Les images de la jeune « influenceuse » ukrainienne enceinte et évacuée de l’hôpital de Marioupol « bombardée par les russes » a fait le tour du monde (il suffit de taper les mots clés <Mariana Marioupol> dans un moteur de recherche). En fait bien qu’elle soit instrumentalisée par la propagande des deux partis, elle est un témoin précieux (Andrea Zambrano dans la NBQ).

La version de Mariana, victime des deux propagandes

Andrea Zambrano
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Pour les Russes, elle était une actrice, à présent elle reçoit des menaces de mort de la part des Ukrainiens parce qu’elle a dit qu’elle n’avait pas entendu un raid aérien. La vidéoblogueuse ukrainienne Mariana Vyscemyrska est victime de deux campagnes de propagande opposées. Le journaliste italien Giorgio Bianchi est allé l’interviewer et a découvert une vérité intéressante. Aujourd’hui ignorée par la presse internationale.

Ils l’ont appelée « la version de Mariana ». Son destin semble être de ne pas être prise en considération, comme une Cassandre des temps modernes, utilisée encore et encore à des fins opposées. En réalité, l’histoire qui a fait d’elle une vedette est le versant humain d’une double propagande de guerre qui fait pression sur une seule personne.

Mariana Vyscemyrska, 29 ans, est la jeune vidéoblogueuse qui est apparue, enceinte en pyjama à pois lors de l’évacuation de l’hôpital de Marioupol, bombardé par les Russes le 9 mars.

Les photos prises par le reporter qui les a vendues à l’Associated Press, la montrant descendant les escaliers du service d’obstétrique avec ses affaires personnelles, son regard effrayé et les coupures sur son visage, ont fait le tour du monde et sont devenues un symbole du conflit dans la ville martyre.

Mariana avait été accusée par les Russes d’être une actrice et la cour de l’hôpital d’être un immense décor. Ses posts sur Instagram faisant la publicité de produits de beauté avaient circulé et la machine dite de désinformation s’était mise en marche, selon le schéma russe éprouvé destiné à soutenir la propagande de guerre. Nombreux sont ceux qui, y compris chez nous, sont tombés dans le panneau et ont écrit que la propagande ukrainienne utilisait les acteurs à ses propres fins.

Le projecteur sur elle ne s’est pas éteint, mais s’est déplacé. Après avoir accouché dans un autre hôpital de Marioupol, avec un reportage du même reporter photo, Mariana a également été interviewée par une chaîne de télévision russe.

L’interview, où le mot guerre n’apparaît jamais (en raison de l’interdiction de Moscou), a toutefois été accusée d’être pleine de coupures. « C’est la propagande russe habituelle », ont vitupéré les journaux occidentaux, valorisant son récit uniquement pour la partie qui désavouait la Russie, comme le fait qu’elle n’était pas une actrice et qu’elle était réellement dans cet hôpital pour accoucher, mais minimisant et discréditant son histoire lorsqu’elle a affirmé n’avoir jamais réellement entendu les raids aériens.

Ce dernier fait contredit la version selon laquelle l’hôpital de Marioupol a été bombardé par des avions russes. Donc, à un moment donné, quelqu’un a suggéré que la jeune femme avait été enlevée par des Russes.

Mais qui est Mariana ? Et que pense-t-elle de la guerre à laquelle elle a participé ? Et a-t-elle vraiment été kidnappée par les Russes ?

Un reporter photo indépendant italien, Giorgio Bianchi, qui suit le conflit dans le Donbass depuis huit ans, a tenté de répondre à ces questions et a pu l’interviewer à son retour chez elle. À Marioupol, la ville qu’elle n’a jamais quittée et où elle a déménagé après s’être mariée il y a deux ans.

L’interview, diffusée en exclusivité pour Visione tv, la chaîne en ligne indépendante qui a lancé une campagne de crowdfunding (financement participatif) pour soutenir les enquêtes de Bianchi en Ukraine, dure une heure et ses propos sont traduits par une Ukrainienne qui parle italien. Est-ce toute la vérité ? Nous ne le savons pas, mais nous savons que Mariana est vivante en chair et en os, qu’elle parle à un journaliste italien, qu’elle est sereine et assise sur le canapé de sa maison et qu’elle n’a ni un pistolet pointé sur la tempe des Russes ni le maquillage cinématographique des Ukrainiens.

En réalité, elle est née à Makeevka, une ville située dans le district pro-russe de Donetsk. Mariana a dit qu’elle était habituée à la guerre car elle l’a chez elle depuis huit ans et que c’est pour cela qu’elle a été évacuée en dernier car, contrairement aux autres femmes enceintes, elle n’a pas paniqué après le bombardement : « Je peux gérer le stress d’un bombardement car j’y suis habituée », a-t-elle dit. A propos de son visage : les blessures sur son visage que les Russes avaient accusées d’être le résultat d’un maquillage. Mariana a dit qu’immédiatement après l’attentat, les sauveteurs ont vu qu’il s’agissait de blessures superficielles et qu’il n’était donc pas nécessaire de les soigner.

