Les « experts » qui on rédigé le fameux Rapport à charge contre le Pape émérite servent en réalité l’intérêt des médias pour les scandales. Le site katholisches.info/ présente une longue et passionnante contre-enquête qu’Isabelle a traduite pour nous – avec les difficultés de traduction liées au jargon juridique, merci à elle, donc (attention: cet article est daté du 3 février, soit 5 jours avant la publication de la réponse de Benoît XVI)

Cela ne suffit pas à certains lorsqu’il s’agit de Benoît XVI : démission et mise à l’ombre.

LES EXPERTS SERVENT L’INTÉRÊT DES MÉDIAS POUR LES SCANDALES

Le président de la Conférence épiscopale allemande suscite des associations avec le langage des médias à sensation

3 février 2022
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Hubert Hecker

Le 20 janvier dernier, le cabinet d’avocats munichois Westphal Spilker Wastl présentait son rapport d’évaluation. Point d’orgue théâtral de l’événement : l’image d’Ulrich Wastl, brandissant triomphalement un procès-verbal de réunion censé constituer une preuve à charge contre Benoît XVI. Le rapport d’évaluation répertorie les cas d’abus sexuels commis par 173 clercs ainsi que des faits de harcèlement de 62 laïcs dans le diocèse de Munich-Freising sur une période de 70 ans.

Après une introduction à l’ensemble du document par le dr. Marion Westphal, le dr. Manfred Pusch donna un aperçu de la méthode et du contenu des 66 expertises individuelles. Ensuite, il revenait à Ulrich Wastl de présenter, au cours d’un exposé d’une demi-heure, un seul des 5 cas d’abus qui remontent à l’époque (1977-1982) où Joseph Ratzinger était archevêque.

Benoît XVI jugé d’avance par les médias

Le 4 janvier déjà, le Zeit formulait en première page l’appréciation des médias sur le rapport d’expertise tant attendu : « Quelle est la part de responsabilité de Benoît XVI dans les agissements d’un délinquant sexuel dans son ancien diocèse ? » En principe, quand il y a soupçon de délit, c’est la présomption d’innocence qui a cours en Allemagne. Mais lorsqu’il s’agit d’abus sexuels dans l’Eglise, beaucoup de médias transgressent cette règle de droit, surtout lorsqu’il s’agit d’évêques conservateurs et plus encore dans le cas du pape Benoît XVI aux prises depuis des années avec une hostilité toujours prête à se déchaîner. En tout cas, à en juger par les formules utilisées, les journalistes du Zeit jugent le pape coupable et le condamnent avant même la publication du rapport d’expertise. Leur intérêt à la question ne porte pas sur le fait de savoir si, voici 40 ans, l’archevêque J. Ratzinger s’est rendu coupable d’avoir confié un ministère à un prêtre dont le diagnostic de pédophilie ne fut transmis que plus tard, mais sur la part de responsabilité du pape, aujourd’hui émérite, dans les abus commis par ce prêtre.

Quels sont les faits avérés dans cette affaire ?

Le 15 janvier 1980, à Munich, au cours d’une séance du conseil épiscopal à laquelle participait également l’archevêque J. Ratzinger, fut traité le cas d’un jeune vicaire. La mention qui le concerne dans le procès-verbal de la séance indique : « L’évêché de Essen demande que Monsieur H. soit pour un temps hébergé chez le curé d’une paroisse de Munich, où il doit se rendre pour une psychothérapie. Il est répondu positivement à la demande. Monsieur H. sera logé chez le doyen (X) dans la paroisse (Y) ». Une note du responsable diocésain du personnel complète cette information succincte : le jeune abbé est très doué, susceptible d’être affecté à des tâches diverses. « Son accueil doit se faire dans un bon presbytère, auprès d’un collègue compréhensif. La demande écrite du diocèse d’Essen est jointe ». La requête du diocèse d’Essen précise en plus que le prêtre peut être chargé de dire la messe et d’assurer services liturgiques ; le texte ajoute qu’il y a chez lui « une situation de danger », qui a conduit son diocèse d’origine à le retirer du ministère pastoral et qu’il n’y a pas de procédure en cours contre lui.

Sous le terme de « danger », on pouvait comprendre bien des choses : de l’alcoolisme aux tendances suicidaires ou à une addiction toxicomane (M. Heesemann). Ce qui est sûr, c’est qu’au moment de la décision, aucune information du diocèse de Essen n’indiquait que Peter H. (appelé « l’abbé X » dans le rapport) s’en était pris à un jeune garçon et avait été condamné pour cet abus sexuel. Au cours du procès, un expert psychiatre de Essen avait posé le diagnostic de « pédophilie » et prescrit une psychothérapie, loin de son diocèse d’origine.

