En substance: il faut tout faire pour mettre un terme au conflit, quel que soit ce qui l’a motivé (donc en restant sourd à la propagande médiatique univoque) et ne pas céder aux va-t-en-guerre, car les conséquences, en particulier économiques, risquent d’être désastreuses. Qui ne serait pas d’accord? C’est la voix du bon sens, tout simplement. On pourrait croire que le dernier point ne nous concerne pas directement, puisqu’il traite du cas de l’Italie. Mais à sa tête, il y a une caricature du mondialisme sous influence américaine, qui n’est pas sans évoquer Macron; et surtout, sa situation de base arrière des USA en Europe occidentale avec un arsenal nucléaire à nos portes (voir Une guerre nucléaire déclenchée depuis l’autre côté des Alpes, c’est possible?) devrait nous inciter à réfléchir aussi sur ce point.

Dix thèses sur le conflit actuel

Mais en résumé, quelle est la raison de votre désaccord concernant la guerre en cours et la vulgate dominante en Occident ? La question m’a été posée par des élèves du secondaire. J’essaie de la résumer en dix thèses, qui ne prétendent pas être des vérités péremptoires mais des interprétations différentes. J’aimerais qu’elles soient acceptées, au moins comme des doutes, afin de lire le cours des événements autrement, et de ne pas s’aligner sur ce que la Fabrique du Consensus impose ou administre. Mais avec un double postulat : l’attaque russe contre l’Ukraine doit être condamnée dans tous les cas, de manière claire ; la pitié et l’aide aux populations ukrainiennes sont sacrées.

1) L’Amérique de Biden ne travaille pas à la cessation du conflit mais à sa perpétuation, car son objectif n’est pas de sauver l’Ukraine mais d’éliminer Poutine. Les attaques incessantes contre Poutine – criminel de guerre, boucher – ainsi que la fourniture d’armes imposée aussi aux alliés, servent en réalité à prolonger, aggraver et élargir le conflit, à exciter la Russie et à faire en sorte que Poutine se sente traqué et prêt à utiliser les armes du désespoir ou à bloquer la Chine. Biden fait regretter Trump à la Maison Blanche.

2) Les dommages causés à la Russie par les sanctions et les représailles causent au moins les mêmes préjudices à l’Europe et, en perspective, nous mènent vers une économie de guerre aux conséquences dramatiques. Car les mesures anti-russes ne retombent nullement sur les Etats-Unis mais sur leurs alliés ; tout comme la crise géopolitique est subie par l’Europe et certainement pas par les Etats-Unis, en raison de leur éloignement.

3) Si nous ne contenons pas le conflit et ne travaillons pas à sa fin rapide, nous risquons de subir une crise économique, énergétique puis sociale sans précédent, encore pire que celle produite par le covid. Il est nécessaire d’activer tous les médiateurs possibles pour une solution négociée, en partant de la même disponibilité exprimée par Zelensky à faire de l’Ukraine une zone neutre, non dépendante de l’OTAN.

4) Le réarmement de l’Europe, la constitution d’une armée européenne et l’augmentation des dépenses militaires pourraient également être une nécessité ; mais le faire sous la dépendance stratégique et militaire de l’OTAN et des États-Unis, en fonction de leurs apports et, en fin de compte, de leurs objectifs, qui ne coïncident pas avec les intérêts européens, est une misérable folie.

5) Poutine ne menace pas l’Europe et l’Occident, mais l’attaque contre l’Ukraine peut être interprétée de deux manières, qui peuvent être imbriquées : dans la pire hypothèse, Poutine veut restaurer la Grande Russie et l’Union soviétique en annexant l’Ukraine, comme c’est le cas depuis trois siècles, et il est juste d’entraver cette intention ; dans la meilleure hypothèse, il veut éviter que l’Ukraine ne devienne une épine dans le pied et une base militaire de l’OTAN contre la Russie. Et c’est sur cela que devraient porter les négociations. Mais dans les deux cas, l’intention d’ « attaquer l’Europe » n’existe pas.

6) Les précédents de cette guerre sont le coup d’État en Ukraine en 2014, la persécution de la minorité russe, le revanchisme nazi larvé, l’installation de laboratoires biochimiques et de centres d’entraînement américains sur le territoire ukrainien, l’annonce de bases militaires de l’OTAN, ainsi que l’entrée de l’Ukraine dans l’Europe. Il est possible que ces raisons soient devenues des prétextes à l’agression de Poutine, mais cela n’enlève rien au fait qu’elles sont fondées.

7) Si Poutine est un criminel de guerre, les différents présidents américains et britanniques qui ont bombardé des villes, des hôpitaux et des écoles et tué des populations civiles et des enfants en Irak, en Libye, au Yémen, en Syrie, en Serbie, au Kosovo et dans de nombreux autres endroits le sont au moins autant. Les tuant parfois même en période de trêve avec l’embargo sur les médicaments et les produits de première nécessité.

8) La ligne de partage entre le bien et le mal, selon le critère américain, n’est pas la démocratie, la liberté, la protection des droits civils, mais la rentabilité stratégique. Les États-Unis n’ont aucun scrupule à admettre dans l’OTAN un autocrate à l’instar de Poutine, le Turc Edogan, et à avoir comme allié traditionnel l’Arabie saoudite où les droits civils sont foulés aux pieds.

9) Les dangers qui menacent l’Occident sont au nombre de quatre : a) l’expansion mondiale des Chinois, la conquête de continents entiers et l’exportation de leur modèle au monde; b) l’expansion démographique et migratoire de l’Islam dans un Occident vidé de ses naissances et de ses valeurs ; c) le suicide assisté de l’Occident lui-même en proie au nihilisme, à la perte de vitalité, à la honte de sa propre civilisation. d) La volonté d’omnipotence des USA, qui, avec les Démocrates [dems], veulent être l’Empire du Bien et les gendarmes du monde, décidant des droits ou des états voyous sur la base de leurs intérêts, déclenchant des réactions dans le monde entier.

10) À la différence de certains partenaires européens récalcitrants et critiques face aux impératifs de Biden, l’Italie de Draghi et des dems est le pays qui s’est le plus aligné sur les faucons, souhaitant l’envoi de nos armes et de nos soldats, et éliminant Poutine comme criminel de guerre. Et les tambours de la télévision et des médias, dans leur obsession monothématique, comme à l’époque de la propagande de guerre, se sont conformés et n’admettent pas la dissidence. Une ligne qui trahit la tradition politique de prudence et de négociation qui a caractérisé l’Italie et notre République (…). Le fait d’avoir, en temps de guerre, un haut-commissaire euro-atlantique au Palazzo Chigi [résidence du Premier ministre] au lieu d’un dirigeant politique nous expose à ces effets.

Telles sont les raisons de notre désaccord raisonné. Quiconque conclut que nous sommes pro-Poutine est soit de mauvaise foi, soit un crétin. Nous aimons la vérité et nous sommes pour l’Italie, pour l’Europe et pour un monde équilibré, pacifique et multipolaire.

MV, La Verità (28 mars 2022)

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