Témoigner la vérité: c’est la devise épiscopale de Mgr Gänswein, qui reprend presque mot pour mot celle de Benoît XVI. Le secrétaire du Saint-Père répond ici aux questions du correspondant à Rome du journal catholique polonais Niedziela.

L’Église doit proclamer la vérité et communiquer la beauté de la foi.

15 Avril 2022 
Włodzimierz Rędzioch

Le prêtre qui m’accueille à l’entrée du monastère Mater Ecclesiae est depuis près de vingt ans le plus proche collaborateur de Joseph Ratzinger d’abord préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, puis pape, et depuis 2013, pape émérite. Ils vivent ensemble dans une résidence des jardins du Vatican, qui a abrité pendant de nombreuses années diverses communautés de religieuses cloîtrées. J’ai rencontré l’archevêque Georg Gänswein à un moment particulier – après les attaques contre Benoît XVI provoquées par la publication d’un rapport controversé et peu crédible sur les abus sexuels envers des enfants dans l’archidiocèse de Munich, et à la veille du 95e anniversaire du pape émérite

Włodzimierz Rędzioch : Quand vous étiez jeune, vous vouliez devenir chartreux. Les moines chartreux vivent dans le silence contemplatif et la solitude et, comme le dit leur statut, « séparés de tous », ils se tiennent « au nom de tous devant le Dieu vivant ». Mais vous avez choisi une autre voie : il y a 40 ans, vous avez été ordonné diacre et il y a 38 ans prêtre par l’archevêque de Fribourg. Depuis lors, votre vie de prêtre a été « dans le monde ». Pouvez-vous vous rappeler les étapes de votre vie sacerdotale ?

Mgr Georg Gänswein: Cela fait maintenant 37 ans que je suis prêtre, j’ai été ordonné en mai 1984. C’est vrai que je pensais devenir un moine chartreux. En deuxième année de séminaire, avec un autre séminariste, nous sommes allés faire une retraite dans un monastère chartreux. J’étais fasciné par ce monde hors du monde : le silence, la spiritualité profonde, la vie dans un lieu entouré de bois. Avant de retourner au séminaire, je me suis confessé à un vieux chartreux qui m’a dit : « Terminez d’abord vos études. Si le Seigneur vous veut ici, vous reviendrez. Si c’est une lubie passagère, vous choisirez une autre voie. Et finalement, j’ai décidé de devenir prêtre dand l’endroit d’où je viens, Freiburg im Breisgau. Si je suis maintenant ici au Vatican en tant que secrétaire du pape émérite, ce n’était pas prévisible, ce n’était pas dans mon plan de vie. Tout est arrivé même si je n’avais rien prévu. Au début, j’étais vicaire, puis l’évêque m’a demandé de poursuivre mes études : j’ai fait mon doctorat à Munich. J’ai travaillé avec l’évêque pendant un certain temps, mais ensuite est arrivée la requête d’un emploi pour une certaine période à la Curie romaine. Et cette période n’est pas encore terminée…

– Votre devise en tant qu’archevêque est Testimonium perhibere veritati (témoigner de la vérité). Ce sont les paroles de Jésus à Pilate : « Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité ». La devise épiscopale de Benoît XVI, qui se lit Cooperatores Veritatis, fait elle aussi référence à la Vérité. Pourquoi, dans le monde d’aujourd’hui, est-il si nécessaire, mais aussi si difficile, de proclamer la vérité ?

Il est vrai que ma devise est très similaire à la devise épiscopale du Cardinal Ratzinger, qui est tirée de la Lettre de saint Jean. J’ai étudié les écrits du cardinal Ratzinger et, en travaillant avec lui comme secrétaire, j’ai été fasciné par la question de la vérité. La vérité est que Dieu est Amour. J’ai choisi cette devise comme fil conducteur de ma vie. Le but de ma vie, en tant que prêtre et en tant qu’évêque, est de servir la vérité, de témoigner de la vérité. Parce que, comme le dit aussi saint Jean, la vérité nous rendra libres. La vérité nous ouvre les yeux, nous immunise contre les mensonges, contre les « fake news ». Bien sûr, il faut une volonté sincère d’accepter et de suivre la vérité.

– Votre dernier livre, Témoigner la vérité, commence par cette citation: « L’Église est intolérante en principe, parce qu’elle croit, et tolérante en pratique, parce qu’elle aime. Les ennemis de l’Église sont tolérants en principe, car ils ne croient pas, et intolérants en pratique, car ils n’aiment pas ». Pourquoi avez-vous choisi ces mots du dominicain Réginald Garrigou-Lagrange comme introduction de votre livre ?