Les sciences humaines de l’époque considéraient la pédophilie (dans ce cas précis plutôt des tendances éphébophiles, qui portent vers des adolescents) comme curable. C’est pourquoi Peter H., une fois la thérapie terminée, a pu être de nouveau employé à un ministère pastoral. Cela s’est également produit à Munich, peu de temps après le traitement, par décision du vicaire général de l’époque, Gruber. Le rapport note au sujet de cette intervention que, d’après les documents, aucun manquement à son devoir ne peut être attribué à l’archevêque Ratzinger.

Après plusieurs rechutes et d’autres nominations paroissiales sous l’archevêque Wetter (en charge depuis 1982), Peter H. fut affecté, en 2008, à la pastorale des malades à Bad Tölz. Une décision qui relevait de la responsabilité du cardinal Marx, et pour laquelle celui-ci est considéré coupable de faute caractérisée par le cabinet d’avocats.

De cette présentation des faits, on peut retenir comme établi que, d’après les documents, le cardinal Ratzinger n’avait, au moment où fut prise la décision d’intégrer le prêtre H. dans le diocèse de Munich, aucune connaissance de son passé d’abuseur sexuel et que rien ne prouve non plus qu’il ait décidé ou autorisé sa nomination pastorale ultérieure par le vicaire général Gruber.

Les médias cherchent à engager la responsabilité de Benoît XVI en le présentant comme complice des abus

Pourtant, quelques années après que le cardinal Ratzinger fut devenu préfet de la CDF (début 1982), les médias cherchèrent à le salir par des spéculations. Au début 2010, lorsque les médias allemands révèlent comme un scandale les cas d’abus sexuels dans l’Eglise, celui qui, entre-temps, était devenu le pape Benoît XVI se trouve à nouveau dans la ligne de mire des médias mainstream. A l’époque, le Spiegel engagea 13 journalistes pour prouver l’implication du pape dans des cas d’abus. C’est ce que rapporte le rédacteur en chef de l’époque Matthias Matussek.

Les journalistes ne trouvèrent rien ; pourtant, le magazine qui ne répugne pas à créer les nouvelles recourut à ce titre : « Un cas d’abus sexuel découvert dans le diocèse de Ratzinger ». Avec un titre du même tonneau : « Le diocèse de Ratzinger employait des prêtres pédophiles », la Süddeutsche Zeitung, recourant au procédé facile de l’association des idées, voulait lui aussi dénoncer le pape comme complice officiel des actes d’abus.

Dans un article du New York Times de 2010 apparaît la thèse que les hautes sphères de l’archidiocèse de Munich auraient développé une stratégie pour protéger l’ancien archevêque Ratzinger : faire endosser à d’autres responsables les décisions concernant Peter H. Le rapport d’expertise admet que l’implication du pape Benoît dans une telle stratégie – si tant est que cette stratégie ait existé – ne peut pas être prouvée. Les experts ont expressément écarté tout soupçon à cet égard. Avec une déclaration en 2016 du canoniste munichois Lorenz Wolf, – sur qui, depuis lors, le rapport fait peser de lourdes charges, – les médias crurent disposer, une fois encore, d’éléments à charge de Benoît XVI désormais émérite. Mais la déclaration sans nuances de Wolf selon laquelle les évêques d’alors et les vicaires généraux d’Essen et de Munich n’auraient pas assumé leur responsabilité envers les enfants et les adolescents confiés à leur soin pastoral, n’apportait aucune nouvelle information solide. En plus, par cette déclaration, Wolf donnait l’impression de vouloir détourner l’attention de ses propres erreurs en accusant les autres. Pourtant le mince document de Wolf suffit pour que le Zeit, quinze jours avant la publication du rapport munichois, attire à nouveau, par de vieilles spéculations, l’attention du public sur le pape émérite.

Lors de la présentation du rapport d’expert, le cabinet d’avocats munichois s’engagea volontiers sur la route ainsi frayée par les médias. La présentation était conçue de telle sorte que l’exposé du dr. Wastl, qui se concentrait sur deux indices de culpabilité de Benoît XVI dans l’affaire de Peter H., fût le sommet et le cœur de la conférence de presse.

