21 janvier: il y a 223 ans, la mort du Roi


Le récit bouleversant de ses dernières heures dans la biographie de Bernard Faÿ "Louis XVI ou la fin d'un monde" (21/1/2016)

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Image ci-dessous : Adieux du Roi à sa famille, représentée d'après nature par un témoin, par J.B. Mallet (tiré du livre de P et P Girault de Coursac "Louis XVI, un visage retrouvé, portrait physique et moral du dernier Roi très chrétien")




Cette biographie (parue en 1954) est assurément la meilleure et plus belle de celles consacrées au Roi-Martyr, si l’on exclut évidemment l’œuvre gigantesque de Paul et Pierrette Girault de Coursac, les historiens exclusifs du Règne. Les lecteurs intéressés se reporteront au site que j’ai consacré au Roi, il y a déjà ... longtemps : beatriceweb.eu/LEROI (bibliographie détaillée ici)

 

La mort du Roi


Bernard Faÿ
Edition de la Table Ronde (édition originale aux éditions Présence de l'Histoire, 1955)


Ce soir-là, le Roi se tenait à sa table à méditer, le dos tourné à une lampe placée sur la cheminée, les coudes appuyés sur la table, le visage couvert de ses mains. Il entendit Malesherbes (*), leva la tête et lui dit : « Depuis deux jours, je suis occupé à chercher si, dans le cours de mon règne, j'ai pu mériter de mes sujets le plus léger reproche. Eh bien ! Monsieur de Malesherbes, je vous le jure, dans toute la sincérité de mon coeur, comme un homme qui va paraître devant Dieu, j'ai constamment voulu le bonheur du peuple et n'ai pas formé un seul voeu qui lui soit contraire.
Malesherbes acquiesça, puis, d'une voix sourde, lui apprit le décret de mort. Sans trouble ni tristesse, le Roi l'embrassa, le réconforta, écouta les détails qu'il lui donnait sur le scrutin. Puis, ils rédigèrent la demande de sursis ; ne pourrait-on pas retourner cette majorité si faible ? Enfin, Louis XVI le remercia, le pria de convoquer en hâte l'abbé Edgeworth ; et Malesherbes se retira pour accomplir ces missions.
Des girondins, payés par lui, appuyèrent la demande en raison de la situation extérieure. Barère répondit que ce serait prolonger une situation pénible et dangereuse. Ils furent battus par 380 voix à 310. Cependant, dans sa tour, auprès de son maigre feu, Louis XVI considérait la liste des députés qui avaient voté sa mort : « Je ne cherche aucun espoir, dit-il à Cléry (**), mais je suis bien affligé de ce que Monsieur d'Orléans, mon parent, a voté ma mort... » Cléry lui conta que la venue de Dumouriez à Paris indiquait la volonté de l'armée qu'il vécût ; du reste, une émeute pouvait se produire. « Je serais fâché qu'elle eût lieu, reprit Louis XVI ; il y aurait de nouvelles victimes... Je vois le peuple, livré à l'anarchie, devenir la victime de toutes les factions, les crimes se succéder, de longues dissensions déchirer la France. »
Ainsi passaient les heures. Malesherbes ne vint ni le 18 ni le 19. Pour s'occuper, Louis XVI fit une logogriphe ; il trouva le mot « sacrifice » ; puis il relut la mort de Charles ler.
Le samedi 19, on fouilla minutieusement ses deux pièces. Le soir, il se plaignit qu'on le séparât de ses conseils et fit un billet à la Commune pour réclamer aussi qu'on cessât de le garder à vue.
« On doit sentir que, dans la position où je me trouve, il est bien pénible pour moi de ne pouvoir être seul et de ne point avoir la tranquillité nécessaire pour me recueillir. » La présence obsédante d'un surveillant haineux encombre de boue l'âme du captif.
Le 20 janvier, dès son lever, il réclama sans succès la réponse à son billet ; la matinée se traîna dans l'attente. A deux heures, on ouvrit brusquement la porte ; le Conseil exécutif au complet, le maire, les autorités du Département, quinze personnes emplirent la chambre. Le Roi, dès qu'il entendit du bruit, se leva ; il leur fit face, sans trouble et sans colère. Garat, ministre de la Justice, lut les décrets de la Convention qui le déclaraient coupable de conspiration contre la liberté de la nation. Louis XVI écouta sans qu'un muscle de son visage remuât ; il marqua d'un léger sourire le mot « conspiration ». Puis, d'un regard paisible, il les dévisagea tous. Sans hâte, il rangea dans son portefeuille, puis dans sa poche, le décret de mort.
