière d’Angelus de dimanche, l’auteur a ajouté un post-scriptum:

Un mot que nous attendons.

L’Angélus d’hier aurait pu être l’occasion pour le pape de prononcer cette brève parole de solidarité forte et claire avec son prédécesseur, objet d’une campagne d’accusations injustes et infamantes, que de nombreux fidèles attendent de lui.

Hier, un tel mot n’est pas venu. Peut-être viendra-t-il aujourd’hui, ou mercredi à l’audience, ou peut-être dimanche prochain. Même si, dans certains cas, le timing compte, il se peut que le pape estime qu’il vaut mieux attendre et réfléchir. Ou bien il juge que répondre à certaines choses est contre-productif car il y a un risque de donner de l’importance à ce qui ne le mérite pas. Ou autre chose. Qui sait ?

Je crains toutefois que si ce silence est maintenu, il ne passera pas inaperçu, étant donné que l’on peut dire beaucoup de choses sur le pontife actuel, mais pas qu’il n’est généralement pas bavard. Espérons seulement qu’il n’attende pas la nécrologie pour prononcer, en défense de Benoît XVI, les mots qui s’imposent maintenant.

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