C’est du moins ainsi que sur la Bussola Nico Spuntoni interprète la lettre de Benoît XVI rendue publique hier. Au-delà de la dimension spirituelle de la lettre et de la leçon de théologie qui en est à mon avis le plus remarquable, il y a sans doute aussi cela, même si le mot « j’accuse » contient une note d’agressivité dont je ne suis pas sûre qu’elle corresponde aux intentions (encore moins à la forme d’esprit) du Saint-Père qui, du temps où il régnait, et contrairement à son successeur, n’a jamais répondu aux nombreuses attaques de ses ennemis. Sauf qu’ici, la mesure était vraiment comble, et l’accusation publique d’être un menteur adressée à un homme dont la devise épiscopale est « coopérateur de la vérité » a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

Un procès politique et une demande de pardon

Il convient de noter que les conditions dans lesquelles les avocats du Saint-Père ont eu accès au dossier de 8000 pages (voir en gras ci-dessous) sentent à plein nez le procès politique en régime totalitaire. A la lumière de cette information, on comprend pourquoi la lettre de Benoît XVI ne constitue en aucun cas un mea culpa pour un péché (même véniel) qu’il aurait commis sur un détail de date ou de procédure. Comme d’habitude, il se place à un autre niveau, bien plus haut. Pour le comprendre, il faut revenir au document « Mémoire et réconciliation: l’Eglise et les fautes du passé » élaboré sus la responsabilité du cardinal Ratzinger en 2000 alors que, dans le cadre du grand jubilé, l’Eglise était engagée, à l’initiative de Jean-Paul II dans un vaste processus de purification et de repentance (qui a fait l’objet de nombreuses critiques…).
Voir ici: http://benoit-et-moi.fr/2015-I/benoit-xvi/les-fautes-de-leglise.html

C’est à juste titre que, dans les journaux, on parlait du « mea culpa » du Pape au nom de l’Eglise. Ainsi on cite une prière, le « Confiteor » qui tous les jours se trouve au début de la célébration liturgique. Le prêtre, le Pape, les laïcs, tous confessent avec leur « moi » – chacun en particulier et tous ensemble devant Dieu et en présence des frères et sœurs – d’avoir péché, de s’être rendu coupable, même par de très grandes fautes.

[Cet] aspect de ce début de la sainte liturgie me paraît important: on parle à la première personne; « moi », j’ai péché; je ne confesse pas le péché des autres, je ne confesse pas des péchés anonymes d’un collectif, je confesse avec mon « moi ».
Ce sont cependant en même temps tous ceux qui prient qui disent avec leur « moi » : « J’ai péché ». Toute l’Église vivante dit en ses membres vivants ceci : « J’ai péché ».

*

Cardinal Ratzinger en 2000, cf. http://benoit-et-moi.fr/2015-I/benoit-xvi/les-fautes-de-leglise.html

A rapprocher, évidemment, de ce passage de la lettre d’aujourd’hui (sauf qu’ici, en grand seigneur, le Saint-Père assume sur sa personne toute la responsabilité):

Il est nécessaire qu’à ces paroles de remerciement suive maintenant une confession. Je suis à chaque fois plus profondément touché que jour après jour, l’Église mette au début de la célébration de la Sainte Messe – au cours de laquelle le Seigneur nous donne sa Parole ainsi que Lui-même – la confession de notre faute et la demande de pardon. Nous prions publiquement le Dieu vivant de pardonner notre faute, notre grande et très grande faute. Il est clair que les mots “très grande” ne s’appliquent pas de la même manière à chaque jour, à chaque jour particulier. Mais chaque jour me demande si, aujourd’hui, je ne devrais pas parler d’une très grande faute. Et il me dit d’une manière consolante que, aussi grande que puisse être ma faute aujourd’hui, le Seigneur me pardonne si je me laisse scruter par lui en toute sincérité et si je suis réellement disposé à me changer moi-même.

Voir aussi:

Le j’accuse de Benoît XVI : « Je n’ai pas menti ».

Nico Spuntoni, 9 février 2022
https://lanuovabq.it/it/il-jaccuse-di-benedetto-xvi-non-ho-mentito

La lettre du pape émérite Benoît XVI n’est pas un mea culpa de responsabilité mais un sévère j’accuse contre ceux qui, exploitant un oubli de ses collaborateurs, ont fini par douter de sa véridicité, voire par le présenter comme un menteur. Ratzinger a observé qu’ayant « eu de grandes responsabilités dans l’Eglise catholique, ma peine est d’autant plus grande pour les abus et les erreurs qui se sont produits pendant la durée de mon mandat dans les lieux respectifs ».

Comme on pouvait s’y attendre, les journaux l’ont décrite comme un mea culpa, mais la lettre du pape émérite sur le rapport Westpfahl Spilker Wastl est plutôt un « j’accuse ». Une mise en accusation de ceux qui, en exploitant un « oubli », ont fini par « douter » de sa « véridicité », et « même » par le présenter « comme un menteur ». La négligence mentionnée par Benoît XVI est celle commise par l’un des collaborateurs qui l’ont aidé à rédiger le mémorandum de 82 pages envoyé au cabinet d’avocats de Munich et joint par ce dernier au dossier sur la gestion des abus dans l’archidiocèse qu’il a dirigé entre 1977 et 1982.