L’expert ne peut prouver aucune faute du cardinal Ratzinger

Après des dizaines de demandes et de reproches de la part de l’expert, Benoît XVI en est resté à ses déclarations confirmées par le procès-verbal : au moment où fut prise, lors de la réunion du conseil épiscopal du 15 janvier 1980, la décision d’accueillir l’abbé H., il ne savait rien des antécédents de celui-ci. Wastl n’a pu opposer à cette constatation aucune preuve et aucun indice. Pourtant il refuse le jugement qui s’impose : dans cette affaire, aucun reproche concret ne peut être formulé « avec la certitude requise » contre l’archevêque Ratzinger, comme Wastl lui-même l’a exprimé pour le reproche d’une stratégie d’étouffement (voir plus haut).

Au lieu de cela, l’expert concentre son attention sur des griefs comme une « ignorance incompréhensible » à l’égard de l’abbé H. ou encore un manque de volonté de s’informer, sans aborder les contre-arguments invoqués par Benoît. Puis il cite deux témoins de l’époque, qui ont prétendu avoir su par ouï-dire que le cardinal Ratzinger, après la réunion du conseil épiscopal en janvier 1980 et jusqu’à la mi-1982, a quand même dû avoir connaissance des antécédents de Peter H.

Sur base d’aussi vagues allégations, Wastl ne peut naturellement élaborer aucun reproche d’expert. Finalement il croit pouvoir « démontrer de manière plausible » que l’abbé H. se serait fait remarquer, dans le lieu de son premier ministère dans le diocèse de Munich, par des abus. Ce que l’accusé conteste. Pour ce cas supposé, il ne peut reconnaître de la part du cardinal « aucun manquement à son devoir ou comportement inapproprié ». Cela vaut aussi pour la mutation de l’abbé H. dans un deuxième poste, ailleurs dans l’archidiocèse.

Il reste donc ce constat : si l’expert soupçonne le cardinal Ratzinger, au moment de l’accueil de l’abbé H. et durant les deux ans et demi de son ministère à Munich, d’avoir eu connaissance des actes d’abus commis par celui-ci, il ne peut en apporter aucune preuve. A fortiori, Wastl ne peut reprocher au cardinal d’avoir manqué à son devoir ou d’avoir commis quelque faute dans cette affaire.

Lors de la présentation orale, l’acquittement se transforme en condamnation

Mais contrairement à cette évaluation consignée dans le rapport d’expert, Wastl, dans son exposé oral lors de la présentation du rapport à Munich, donna une tout autre impression. Ici il affirme que la connaissance qu’avait Ratzinger des antécédents pédosexuels de l’abbé H., au moins pour la période qui suit la réunion du conseil diocésain, était pour lui « éminemment probable ». Ce concept flou et flottant de plausibilité résumait l’évaluation subjective de l’expert, mais elle n’avait aucune valeur de preuve objective ni de force démonstrative. C’est pourquoi elle n’était pas reprise dans le rapport écrit. Ce concept et cette appréciation s’adressaient manifestement aux auditeurs de la présentation. On leur a donné l’impression d’une (prétendue) faute de Ratzinger. L’expert avait-il entretemps obtenu de nouveaux éléments ou même des preuves ? Evidemment non. Il semble qu’il ait, devant le public des médias, modifié oralement son jugement d’expert aux dépens du cardinal Ratzinger/Benoît XVI. Cela n’était pas sérieux. Mais le reproche implicite contre la crédibilité de Benoît ne devait être que l’ouverture avant le second point culminant du procès. Wastl introduisit cette partie de son exposé en ces termes : la « percée absolue » aurait été pour lui le fait que Benoît dans sa déposition ait nié avoir participé à la fameuse réunion du conseil épiscopal, alors que trois faits inattaquables attestent de sa participation. Le secrétaire de Benoît, Mgr G. Gänswein a assuré, le jour de la présentation du rapport, que l’archevêque avait évidemment assisté à la réunion. La dénégation erronée se serait glissée par mégarde dans le texte lors de la rédaction finale. La raison de cette rectification était qu’une petite équipe de juristes avait assisté le pape de 93 ans lors de la rédaction de sa déposition. Wastl admet lui aussi que les déclarations de Benoît XVI ont été « dans une large mesure » retravaillées « par ses conseillers (juridiques) » (p. 176, vol. 2) Il a confirmé que le texte donnait l’impression d’être une défense en justice, écrite par des juristes, qui ne reconnaissent que ce qui est connu des accusateurs. Guido Horst titrait dans le Tagespost du 27 janvier : « Ce n’est pas l’écriture originale de Ratzinger ».