Mais c’est dans son récit sur les bombes qu’elle répète qu’elle a clairement entendu des tirs d’artillerie, et non un bombardement aérien, « car les fenêtres et les montants des portes des chambres du service d’obstétrique ont explosé ». Il s’agit évidemment d’un facteur décisif car, le 9 mars, les troupes russes ne contrôlaient pas encore totalement la ville et la bombardaient depuis le ciel. Cependant, son récit ne dément pas non plus les Ukrainiens. En fait, elle ne leur attribue aucune responsabilité dans le bombardement. Elle insiste simplement sur le fait qu’il ne s’est pas produit d’en haut

Pendant le bombardement, elle a couvert son visage avec un drap et a été emmenée au sous-sol pendant dix minutes.

Immédiatement après, l’évacuation a commencé. Ce qui l’a frappée, selon ses propres termes, c’est le fait que des équipes de médias étaient déjà sur place, ainsi que la police et les ambulances, et qu’elles ont même pris des vidéos du bombardement. Il ne s’agit pas d’une accusation, mais d’une simple observation. Elle a elle-même demandé au reporter photo de l’AP de ne pas la photographier. Mais lui (son nom est Evgeniy Maloletka) – qui est décrit comme un « lauréat de prix et un grand professionnel » – l’a fait quand même et a vendu l’image, qui a ensuite fait le tour du monde.

Elle est ensuite montée dans l’ambulance avec son mari et a accouché par césarienne dans un autre hôpital de Marioupol  » dans la dix-septième salle deux jours plus tard « . Mariana a expliqué pourquoi elle a accordé l’interview aux Russes : « Ils m’ont donné la possibilité de parler, tandis que les Ukrainiens ont coupé ce que j’ai dit », puis elle a nié avoir été enlevée. Mais elle a également déclaré que sur son profil, de nombreuses personnes la menacent de mort.

Elle ne dit pas de quel côté elle se situe dans la guerre, mais il est clair que sa perspective est différente de celle de l’Occident et peut être différente de celle d’un citoyen de Butcha ou de Kiev. Cela semble impensable, puisque les deux sont en Ukraine, mais c’est ainsi.

Dans le récit qu’elle fait à Bianchi, elle parle avant tout de la guerre dans la région de Donetsk, qui dure depuis huit ans, de ses amis morts à l’âge de 20 ans, des enfants tués dont on se souvient dans un mémorial appelé « L’avenue des anges » : « Une amie est morte et son mari aussi, seul son fils est resté en vie, c’est une chose terrible. Lorsque la guerre civile a commencé, j’avais 21 ans et je travaillais dans l’administration régionale de Donetsk.

C’est l’histoire d’une femme qui n’a pas été frappée par la guerre le 9 mars dans l’hôpital de Marioupol, mais bien des années auparavant. Une femme qui a vu des maisons détruites et des familles anéanties et qui pleure en se souvenant de ses amis morts et de la haine entre frères : « Pour moi, il n’y a jamais eu de différences entre les Ukrainiens et les Russes, des enfants étrangers qui ne parlaient pas russe venaient étudier à Donetsk, il y avait de l’harmonie, je n’aurais jamais imaginé qu’un peuple fraternel parlant la même langue puisse se détester à ce point. Je me souviens des avions ukrainiens qui bombardaient Donetsk et ils continuent à le faire, même maintenant, vous êtes ici et vous pouvez le voir de vos propres yeux ».

Lorsque le journaliste l’a interrogée sur les nationalistes, elle a seulement répondu : « J’espère ne jamais avoir à les affronter, car ils me terrifient ». Puis, elle conclut en rappelant ce qu’est cette guerre vue à travers ses yeux : « Nous sommes un instrument dans cette guerre, ce qui se passe à Donetsk et Marioupol n’intéresse pas et n’a jamais intéressé : cela intéresse la relation entre la Russie et l’Occident ».

De ses propos, même s’il n’émerge pas explicitement de prises de position que l’on pourrait qualifier de « pro-russes », on peut comprendre pourquoi la population, lorsqu’elle voit les troupes russes arriver à Mariupol et Donetsk, les salue comme des libérateurs. Mais ce n’est qu’un aspect de cette guerre, un aspect partiel si l’on veut. Mais il explique certaines choses.

Et Mariana est un témoin précieux, elle ne prend pas parti pour les Russes et ne déteste pas sa patrie, mais elle est condamnée à être utilisée par les deux propagandes à des fins opposées.

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