Comme cela a été expliqué hier dans une analyse des quatre auteurs du mémoire (Stefan Mückl, Helmuth Pree, Stefan Korta, Carsten Brennecke), en raison d’une erreur de transcription commise par le canoniste Stefan Korta, il a été avancé à tort que l’archevêque de l’époque n’avait pas assisté à la réunion de l’Ordinariat du 15 janvier 1980 au cours de laquelle il avait été décidé d’accueillir à Munich Peter Hullermann, un prêtre déjà responsable d’abus à Essen. L’erreur commise dans le mémoire a été utilisée par les détracteurs de Benoît XVI pour délégitimer l’ensemble de sa défense.

En réalité, la présence du cardinal Ratzinger d’alors à cette réunion avait déjà été révélée publiquement en 2010. Une peau de banane, donc, sur laquelle a trébuché le « petit groupe d’amis » du pape émérite, mais qui ne constitue certainement pas une preuve de la véracité des accusations. Comme nous l’avions expliqué dans les deux articles consacrés à l’affaire Hullermann, lors de cette rencontre incriminée, l’archevêque s’était contenté d’accepter le transfert du prêtre à Munich mais n’avait convenu d’aucune affectation pastorale.

Ratzinger savait en outre que le prêtre pédophile suivait une thérapie psychothérapeutique, mais pas qu’il y avait été envoyé pour avoir abusé sexuellement d’un mineur. Dans l’analyse de ses collaborateurs publiée hier par le Bureau de presse du Saint-Siège, il est rappelé que les mêmes experts du cabinet d’avocats, au cours de la conférence de presse présentant le rapport, ont admis qu’ils ne disposaient pas de preuves que l’ancien archevêque était au courant, devant reconnaître « selon l’opinion subjective » (une allusion aux amis du pape émérite) que cette circonstance était seulement « plus probable ».

L’erreur commise par Korta, en tout cas, est justifiée par Benoît XVI ( » ce n’était pas intentionnel et j’espère qu’elle est excusable « ) qui, dans sa lettre, remercie le « petit groupe d’amis » qui » avec « abnégation a rédigé » les 82 pages défensives, rappelant comment il l’a corrigée immédiatement le jour où le dossier a été présenté à la presse, à travers la déclaration de son secrétaire personnel, Monseigneur Georg Gänswein. D’autre part, la participation à la réunion du 15 janvier 1980 a également été rapportée dans la récente biographie de Peter Seewald, qui a certainement été lue et approuvée par le pape émérite au préalable.

Pour comprendre comment une telle erreur a pu être commise, il faut toutefois lire comment les quatre auteurs du mémoire envoyé à Westpfahl Spilker Wastl se sont trouvés à travailler. Ils l’ont eux-mêmes raconté dans l’analyse publiée hier : « Seul le professeur Mückl a été autorisé à voir la version électronique des actes », écrit l’équipe du pape émérite, « sans que leur soit accordée la possibilité d’enregistrer, imprimer ou photocopier les documents ». Aucun autre collaborateur n’a été autorisé à consulter les documents. Après que le professeur Mückl ait examiné les documents sous forme numérique (8 000 pages) et les ait analysés, une autre phase de traitement a été effectuée par le Dr Korta, qui a commis une erreur de transcription par inadvertance.

Une fois les 82 pages arrivées sur son bureau, « Benoît XVI n’a pas remarqué l’erreur en raison du temps limité accordé par les experts, et a fait confiance à ce qui était écrit, et son absence a donc été enregistrée ». C’est à cet oubli que se sont accrochés ceux qui voulaient attaquer le pape émérite de 94 ans, mais ce qui lui a donné de la force, ce sont les nombreuses lettres d’encouragement qui sont arrivées ces derniers jours au monastère Mater Ecclesiae et aussi le « soutien et les prières » que son successeur François a voulu lui faire parvenir « personnellement ».

Et à propos de « mea culpa », c’est la locution du Confiteor qui suscite en Benoît XVI une réflexion plus générale sur la honte à ressentir envers les victimes d’abus commis par des prêtres et qu’il serait incorrect – comme beaucoup le font – de se concentrer sur le cas spécifique de Hullermann sur lequel il a clarifié avec force sa propre non-culpabilité. Rappelant les rencontres avec les victimes lors de chaque voyage apostolique effectué lorsqu’il était pontife régnant, Ratzinger note qu’ayant « eu de grandes responsabilités dans l’Église catholique (…) plus grande est ma douleur pour les abus et les erreurs qui se sont produits pendant la durée de mon mandat dans les lieux respectifs ».

Il ressort des propos de la lettre, notamment ceux relatifs aux accusations de mensonge, que le dossier et les réactions des médias – surtout dans son pays – l’ont rendu amer, mais ceux qui l’ont vu récemment font état d’un Benoît XVI serein, ferme dans la foi et qui ne se départit pas de son sourire. Il y a en lui, forte, la conscience de ce qu’il a écrit à la fin de sa lettre :

« Bientôt, je me retrouverai devant le juge ultime de ma vie. Même si j’ai beaucoup de raisons d’avoir peur et d’être effrayé lorsque je regarde ma longue vie, je suis néanmoins heureux parce que je crois fermement que le Seigneur n’est pas seulement le juge juste, mais en même temps l’ami et le frère qui a déjà souffert lui-même de mes manquements et qui est donc, en tant que juge, en même temps mon avocat (Paraclet). En vue de l’heure du jugement, la grâce d’être chrétien devient claire pour moi. Être chrétien me donne la connaissance et, plus encore, l’amitié avec le juge de ma vie et me permet de franchir avec confiance la porte sombre de la mort. À cet égard, il me revient constamment en mémoire ce que dit Jean au début de l’Apocalypse : il voit le Fils de l’homme dans toute sa grandeur et tombe à ses pieds comme un mort. Mais il pose sa main droite sur lui et dit : « N’aie pas peur ! C’est moi… ».

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