A propos de papes hérétiques



Father Hunwicke nous explique pourquoi le Pape ne peut pas faire ce qu'il veut (11/1/2016)

 

Dans cet article daté du 2 janvier, le Père Hunwicke commente à sa manière très personnelle l'article du Professeur de Mattei, daté du 30 décembre: Honorius Ier : le cas controversé d’un pape hérétique.



liturgicalnotes.blogspot.fr
Ma traduction
2 janvier 2016

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Parfois, d'aimables lecteurs me demandent pourquoi j'utilise cette façon de faire référence à notre bien-aimé Saint-Père (ndt: Fr Hunwicke écrit systématiquement et ostensiblement "our beloved Holy Father"), plutôt que le peut-être quelque peu roturier 'Vicaire du Christ'.

Bien sûr, je n'ai pas le moindre problèmeavec ce dernier titre, tant qu'il est correctement compris. Je reconnais qu'en même temps que sa totale bienséance, il est appuyé à la fois par l'usage et par des documents du Magistère. Mais je pense qu'il est un tout petit peu plus ouvert à des malentendus. Il pourrait être interprété comme signifiant que le Pontife romain a une sorte de ligne directe avec la Seconde Personne de la Sainte Trinité; qu'en tant qu'individu, il est la personnification même du Verbe incarné. Une telle attitude s'appelle ultra-ultramontanisme [1] (personnellement, je pense que c'est une hérésie horrible), elle est promue par un quelconque avocat romain avec le nom improbable de Pio Vito Pinto [2], qui semble envisager le Saint-Père, comme celui auquel tous les autres évêques sont tenus d'obéir sans aucune question parce qu'il incarne d'une manière unique et péremptoire à la fois le Seigneur Jésus-Christ et l'Esprit Saint, le Paraclet. Cher vieux Pinto ... vous pouvez me compter parmi ceux qui sont à l'extérieur de VOTRE papauté ...

'Vicaire de Saint Pierre' est, bien sûr, le titre le plus ancien du Pontife romain. 'Vicaire du Christ' est venu, il me semble, avec le deuxième millénaire. Je ne sais pas vraiment pourquoi; après tout, nous pourrions appeler le pape Successeur du Christ, au motif que le Seigneur a remis l'Eglise à Saint Pierre comme son successeur, dont les papes descendent; mais nous ne le faisons pas. Les Pères du concile de Chalcédoine auraient très bien pu crier dans leur aula conciliaire «Le Christ a parlé par Léon [1er]», et cela aurait été tout à fait vrai; mais «Pierre a parlé par Léon» fut leur cri quand le Tome a été lu [3].

Ce qui rend à mon avis préférable la référence à Saint Pierre, Prince des Apôtres, c'est qu'elle situe le Souverain Pontife dans le contexte de l'Église de Rome, l'Église de Saint Pierre. Un excellent auteur orthodoxe Olivier Clément (You are Peter, 2003) a expliqué de manière très puissante et émouvante que c'est dans l'Église de Rome que la voix de Saint Pierre est entendue, qu'il parle et gouverne encore. C'est l'Eglise de Rome, qui est la Mère et la Maîtresse de toutes les Eglises; qui préside dans la charité. Il s'agit d'un rôle unique au sein de l'Église militante catholique sur cette Terre; et ce rôle existe par disposition divine.

Et l'autorité du Pontife romain vient non pas de sa sainteté ou de son éclat personnel, ni de sa consécration épiscopale, mais, tout simplement et uniquement, du fait qu'il est l'évêque de l'Église de Saint Pierre et donc, comme son évêque, qu'il articule la vox Petri.

Voilà pourquoi le rôle du Pape n'est pas individualiste dans le sens qu'il serait laissé à la fantaisie d'un seul homme, fût-il un homme de grande sagesse naturelle et en permanence rempli de l'Esprit Saint. Les cardinaux prêtres sont le presbyterium de l'Église romaine, de sorte que leur rôle n'est pas celui d'être les hommes à tout faire du Pape (rappelez-vous que dans les premiers siècles, le presbyterium était l'organe décisif de gouvernement dans chaque Église particulière locale). Donc, comme il se doit, les actions du pape sont intégrées dans ce presbyterium (comme vous le voyez, la Curia Romana n'est pas dépourvue de signification ecclésiologique.) Dans les premiers siècles, les papes lorsqu'ils agissaient solennellement, s'associaient à des synodes constitués de tous les évêques qui venaient à passer à Rome; tout ceci témoigne du fait que, quand un pape agit qua pape, il prend soin de ne pas le faire comme un individu isolé et potentiellement obstiné.

