Chaque année, le 25 avril, on célèbre en Italie l’anniversaire de la Libération du 25 avril 1945. Occasion pour les « antifascistes » de parader et de jouer à se faire peur en ressuscitant un fantôme qui n’existe plus que dans leur imagination (encore que… c’est tout le paradoxe de l’article qui suit). Notons quand même qu’à la différence de la France, l’Italie a vraiment vécu le fascisme, qu’elle a même inventée (donc, contrairement à nos antifascistes en peau de lapin qui ignorent l’histoire et même l’étymologie du mot dont ils ont la bouche remplie, ceux de l’autre côté des Alpes devraient savoir un peu mieux de quoi ils parlent). Marcello Veneziani s’adresse, non sans humour, à ses compatriotes antifascistes et, s’inspirant d’un recueil de textes de Guillaume Faye, il leur suggère de ne pas trop tirer sur la corde, car par un effet boomerang, ils pourraient bien obtenir l’inverse de ce à quoi ils prétendent. L’avis vaut bien sûr pour nos propres antifascistes, bien ignares, eux, et à ceux, moins ignares mais cyniques qui les ont instrumentalisés et qui ont usé ces jours-ci jusqu’à la corde la menace du retour du fascisme.

Attention à ne pas éterniser l’antifascisme

Messieurs de l’Antifascisme permanent et du fascisme éternel, qui vous apprêtez à célébrer pour la énième fois le 25 avril avec emphase morale et politique, je vous adresse du fond du cœur une exhortation passionnée ou dépassionnée, dans votre propre intérêt et pour le bien de la cause que vous entendez défendre.

Si vous répétez sans cesse que l’ennemi absolu des pouvoirs en place est le fascisme, vous finirez par disqualifier l’antifascisme aux yeux du peuple et par réévaluer le fascisme. Réfléchissez un instant : si les gens, comme vous pouvez largement le constater, ne supportent plus la Pensée unique, le régime actuel de surveillance, d’hégémonie et de domination, et si vous identifiez tout cela à l’antifascisme, et tout ce qui s’y oppose au fascisme, vous pousserez ces mêmes gens à mépriser l’antifascisme et à apprécier ce qui est à ses antipodes, que vous appelez fascisme.

L’échec du système actuel, la méfiance du peuple à l’égard de l’establishment et du mainstream, la distance de plus en plus marquée par rapport au menuet des institutions et au jargon des médias de masse patronaux sont tous trop évidents aux yeux de la population ; il est donc peu approprié de traduire le consentement au système comme une profession d’antifascisme et la dissidence à son égard comme du fascisme. Parce qu’au fond, les gens penseront : la seule alternative à tout cela s’appelle le fascisme. Et alors, peut-être réévalueront-ils ce qui, pour vous, a été objet de scandale et de vitupération pendant de trop nombreuses décennies.

Il y a quelques jours, je lisais un livre récemment publié, « Dei e potenza » qui rassemble des écrits épars d’un penseur français décédé il y a trois ans. Giullaume Faye pensait exactement comme vous, mais arrivait de façon cohérente à des conclusions opposées. Considérant le fascisme comme un phénomène qui ne s’est pas arrêté à l’expérience historique de Mussolini, mais comme un mouvement mondial d’une portée immense, Faye observait que le fascisme s’oppose « dans tous les domaines humains, culturels, esthétiques, philosophiques, spirituels et évidemment sociaux, économiques, géopolitiques et politiques ». Et il concluait que « le fascisme est la seule vision du monde qui est diamétralement opposée à tous les points de vue, dans l’analyse comme dans les objectifs et les idéaux, à toute autre idéologie ». Et même,  » le fascisme est le seul porteur d’un projet radical ».

Inversée, c’est la même conviction qui alimente la fabrique d’opinion du Régime. La source de Faye se trouve dans un écrivain et journaliste italien vivant en France, Giorgio Locchi [l’un des principaux représentants de la « Nouvelle droite », ndt], qui a écrit il y a quarante ans un petit essai sur « L’essence du fascisme ». Pour Locchi, le fascisme n’est pas un phénomène confiné dans le passé, mais une sorte de feu permanent allumé dans l’histoire européenne. En réalité, l’essence du fascisme transcende les expériences contingentes et transitoires du fascisme historique : les fascismes passent mais le Fascisme en tant qu’essence demeure. Et il devient même le seul mouvement véritablement révolutionnaire. C’est une thèse suggestive, voire fascinante, que je ne partage personnellement pas, notamment dans la déclinaison  » surhumaniste  » que lui donnent les deux auteurs.

Selon Faye, « le Système est parfaitement conscient de tout cela » et c’est pourquoi, depuis les années 30 jusqu’à aujourd’hui, « un front antifasciste a été inventé » qui est donc devenu permanent. En effet, à mesure que les années ont passé et que l’expérience historique du fascisme et de sa chute s’est éloignée, l’antithèse fascisme-antifascisme s’est accentuée et est devenue la principale clé pour comprendre le monde d’aujourd’hui. Du reste, que sont les dénonciations constantes d’une résurgence du nationalisme, du populisme, du racisme, de la xénophobie, du machisme, sinon des variations sur la même corde fasciste ? L’antifascisme, note Faye, est désormais « une réaction religieuse et métaphysique », donc plus historique ni politique.

Selon Faye, l’exaspération du dualisme fascisme-antifascisme est née « à partir du moment où le Système n’a plus eu son frère ennemi communiste interne, dans les années 1990 » ; alors « le fascisme a été à nouveau désigné comme un danger absolu ». Faye critique ceux qui, à droite, accusent l’idéologie dominante de chasser des « fantômes ». Au contraire, « l’idéologie dominante fait preuve de discernement et a parfaitement raison de craindre le scénario d’une résurgence du fascisme ». Parce que le fascisme « est toujours vivant, et plus que jamais ». Toute cette alarme antifasciste, note Faye, a grandi avec la croissance des mouvements identitaires. Les gouvernements, note l’écrivain français, tentent alors frénétiquement de se légitimer par la négative : c’est nous ou le déluge, c’est-à-dire « l’hydre fasciste, la Bête immonde, la pornographie politique et morale, le pillage du temple des droits de l’homme, en pratique la tyrannie aggravée par l’abomination raciste ». Bref, une belle pirouette : l’antifascisme permanent finit par donner raison au superfascisme éternel, et vice versa.

Et nous, qui ne croyons ni au superfascisme éternel ni à l’antifascisme pérenne, restons consternés, et légèrement amusés, par cet entrelacs pervers de convergences. Raison de plus pour répéter : attention à ne pas abuser du fascisme, car tôt ou tard, les sorcières longtemps évoquées risquent d’arriver. Peut-être à partir de directions imprévues, de sujets inattendus…

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