Il lut ensuite, et leur remit une lettre à la Convention, où il demandait trois jours pour se préparer à paraître devant Dieu, la visite de son confesseur, la levée de la surveillance perpétuelle et la faculté de voir sa famille. Il recommandait à la nation ceux qui lui avaient été attachés. Garat prit la lettre et promit de la remettre promptement à la Convention. Au dernier moment, le Roi lui remit l'adresse de l'abbé Edgeworth.
A son dîner, on lui ôta fourchette et couteau, comme aux forçats. Il mangea peu et reprit sa lecture. A dix heures, grand bruit ; Santerre parut, précédant Garat la Convention lui accordait ses demandes, sauf le délai. Il écouta, immuable. Vive déception pour les gardiens, venus « pour voir la grimace qu'il ferait ».
Garat, au contraire, et ses collègues rougissaient de honte. Aussi, quand le Roi le lui demanda, Garat s'empressa-t-il de lui annoncer Edgeworth. Puis survint l'abbé lui-même. Dès qu'il l'aperçut, Louis XVI fit un geste de la main et les ministres sortirent.
Sitôt seuls, l'abbé tomba aux pieds de Louis XVI en pleurant. Pour la première fois, le Roi s'attendrit, puis, se reprenant, il s'excusa. L'habitude de vivre parmi des ennemis lui rendait la vue d'un sujet fidèle un spectacle fort émouvant. Il mena l'abbé Edgeworth dans sa tourelle ; il l'y fit asseoir, lui montra son testament et lui demanda où en était le clergé français. Vers huit heures et demie, l'annonce que sa famille était là les interrompit. Aussitôt, il s'y rendit. Et, revoyant les siens, il s'émut d'abord ; ils s'assirent unis en un groupe sanglotant ; puis, il leur raconta le procès avec sérénité ; il rappela au Dauphin ses devoirs religieux et celui de pardonner à ses bourreaux. Il bénit ses deux enfants, leur parla avec tendresse et les consola. Mais il refusa que la famille passât la nuit avec lui. Il avait trop besoin de sérénité. Il promit, pourtant, de la revoir le matin. En partant, la Reine défaillait.
Il les congédia à dix heures et quart pour consacrer ses dernières heures à Dieu. « Ah ! Monsieur, dit-il à l'abbé, quelle entrevue que celle que je viens d'avoir ! Faut-il que j'aime et que je sois si tendrement aimé ? Mais c'en est fait, oublions tout le reste pour ne penser qu'à l'unique affaire de notre salut ; elle seule doit en ce moment concentrer toutes mes affections et mes pensées. » Il se confessa donc. Puis, vers onze heures, il prit un léger souper et força l'abbé à l'imiter. Celui-ci, que la confession du Roi pénétrait de componction, lui proposa de lui donner la communion. Tâche difficile et dangereuse, mais la joie de Louis XVI était si grande que l'abbé Edgeworth n'hésita pas à voir aussitôt les commissaires qui surveillaient le Foi ; il obtint d'eux, enfin, la permission et les moyens de dire la messe.
Edgeworthh rapporta l'heureuse nouvelle au Roi. Rassuré, plein de joie spirituelle, il causa tard dans la nuit avec l'abbé, puis il se coucha en disant à Cléry de l'éveiller à cinq heures. Il se
réveilla le premier : « J'ai bien dormi, dit-il à Cléry qui allumait le feu ; j'en avais besoin, la journée d'hier m'avait fatigué. » Cléry l'habilla et le coiffa en silence. A six heures, l'abbé dit la messe sur une commode installée au milieu de la pièce. Le Roi la suivit à genoux et communia pieusement.
La messe terminée, Cléry le pria de le bénir. Il le fit en le remerciant de ses loyaux services. Il lui remit un cachet pour son fils, un anneau pour la Reine, une mèche de ses cheveux. Il plaça sur la cheminée les autres objets, montre, portefeuille, etc.
Depuis cinq heures, on battait la générale ; des troupes de cavalerie entraient dans la cour du Temple. Le Roi désira âprement revoir les siens. Le prêtre le lui déconseilla, car la Reine ne le supporterait pas. « Vous avez raison, ce serait le coup de la mort ; il vaut mieux me priver de cette douce consolation et la laisser vivre d'espérance quelques moments de plus. »
