Raisons et déraisons de la guerre

La question ukrainienne n’est pas un chapitre de l’éternel conflit entre liberté et oppression. Cette représentation idéologique et moralisatrice exclut la question centrale qui est de nature géopolitique avec ses corollaires historiques, économiques et sociaux. Le problème est que par nature, par culture, par histoire et par religion, l’Ukraine n’est pas l’Occident, mais par rapport à la Russie, elle l’est. Même si le marché mondial et les oligarchies locales poussent vers l’ouest. Mais la Russie ne peut pas être assiégée par l’Occident, elle a besoin de zones franches.

Replaçons l’histoire de l’Ukraine dans son destin géopolitique : étant un pays frontalier, borderline, comme le dit son nom lui-même [ndt: L’Ukraine a été ainsi baptisée en 1187 d’après un mot slave qui veut dire «frontière» ou «marche», cf. www.herodote.net], l’Ukraine a vécu à la frontière entre l’Est et l’Ouest, exposée à l’Empire ottoman, aux Mongols, à la Pologne et à la grande Russie. L’Ukraine est une nation différente de la Russie mais unie à elle, et pas seulement par des liens religieux orthodoxes. Du reste, Rus était aussi le nom donné à la nation de Kiev il y a mille ans, à l’ombre de l’église de Constantinople-Byzantium. Pendant des siècles, l’empire russe a régné sur l’Ukraine, et dans sa période extrême, les tsars ont tenté de la russifier. Les Russes étaient et sont toujours une minorité importante dans le pays, même si l’URSS a imposé le russe au lieu de l’ukrainien comme langue officielle. Puis, après la tourmente qui a suivi la révolution bolchevique il y a cent ans, Lénine a imposé la République socialiste soviétique d’Ukraine. Et après quelques décennies, Khrouchtchev a imposé le don de la Crimée à l’Ukraine, qui n’a pas apprécié cette annexion car elle se sentait pleinement russe. C’est pourquoi, il y a quelques années, la Crimée a réussi à se séparer de l’Ukraine et est redevenue russe. Dans les années 1990, l’Ukraine s’est séparée de l’URSS en voie d’effondrement après avoir vécu la tragédie de Tchernobyl en 1986. Les événements récents sont bien connus.

Nous changeons de scénario. La Russie n’est plus, comme à l’époque de l’Union soviétique, un empire mondial à l’égal des États-Unis, mais elle n’est pas non plus une simple puissance régionale, périphérique ou en voie de désintégration comme avant Poutine ; il faudrait reconnaître une zone environnante de respect dans laquelle la Russie ne serait pas assiégée de toutes parts. Et au contraire, en plus de préfigurer l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne, qui est importante pour eux sur le plan économique et commercial, cela signifie déjà entrer, comme d’autres anciens pays soviétiques, sous l’influence de l’Alliance atlantique ; mais aujourd’hui, ils brûlent les étapes pour placer des bases militaires de l’OTAN en Ukraine.

Vous souvenez-vous de ce qui s’est passé à Cuba lorsque l’Union soviétique pointait ses missiles sur les États-Unis ? Comme toujours, c’est le Kennedy « pacifiste », humanitaire et démocratique qui a utilisé la force et en frôlant un conflit mondial, a évité cette menace en lui en opposant une autre. Et vous rappelez-vous les interventions militaires au Kosovo, les bombes humanitaires de Clinton, la Libye, l’Irak, la Syrie ? Pourquoi Poutine ne ferait-il pas la même chose ? Bien sûr, Poutine n’est pas un gentil libéral-démocrate, c’est un autocrate avec des traits illibéraux, son bilan, sa façon de se comporter, la guerre, inquiètent.

La solution idéale aurait été celle-là: l’OTAN renonce à ses bases en Ukraine, le processus d’intégration européenne ne peut pas prévoir une intégration rapide de l’Ukraine. Et la Russie renonce à envahir l’Ukraine et à la soumettre à son diktat, se limitant à demander le respect du monde pour une puissance aussi importante dans la région et des garanties pour la minorité pro-russe et le Donbass. La diplomatie est complexe, mais un équilibre peut être trouvé s’il y a cette volonté. Mais si vous partez du principe que mon élargissement se fait au nom de la liberté et du progrès et que le vôtre n’est qu’agressif et régressif, aucun accord ne peut être trouvé. Que diraient les États-Unis si le Mexique déployait des bases russes en face d’eux ?

La folie de cette situation est que les sanctions touchent peu la Russie et beaucoup l’Europe ; et l’Union européenne, par loyauté envers l’alliance atlantique, devra accepter de perdre une rive orientale clé, de perdre des affaires, de l’énergie, du gaz, juste pour satisfaire l’esprit pieux des démocrates et de leur marionnette chancelante, Joe Biden.

Le dommage supplémentaire est de pousser la Russie dans les bras de la Chine communiste et colonialiste, un nouvel empire en expansion qui s’étend maintenant partout, en Europe comme en Afrique et en Asie. Et la Chine montre qu’elle considère (à juste titre) que les sanctions sont inefficaces, même si elle trouve la menace de Poutine déplorable, et qu’elle observe l’évolution de la situation parce que l’occupation de Taïwan la démange. De mémoire d’homme, les sanctions n’ont jamais amélioré les situations ; elles ont envenimé les rapports, durci les relations, lié les peuples aux régimes sanctionnés. Et au final, elles ont produit ce qu’elles avaient dit vouloir éviter : des guerres, des invasions, des attaques terroristes, des bombardements même de populations civiles, comme le tristement célèbre embargo sur les médicaments en Irak et au Moyen-Orient.

MV, La Verità (25 février 2022)

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