Il convient de poser des questions à l’expert sur cette méthode décisive pour la procédure:

• Selon Wastl, le cabinet avait remarqué la déclaration manifestement erronée mentionnée ci-dessus dès la réception de celle-ci. Pour l’expert n’aurait-ce pas été un devoir de loyauté de signaler cette incohérence à Benoît, pour qu’il pût la corriger avant la publication de l’expertise ?

• Le juriste du cabinet d’avocats a expliqué qu’il avait soumis au pape émérite de nombreux avis de témoins de l’époque et de personnes impliquées, en le priant de faire un commentaire, ce que le pape a fait. Pourquoi, dans ce cas, n’a-t-il pas mis à la disposition du pape le procès-verbal si décisif de la réunion du conseil épiscopal, tenu le 15 janvier 1980, dont ne disposaient ni le pape ni ses conseillers juridiques ?

•  Wastl a fait état d’autres procès-verbaux à propos desquels Benoît aurait dit : si je ne suis pas mentionné comme absent, j’ai participé à la réunion (p. 177, vol. 2). Dans le cas de la réunion du conseil mentionnée plus haut, l’expert ne devait-il pas partir du principe qu’il s’agissait d’une erreur involontaire si le pape, bien que n’étant pas mentionné comme absent, niait avoir participé à cette réunion ?

• Si le juriste avait vraiment entamé les enquêtes sur Benoît XVI avec la présomption d’innocence qui s’impose, comme il l’a souligné au début, n’aurait-il pas dû impérativement lui donner bien avant l’occasion de corriger ce qui est apparu plus tard comme une erreur par inadvertance ?

• L’expert munichois a indiqué, lors de son exposé, qu’il avait mené ses recherches d’expertise comme une enquête d’un procureur qui prépare un procès pénal. En outre, il a (comme le fait un juge) confronté le pape (l’accusé) avec des déclarations de témoins et des rapports de personnes impliquées, de manière à ce qu’il puisse y répondre. Avec une telle manière de faire, n’était-ce pas son devoir de le confronter avec le contenu sans équivoque du procès-verbal et les déclarations de Benoît XI qui n’y correspondaient pas, comme un juge doit le faire lors des audiences ?

• A moins que le cabinet d’avocats se soit laissé entraîner dans ce cas par la conviction de la culpabilité de Ratzinger, répandue largement dans les médias?

Une manière d’agir problématique sans les précautions, la loyauté et les obligations de rigueur

Après les interrogations prudentes sur la démarche du Dr Wastl, auquel l’auteur de ces lignes tient à rendre hommage pour la loyauté et la pondération dans tout le rapport d’expertise par rapport aux dépositions de Benoît, une critique sans équivoque s’impose dans ce cas. La critique porte sur quelques passages au ton très rude, comme lorsque Wastl parle d’une « incompréhensible ignorance (de Ratzinger et d’autres responsables) à l’égard du confrère concerné » (voir plus haut).

Se voir accusé par le rapport d’expert de manquer de crédibilité a pour le prestige du pape des conséquences catastrophiques : les décisions préalables de l’avocat apparaissent comme injurieuses. En s’abstenant de signaler au pape Benoît ses déclarations contradictoires, il s’est donné l’occasion d’une entrée en scène retentissante où, sans aucune nécessité, il a accusé Benoît d’avoir fait une déclaration mensongère.

Au point le plus fort de la présentation, Wastl avec une suffisance manifeste aligna les raisons qui prouvaient la présence de Ratzinger à la fameuse réunion : dans la première ligne du procès-verbal, il n’était pas noté comme absent, et devait donc, selon l’usage, être considéré comme présent. C’est à ce moment même que l’expert brandit triomphalement le procès-verbal, en remarquant : « Maintenant je dois jouer vraiment un rôle dramatique et vous lire deux passages du procès-verbal ». On y lit ceci : le cardinal a fait part de sa participation à l’enterrement à Berlin du cardinal Bensch. Il était, outre cela, question d’une rencontre confidentielle du pape Jean-Paul II et quelques évêques allemands pour parvenir à un accord à l’amiable sur le dossier Küng. Wastl conclut à juste titre que seul le cardinal Ratzinger pouvait s’être exprimé sur ces points.