Depuis sept heures, on frappait à sa porte ; brimades de fonctionnaires zélés ! A neuf heures, un grand, fracas annonça Santerre. On prévint le Roi que l'heure fatale était venue. « Je suis en affaire, répondit-il. Attendez-moi là. Je serai avec vous. » Fermant la porte, il s'agenouilla devant Edgeworth : « Tout est consommé, Monsieur, donnez-moi votre dernière bénédiction, et priez Dieu qu'il me soutienne jusqu'à la fin. »
Puis, il rentra dans sa chambre, prit son chapeau et suivit les gardes, moins chagrin qu’eux. A la seconde cour, on l'installa dans une voiture de place, avec l'abbé et deux gendarmes. Nul ne parlait, il lisait le bréviaire d'Edgeworth. On entendait le piétinement des soldats, le bruit des tambours. La marche, lente et interrompue, dura deux heures.
La pensée du Roi se reportait vers le passé. Quel besoin d'aimer en lui ! Comme il avait aimé ce peuple ! Mais que de haine contre lui ! Choiseul, l'homme des philosophes ; parlementaires et sectaires, puis Orléans, les Trente, les jacobins. Aujourd'hui, ils triomphaient ; la France reniait sa tradition, sa civilisation et sa foi. Elle refusait cette suprématie sur l'univers que sa race avait voulue, et lui, obtenue. Que deviendrait- elle sans ancre et sans boussole, même si son peuple gardait ses qualités héroïques et son génie merveilleux ? II ne regrettait rien. Plutôt mourir que tuer ses sujets.
Cependant, dans tous les coins de Paris, des royalistes cher chaient une occasion d'agir; . la veille, l'un d'entre eux avait assassiné Lepeletier de Saint-Fargeau. Mais le 21 janvier 1793, la police, nombreuse et tendue, empêcha de rien faire. La voiture parvint ainsi place Louis-XV. Alors, elle s'arrêta, et on le fit descendre. Auparavant, de son ton toujours calme et ferme, il réclama qu'on respectât l'abbé après sa mort. Trois bourreaux l'entourèrent pour lui ôter ses vêtements. Il les repoussa et défit son col et sa chemise. Ils voulurent lui lier les mains. « Me lier ! répondit-il avec indignation. Non, je n'y consentirai jamais ; faites ce qui vous est commandé, mais vous ne me lierez pas, renoncez à ce projet. »
La scène pouvait devenir atroce ; l'abbé Edgeworth lui murmura : « Sire, dans ce nouvel outrage, je ne vois qu'un dernier trait de ressemblance entre Votre Majesté et le Dieu qui va être sa récompense. » Ce fut comme un coup de fouet dans le visage du Roi. Il leva vers le Ciel des yeux où, pour la première fois, il y avait une lueur rouge. « Assurément, s'écria-t-il, il ne faut rien moins que son exemple pour que je me soumette à un pareil affront. » Puis, aux bourreaux : « Faites ce que vous voulez, je boirai le calice jusqu'à la lie. »
On lui lia les mains derrière le dos. Il monta sans hésiter les marches raides de l'échafaud. Puis, en haut, échappant aux bourreaux, il s'avança face à la foule et s'écria, d'une voix tonnante : « Je meurs innocent de tous les crimes qu'on m'impute. Je pardonne aux auteurs de ma mort, et je prie Dieu que le sang que vous allez répandre ne retombe jamais sur la France... »
Il y avait du flottement dans la troupe, où des soldats pleuraient. Santerre se hâta d'ordonner aux tambours de battre pour couvrir sa voix. Dans ce bruit, les bourreaux firent en hâte leur besogne. La planche bascula. On entendit encore un grand cri. La tête de Louis XVI tomba dans le panier.
Un groupe d'hommes et de femmes se précipitèrent pour plonger leurs mouchoirs et des enveloppes dans son sang. Le sang de Louis XVI gicla très loin.
Depuis, toute l'histoire de la France en est marquée.

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NDR:
(*) L’un des rois avocats du Roi, avec de Sèze et Tronchet
(**) Valet de chambre du Roi, qui l'a accompagné à la prison du Temple, et dont le rôle n'est pas clair. Mais il fut un témoin irremplaçable de la captivité de Louis XVI.