(Eh oui, après une pause de réflexion, me revoilà: disons qu’il n’est pas facile, et même risqué de commenter l’actualité en ce moment particulier). Partant de l’omniprésence du Pape dans les médias italiens (n’oublions pas que nos voisins ont par le simple fait de la localisation du Vatican, un rapport privilégié avec la papauté et que pour eux, le pape est une personnalité locale familière qu’on appelle simplement « Bergoglio » à l’instar d’un leader politique) Andrea Gagliarducci élargit sa réflexion à la place de l’Eglise dans l’Occident en général, l’UE en particulier, avec une place particulière (peu flatteuse) pour la Belgique… Et met en garde contre le risque de reléguer l’Eglise aux pages culturelles des magazines et le discours religieux à un fait de société toléré uniquement s’il reste dans les limites du politiquement correct..

Pape François, le défi de ne pas réduire la religion à une culture

Monday Vatican
9 mai 2022

Le pape François est apparu dans deux programmes sur la chaîne de télévision gouvernementale italienne RAI au début de la période de Pâques. Le premier, A Sua Immagine, est un programme historique réalisé en collaboration avec la Conférence des évêques italiens, contenant également l’Angelus du pape François chaque dimanche. Le second, I volti dei Vangeli, était en revanche une production de RAI Cultura en collaboration avec le département de la communication de la RAI, qui comprenait divers commentaires du pape sur les protagonistes des Évangiles. Il s’agissait d’un programme conçu pour un diffuseur catholique à l’occasion de Noël, avec d’autres thèmes, puis revendu à la RAI en tant que coproduction.

L’omniprésence du pape dans les médias n’est pas surprenante. Plus que tout autre pape, François accorde des interviews, se montre à la télévision, prend des positions politiques (comme celle sur l’OTAN dans la dernière interview au Corriere della Sera), et fait entendre sa voix.

Pourtant, cette omniprésence de l’image du Pape risque d’avoir l’effet inverse, à savoir que le Pape devient une sorte de présence routinière dans les médias, que son image devient prédominante et éclipse aussi l’Église elle-même. En pratique, la personne du Pape devient un fait culturel, une voix comme celle de nombreux autres, intellectuels ou pas, dans le paysage de l’information.

La question doit être abordée car la réduction des apparitions du Pape à des événements habituels risque de se répercuter sur toute l’Église et, en général, sur la façon dont les religions sont perçues dans la société.

Les signes en ce sens sont tous là. La RAI, la télévision publique italienne, dispose depuis 2002 d’une structure appelée « RAI Vaticano« , qui s’occupe de l’information religieuse. Mais, au fil des ans, elle a été lentement privée de ses caractéristiques, étant réduite à une structure de production d’un seul programme d’une demi-heure qui est diffusé une fois par mois, tard dans la nuit.

Cependant, depuis 2021, avec la nouvelle structure organisationnelle du réseau, l’information religieuse est devenue l’une des responsabilités du département de la culture et de l’éducation. Par conséquent, en pratique, l’information religieuse ne devient qu’un phénomène culturel, ne méritant pas une étude plus approfondie ou une direction spécifique attentive à son vocabulaire et qui regarde les religions dans leur rôle fondamental au sein de la société.

La question semble marginale, mais elle ne l’est pas. Car c’est précisément en réduisant la religion à un phénomène culturel que s’est produit, ces dernières années, ce que l’on a appelé au Québec, au Canada, une révolution tranquille. Une révolution qui a entraîné une vague de sécularisation de la société, mettant de côté les religions pour nier leur indéniable signification spirituelle.

En Europe, la dernière révolution de ce genre a eu lieu en Belgique. En l’espace de quatre ans, ce qu’on a appelé les cours de rien, les cours d’éducation civique à ajouter puis à superposer aux heures de religion, ont été mis en place. Au départ, les cours d’éducation civique sont entrés dans les programmes scolaires sur la pointe des pieds, à raison d’une heure par semaine. Aujourd’hui, les heures ont été doublées, tandis que les cours de religion sont devenus facultatifs, en un véritable coup de force qui s’est produit par un vote parlementaire auquel même les évêques belges n’ont pas participé. De cette façon, la transition vers des enseignements neutres élaborés par des professeurs considérés comme neutres, c’est-à-dire sans information religieuse, est en train de se finaliser.