Ce que l’avocat a présenté, en toute modestie, comme un chef-d’œuvre de ses enquêtes « obstinées » n’a été possible que par le fait qu’il n’avait pas observé la loyauté et le devoir de précaution qui s’imposaient lors de son enquête précédente.

Un tribunal mis en scène pour satisfaire l’appétit de scandales des médias

Le dr. Wastl, qui a joué à l’enquêteur et au procureur, a ensuite endossé le rôle du juge avec cette sentence : « L’argumentation de Benoît est peu crédible ». Un jugement, certes, assez modéré, mais que les auditeurs ont très bien compris comme une condamnation du pape émérite.

La mise en scène dramatique de l’exposé suggère que la présentation de l’expertise était conçue comme la mise en scène d’un tribunal devant faire le procès de l’Eglise catholique en général et du pape émérite en particulier.

En tout cas, l’intérêt des médias pour le scandale n’a pas été déçu : la modératrice de la présentation, Barbara Leyendecker, a cité dès le début un des jugements lapidaires de la journaliste Christiane Florin, dont les publications excessives très souvent ne visent qu’à chercher noise à l’Eglise. Selon elle, l’Eglise ne serait qu’une « entreprise d’évaporation des responsabilités » ; les principes éthiques y ont été enterrés sous un voile de brouillard spirituel et un monceau de pierres théologiques et juridiques. Ainsi, la modératrice avait posé le cadre d’interprétation des propos qui allaient suivre : comprendre la présentation des cas d’abus sexuels expertisés dans le sens de la présomption de culpabilité établie par les médias, considérer la faute individuelle des évêques comme preuve de la culpabilité historique de l’Eglise.

Dans son introduction générale à l’expertise, le dr. Marion Westphal a confirmé ce cadrage (framing) lorsqu’elle s’est montrée scandalisée, comme d’un « phénomène effrayant », de ce que le rapport décrit de manière sobre et factuelle comme un « manquement au devoir ou un comportement inapproprié » des autorités de l’Eglise. Le dr. Ulrich Wastl commença son exposé, qui devait se terminer par une sentence de culpabilité contre Benoît, avec le titre à scandale : « Bilan de la peur ». Ainsi l’association d’idées était faite entre l’Eglise et un musée des horreurs ou même un règne de la terreur.

Les medias ont compris l’allusion de Wastl. DPA titrait : « Bilan de la peur. Le rapport d’experts accable Benoît ». Le Spiegel, comme d’habitude, donna dans la surenchère : « Un dommage irréparable provoqué par Benoît ». Un journaliste du Tagesspiegel croyait savoir que « Benoît finira sa vie dans le déshonneur ».

Bild et FAZ unis dans l’accusation de mensonge délibéré

Il faut noter un fait remarquable : Bild et FAZ étaient d’accord pour accuser le pape émérite de mensonge délibéré. Bild confirmait ainsi son agenda de créer du buzz, digne d’une presse de boulevard : les journalistes de Bild avaient en 2005 préparé pour Benoît, fraîchement élu pape, un « hosanna » (« Wir sind Papst ») ; maintenant qu’il est exposé, lors de la présentation du rapport, à une exécution médiatique, le journal se trouve au premier rang du chœur de la crucifixion pour détruire le prestige public de Benoît.

Mais quel agenda poursuivait le journaliste du FAZ, Daniel Deckers, en titrant : « Le mensonge de Benoît » ? Deckers affirme dans l’édition du 22 janvier 2022 : le pape émérite « a menti aux experts – et cela, de propos délibéré ». Ratzinger aurait « délibérément menti aux juristes et, donc, au public ». L’accusation de « mensonges manifestes » de Ratzinger fut répétée à trois reprises.

Juger qu’une déclaration est un mensonge implique que l’accusé a agi en connaissance de cause pour fausser sa déclaration, intentionnellement ou délibérément. L’expert n’a parlé à aucun moment de mensonge, parce que lui-même pas plus que Deckers ne pouvaient savoir si la déclaration de Ratzinger était faite intentionnellement ou par erreur. Tout journaliste du FAZ apprend, dans sa période de stage, qu’il faut éviter d’affirmer quoi que ce soit sur les intentions de la personne qui agit. Pourquoi donc un journaliste expérimenté l’a-t-il fait malgré tout ?