La position du pape est élevée, mais ce n'est pas la position d'un individu solitaire exprimant ses pulsions privées; c'est celle du successeur de Saint Pierre siégant, au moins moralement, sur sa Cathedra et entouré par ses évêques suburbicaires, ses prêtres, ses diacres, et toute son Eglise particulière (et pétrinienne).
Voilà une raison pour laquelle je me suis senti assez inquiet par un épisode rapporté [dans le livre The Great Facade] [4] où il était affirmé que, par la médiation d'un ami laïque, notre Saint Père actuel avait dispensé une femme, à titre privé, de la lege Divina, et, quand l'ami lui avait demandé «Mais n'est-ce pas interdit?», il avait répondu: «Dites-lui seulement que le Pape dit qu'elle peut ». Le père Lombardi, ayant la possibilité de nier qu'une telle chose fût arrivé ... ou pût éventuellement arriver ... ne saisit malheureusement pas l'occasion d'éclaircir l'allégation du Saint-Père.

Je crois qu'aucun homme sur terre autre que le Verbe incarné, ne peut dispenser de la loi divine; et si, per impossibile, un homme le pouvait, je suis sûr que il ne pourrait pas le faire de cette manière privée et informelle.

Il y a un arrière-plan Magistériel intéressant pour faire des distinctions prudentes entre l'Eglise romaine, et les actions de l'un de ses évêques comme individu aberrant, dans la Lettre du Pape Saint Leon II anathématisant son prédécesseur doctrinalement douteux Honorius "qui hanc Apostolicam Ecclesiam non Apostolicae Traditionis doctrina lustravit, sed profana proditione immaculatam fidem subvertere conatus est" [5].
Je regrette profondément d'avoir à parler de ces choses en public, mais le copain du pape, l'archevêque Fernandez, est connu pour avoir dit:
«Le pape est convaincu que les choses qu'il a déjà dites ou écrites ne peuvent pas être condamnées comme erreur. Par conséquent, à l'avenir, chacun peut répéter ces choses sans être sanctionné» [6].
Fernandez peut bien être le "recteur" d'une "Université catholique", et il peut effectivement être la première personne que François ait créé évêque, sans que Fernandez ait jamais eu une cura épiscopale. Mais s'il laisse supposer partout que l'Histoire ne détient pas d'exemples de papes qui ont été jugés, après leurs pontificats, pour avoir enseigné ou autoriser l'erreur, il est à blâmer, si on lui rappelle Libère ou Vigile ou Honorius ou Jean XXII. Il se peut que manquer de tact soit un péché moindre que cacher la vérité. Le Pape Saint Léon II a confirmé la condamnation du pape Honorius par un concile œcuménique et a ajouté son propre anathème.
C'est arrivé, de sorte que cela peut arriver. Plaise à Dieu que cela ne se reproduise plus jamais.

NDT

[1] L'ultramontanisme est une orientation, historiquement propre aux italiens, favorable à la primauté, spirituelle et juridictionnelle, du pape sur le pouvoir politique, par opposition au gallicanisme d'origine française (wikipedia).

[2] L'actuel doyen de la Rote romaine, dont Sandro Magister parlait tout récemment ici: François et l'Opus Dei

[3] Dans le Tome à Flavien, lettre publiée le 13 juin 449 et adressée au patriarche de Constantinople, Léon 1er exprime la doctrine de l'unicité de la personne du Christ subsistant en deux natures distinctes. A sa lecture, lors du Concile de Chalcédoine, l'assemblée se lève, s'écriant : «C'est Pierre qui parle par la bouche de Léon» (wikipedia).

[4] S'agit-il de cet épisode: http://benoit-et-moi.fr/2014-I/actualites/le-pape-au-bout-du-fil.html ?

[5] «Celui qui n'a pas éclairé cette Église apostolique par la doctrine de la tradition apostolique, mais a essayé de subvertir la foi immaculée par une trahison profane»

[6] Voir l'interview de Fernandez dans Il Corriere: benoit-et-moi.fr/2015-I/actualite/une-declaration-de-guerre