Pour le monde, l’Église est intolérante dans les principes car elle a des dogmes. C’est pourquoi le monde combat l’Église « dogmatique »… J’ai choisi cette phrase parce qu’elle est très profonde, mais aussi provocante. L’Église n’est pas une organisation créée par des hommes pour atteindre certains objectifs. Non, l’Église est le Christ qui continue à vivre, l’Église est le pilier de la vérité qui a un message, la Bonne Nouvelle, qui n’est pas inventé par les hommes. Son message est la Parole de Dieu, la Révélation de Dieu. Aujourd’hui encore, l’Église parle à l’homme. Évidemment, l’homme est marqué par le péché originel et dans le monde difficile d’aujourd’hui, il doit être aidé par l’Église à travers les sacrements pour trouver son chemin vers le but ultime, c’est-à-dire la vie éternelle. La déclaration de Garrigou-Lagrange exprime cette vérité de manière provocante et nous aide à réfléchir à notre réalité.
Nous pourrions dire que la vérité est intolérante dans le sens où, en tant que contenu, elle ne change pas. C’est l’homme qui change. En agissant, en parlant et en pardonnant, nous devons être tolérants envers l’homme, mais pas envers ses « vérités » personnelles. La vérité nous a été donnée par Dieu avec pour but notre salut. Et c’est le but ultime de la proclamation de la parole de Dieu et des sacrements.

– Ces derniers temps, on a beaucoup parlé de la crise de l’Église. Certains veulent procéder à des réformes radicales, « adapter » l’Église à la mentalité du monde, abolir le célibat, introduire le sacerdoce des femmes, etc. Vous citez plutôt Benoît XVI qui a déclaré : « La véritable crise de l’Église dans le monde occidental est une crise de la foi. Si nous ne parvenons pas à un véritable renouveau de la foi, toutes les réformes structurelles de l’Église s’avéreront inefficaces ». Pourquoi les gens ne veulent-ils pas admettre que la véritable cause de la crise de l’Église est la crise de la foi ?

Je me suis posé cette question à de nombreuses reprises. Toutes les « réformes » que l’on exige de l’Église ont déjà été expérimentées dans d’autres Églises, par exemple en Hollande et en Belgique. Mais grâce à ces prétendues réformes, les Eglises ne sont pas devenues meilleures, plus fortes, plus fidèles à la Parole de Dieu. C’est maintenant ce qu’ils veulent faire en Allemagne. Ce sont des choses anciennes, qui n’amènent pas les fidèles à l’Église, loin de là. Toutes ces prétendues réformes que l’on cherche à obtenir en Allemagne ont été introduites il y a longtemps dans les églises protestantes, mais elles n’ont plus de fidèles, il n’y a plus d’amour pour Dieu, il n’y a plus de foi. Leur réalité est catastrophique. La vraie réforme devrait signifier une réforme personnelle, en commençant par soi-même : essayer d’approfondir sa foi, de suivre le Seigneur, de réaliser plus sincèrement sa parole dans sa vie. En regardant l’histoire de notre Église, nous voyons les grands saints qui ont réformé l’Église non pas par des réformes de structures, mais par l’exemple d’une vie sainte. Le remède pour l’Église n’est pas d’édulcorer le message de l’Évangile, mais de redécouvrir la beauté de la Parole de Dieu.

– Vous avez été le témoin privilégié du pontificat extraordinaire, bien que contesté, de Benoît XVI. Que signifie son pontificat dans l’histoire de l’Église?

L’histoire elle-même répondra à cette question, peut-être aujourd’hui est-il encore trop tôt pour le dire. Dans sa première homélie après son élection, il a déclaré qu’il n’avait pas de programme pour son pontificat. Cela signifiait que le pape Benoît XVI s’est fait l’instrument du Seigneur et a placé l’annonce de Dieu, la prédication de la Parole de Dieu, au centre de son pontificat. Tout ce que l’Église peut faire, c’est communiquer la beauté de la foi. Pour l’homme moderne, la vérité et la beauté sont les choses les plus importantes, qui donnent un sens à la vie et remplissent le cœur et l’âme.
L’autre aspect du pontificat de Benoît XVI est son magistère ; non seulement les catéchèses, les homélies et les discours importants, mais aussi les encycliques. Mais je voudrais aussi mentionner l’ouvrage sur la vie de Jésus, que Benoît XVI a écrit non pas en tant que pape, mais comme une contribution personnelle : cette trilogie est une sorte de testament scientifique, spirituel et théologique de sa part.

– Qui est Benoît XVI pour vous personnellement ?

Nous nous connaissons personnellement depuis 26 ans, depuis que je travaille à la Curie. Notre connaissance s’est approfondie quand, en 2003, je suis devenu son secrétaire personnel et, après l’élection papale, il m’a confirmé comme son secrétaire. Depuis des années, c’est la vie en commun : nous faisons presque tout ensemble et pour moi, il est devenu une personne que je tiens en très haute estime. Je le vois prier, travailler, parler. C’est une personne très douce et affable, mais en même temps très ferme lorsqu’il s’agit de principes.

– Nous approchons du 95e anniversaire de Benoît XVI. Comment est le pape émérite ?

Nous avons dû faire face aux vilaines attaques médiatiques liées à la publication du rapport d’un cabinet d’avocats de l’archidiocèse de Munich. Mais malgré tout, il est resté très calme. Ce qu’il avait à dire, il l’a dit honnêtement et clairement. Devant Dieu, il a la conscience tranquille. À 95 ans, c’est un homme très faible, mais, Dieu merci, il a une grande clarté d’esprit. Malheureusement, sa voix est également très faible et il est difficile de le comprendre : il faut un peu d’entraînement. Mais sa présence elle-même est un message et un témoignage qui fait du bien à nous, qui sommes proches de lui, et à l’Église.

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