Le contexte du mensonge fabriqué par Deckers permet de remonter à son agenda. Le journaliste veut situer les présumés mensonges de Benoît dans une série d’autres actes obscurs de sa vie et des côtés sombres de sa biographie. Il explique : « Une ombre plane sur l’œuvre de Ratzinger, qui assombrit son autorité morale, plus encore que toute la soi-disant ignorance de jadis, dans son conflit avec les évêques allemands dans les années quatre-vingt-dix au sujet de la consultation en cas de conflit sur la grossesse ». Deckers est le biographe du cardinal Lehmann, l’ancien président de la conférence épiscopale allemande ; il a ainsi une connaissance très précise des circonstances et des protagonistes de ce conflit avec le pape et la curie. Il devrait donc aussi savoir que l’évêque Mgr Franz Kamphaus, si obstinément attaché au certificat de consultation, a confirmé qu’il s’était toujours senti traité loyalement dans toutes ses conversations à Rome avec le cardinal Ratzinger.

Deckers, manifestement, prend rang dans la série des journalistes et des théologiens, qui attaquent toute l’œuvre théologique et ecclésiale de Joseph Ratzinger pour la désavouer. A cette bande appartient aussi l’ex-religieuse et actuelle « citoyenne en colère de l’Eglise » Doris Reisinger, qui écrit dans le Kölner Stadtanzeiger : « Nous savons (!) maintenant que Ratzinger est prêt à mentir publiquement pour échapper à sa responsabilité. A quel point faut-il être éhonté et désespéré pour faire une chose pareille ? » En mars 2021, Reisinger a édité un ouvrage avec Christophe Röl, qui avait, deux ans plus tôt, tourné un film qui était une biographie assassine du pape. D’après ce qu’on lit sur la jaquette du livre, les auteurs présument que Joseph Ratzinger, comme cardinal puis comme pape, a constamment toléré, pratiqué, encouragé les pratiques d’étouffement dans l’Eglise et qu’il les a idéologiquement consolidés par le « système Ratzinger ». Ils n’ont rien pu prouver pour étayer ces affirmations spectaculaires.

Un vicaire général a-t-il le droit d’appeler la bénédiction de Dieu sur un auteur d’abus avéré ?

L’évêque de Limbourg Georg Bätzing a parlé d’une « conduite désastreuse » – avec une référence explicite à Ratzinger/Benoît XVI. Il n’a pas repris la formule administrative du rapport qui évoque « un manquement au devoir ou un comportement inapproprié » de la part des autorités diocésaines de Munich, mais a recouru à la langue sensationnaliste des médias.

L’évêque, ce faisant, aura été conscient que son attitude à l’égard des cas d’abus sexuels pendant ses quatre années de vicaire général dans le diocèse de Trèves fera elle aussi l’objet d’une évaluation dans les prochaines années. Dans une interview au Stern de décembre 2021, il se défend par avance d’avoir jamais étouffé quoi que ce soit. Mais le Stern lui a reproché une faute dans le traitement d’un cas d’abus sexuel. Dans une lettre à un auteur d’actes d’abus avéré, Bätzing a appelé sur le prêtre la bénédiction de Dieu. Durant l’interview, Bätzing a réfuté le reproche d’avoir préféré la protection du criminel à celle de la victime (ce que l’on a aussi reproché au cardinal Ratzinger) ; il a justifié la bénédiction sur le prêtre abuseur comme étant « non répréhensible » ; en outre, le passage incriminé dans sa lettre, publié par le Spiegel, aurait été tiré de son contexte ; on devrait lire la lettre dans son entièreté. Bätzing s’est défendu ainsi que sa façon de faire, ce qui est son bon droit. Il a demandé au journaliste d’envisager tout le contexte avant de porter un jugement sur sa décision. On aimerait souhaiter que son attente de voir les médias traiter son comportement de vicaire général avec équité soit satisfaite.

L’écho médiatique scandaleux produit par les nouvelles des abus dans le diocèse de Munich montre une forme de journalisme qui est tout sauf honnête. Imaginons un instant que l’expert munichois ait eu entre les mains une lettre de l’archevêque Ratzinger, dans laquelle celui-ci appelait la bénédiction de Dieu sur le prêtre abuseur avéré Peter H. Les médias se sont déjà déchaînés contre le pape Ratzinger quand il exerçait son droit à la défense contre des accusations infondées. Mais, dans le cas que nous imaginons, la tempête de l’indignation médiatique serait sûrement devenue un ouragan.

Dans ce contexte, on s’étonne que l’évêque de Limbourg ne commente pas objectivement les déclarations de son confrère dans l’épiscopat Ratzinger, mais rappelle le langage sensationnaliste des médias.

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