Comme mentionné, le modèle s’est notamment développé dans la région francophone du Québec, au Canada, où, au début des années 2000, un cours obligatoire d’éthique et de culture des religions a été mis en place avec des professeurs à qui il était interdit de se présenter comme croyants et d’appartenir à une communauté de foi. Le cours fournissait des informations sur les principales religions du monde et abordait des questions controversées, telles que l’avortement et l’euthanasie, avec l’obligation de ne pas prendre position dans un sens ou dans l’autre.

La philosophie de cette approche a été fournie par le créateur des cours, le philosophe George Leroux, qui a souligné qu’ « il est désormais temps de penser la transmission de la culture religieuse non plus comme une foi, mais comme une histoire, comme un patrimoine universel de l’ « humanité ». »

Il est frappant que l’introduction de ces cours ait été approuvée par un gouvernement conservateur, composé aussi de catholiques. C’est un signe que même dans le monde catholique, l’ampleur du défi n’est pas comprise.

Un défi qui a déjà atteint les extrêmes. Le 3 mai, une résolution sur la persécution des minorités fondée sur la croyance et la religion a été votée au Parlement européen. Le point 22 stipule que le Parlement

« se déclare profondément préoccupé par l’utilisation abusive et l’instrumentalisation de la croyance ou de la religion pour imposer des politiques discriminatoires, des lois, y compris des lois pénales, ou des restrictions qui contredisent et sapent les droits des personnes LGBTIQ, des femmes et des filles et limitent l’accès aux services de base, tels que l’éducation et la santé, y compris les droits sexuels et reproductifs, criminalisent l’avortement dans tous les cas, criminalisent l’adultère ou facilitent les pratiques religieuses qui violent les droits de l’homme ».

Nous avons déjà atteint le point où les hommes de foi ne peuvent pas parler, ne peuvent pas avoir d’opinion, et ne peuvent pas contribuer à la construction du monde. Il s’ensuit que tout discours considéré comme religieux est persécuté. Tout besoin qui découle d’une condition spirituelle n’est pas considéré.

C’est une tendance qui s’est déjà manifestée lors de l’ « urgence COVID », lorsque les restrictions n’ont pas tenu compte des besoins spirituels des personnes, avec l’application de restrictions pour les fonctions religieuses alors que des exceptions pour les besoins matériels étaient envisagées.

Ce sont autant de conséquences auxquelles il faut faire face. Il est frappant que la télévision publique italienne, qui a toujours eu un rapport privilégié avec le Saint-Siège, se joigne à cette course à la marginalisation de la religion, en établissant fondamentalement qu’un Pape qui célèbre la Via Crucis au Colisée ou donne des interviews sur la culture n’envoie pas de messages de foi mais est dans le domaine de la culture.

Le silence des étages supérieurs du Vatican [autrement dit la Secrétairerie d’Etat] sur cette question est lui aussi surprenant. Pourtant, lorsqu’après le 11 septembre, il a été question d’écoles internationales sous l’égide d’organismes internationaux pour enseigner la culture des religions et éviter l’extrémisme, le Saint-Siège a fait un travail incroyable en coulisses, précisément pour souligner que non, la religion n’était pas un simple fait culturel, et ne pouvait donc pas être traitée comme tel.

C’est un problème de sécularisation de la religion. Avec son idée de l’Église sortante, le pape François a une forte présence dans les médias. Tant qu’il n’abordera pas les questions importantes, tant qu’il ne réaffirmera pas l’importance du fait religieux, il restera un pape populaire mais sans rapport avec les défis substantiels et réels de l’époque. Et chacun pourra tirer profit de cette situation.

Après tout, les paroles du Pape rapportent beaucoup d’argent, et il suffit de lire les noms de ceux qui produisent les interviews pour comprendre qu’à l’heure actuelle, le risque que le Pape devienne un business comme un autre est déjà là, est présent.

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