Après le Synode



Le cardinal Burke a accordé une longue interview au site <The Wanderer>: il conteste les propos du P. Spadaro sur l'accès à la Communion pour les divorcés remariés et les "ouvertures" qu'aurait amorcées la session d'octobre 2015 (8/1/2016).

>>> Voir aussi sur le même sujet une tribune du cardinal paru en novembre dernier sur le National Catholic Register: benoit-et-moi.fr/2015-II/actualite/le-cardinal-burke-corrige-spadaro
>>> L’éditorial du P. Spadaro figure en anglais ici: www.laciviltacattolica.it

 

Interview du Cardinal Burke (première partie)
Aperçu de l'état de l'Église après le Synode ordinaire sur la Famille


Don Fier
4 janvier 2016
thewandererpress.com
Traduction par Anna

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Q. Plusieurs semaines se sont écoulées depuis le Synode sur la Famille, et je présume que vous avez eu depuis le temps d'étudier attentivement le document final. À votre avis, quels sont les résultats notables du Synode, et comment l'Église peut-elle en tirer le plus grand profit?

R. Le rapport final est un document complexe et est écrit d'une manière telle qu’il n'est pas toujours facile de comprendre la portée exacte de ce qui y est affirmé. Par exemple, trois paragraphes (nn. 84-86) suggèrent que la dernière session du Synode a trouvé une manière par laquelle les personnes en des unions irrégulières peuvent quand même recevoir les sacrements. Pour parer au manque de clarté du document, j'ai écrit un bref commentaire de ces paragraphes afin de clarifier ce que l'Église enseigne en réalité.
Depuis la fin du Synode, le Père Antonio Spadaro, un Jésuite qui était un des pères synodaux et faisait partie du comité de rédaction du Synode, a publié un article où il affirme qu’un point culminant de ce Synode est une chose que le précédent n'avait pas pu accomplir, c'est-à-dire l'ouverture d'une voie pour la réception de la Sainte Communion et de la Réconciliation de la part de ceux qui sont divorcés et civilement remariés. En toute conscience, j'ai senti qu'il fallait publier une clarification de ce qu'il avait écrit.
Il y a de nombreuses bonnes choses dans le rapport final, mais de nombreuses autres sur lesquelles j'entends écrire afin de clarifier la doctrine de l'Église. Par exemple, je ne pense pas que l'affirmation sur la responsabilité parentale pour l'éducation soit formulée de façon adéquate. Elle peut donner l'impression que les parents ne sont pas les premiers responsables de l'éducation de leurs enfants.

Dans l'ensemble, ainsi qu'il est évident dans l'article du Père Spadaro, il y a un présupposé philosophique au raisonnement développé dans le document qui, primo, n'est tout simplement pas correct. Secundo, il est très contraire à l'enseignement catholique. Par exemple, il y est affirmé qu'il y a les vérités de la Foi et aussi celles auxquelles on se réfère comme "les vérités de l'histoire" (par ex. des temps qui changent).

Nous comprenons que les temps changent, et nous sommes confrontés à de nouveaux développements, mais nous savons aussi que la substance des choses reste la même. Il y a une vérité contre laquelle nous devons mesurer les changements que nous rencontrons dans le temps. Ceci n'est pas clair dans le document final du Synode, surtout si l'article du père Spadaro est censé représenter vraiment la pensée du Synode. Si c’est le cas, il y a des clarifications sérieuses à faire. Je pense pour ma part que le mieux, ce serait que le rapport final continue d'être étudié par de vrais maîtres de la Foi. J'espère qu'il n'y aura pas d'autres actions entreprises sur les sujets controversés traités dans la rapport final, puisqu'ils touchent au fondements mêmes de notre Foi Catholique.
L'article du père Spadaro, par exemple, donne l'impression qu'il y a une sorte de solution à la situation de personnes dans une union maritale invalide qui leur permettrait de recevoir les sacrements, en dehors de celle que l'Église a toujours envisagée
[càd] la décision en conscience de vivre comme frère et sœur, si les parties ne peuvent pas se séparer, et de recevoir ensuite les sacrements à un autre endroit, car les gens voient qu'ils vivent ensemble et savent qu'ils sont liés à une union précédente.
Donner l'impression qu'il y a une autre solution dans le for interne est fausse et crée de fausses attentes chez les personnes, créant chez elles la confusion quant à la nature de la vérité morale à laquelle notre conscience doit toujours se conformer.
Le Synode a donné évidemment de bons résultats, comme l'accent sur la préparation au mariage et son importance cruciale. Personnellement, j’aurais aimé qu'une plus grande importance soit donnée à la préparation au mariage, à la fois lointaine et immédiate. Je pense qu’aujourd'hui, la question fondamentale concernant l'accueil pastoral de ceux qui sont appelés au mariage et à la famille est la catéchèse. Nous avons des générations de Catholiques qui ne connaissent pas grand chose de leur Foi Catholique, y compris l'enseignement de l'Église sur la nature sacramentelle du mariage et de la famille. Surtout cet enseignement devrait être accentué, à commencer par les enfants.
Quand j'étais enfant, catéchisé avec le Catéchisme de Baltimore, quelques-unes des premières définitions que j'avais apprises concernaient le sacrement du mariage. Cela n'est plus enseigné. Les jeunes personnes, au moment où elles sont préparées au mariage, devraient recevoir une catéchèse intense. Celle-ci devrait toutefois être un approfondissement de ce qu'elles connaissent déjà. Nous devons aussi éduquer les fidèles en général, dont un bon nombre est mal catéchisé et chez qui une réelle confusion est engendrée sur ces questions.

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Q. Le rapport final du Synode a fait l'éloge des familles nombreuses, a affirmé l'ouverture à la vie, et encouragé la "redécouverte" des documents magistériels promouvant la culture de la vie (p. ex. Familiaris Consortio de Saint Jean-Paul II et Humanae Vitae du Bienheureux Paul VI). Dans une culture où plus de 50 pour cent du laïcat n'accepte pas l'enseignement de l'Église sur la contraception (si l'on en croit les sondages), comment cela peut-il être traduit en foi vécue au niveau des paroisses?

R. Ici aussi c'est une question de catéchèse. Des documents comme Humanae Vitae et Familiaris Consortio ne peuvent pas être cités juste de manière générique, presque comme si on agitait une bannière. Ils doivent être étudiés en profondeur dans les paroisses, et les prêtres doivent prêcher à leur sujet afin d'illustrer les vérités énoncées si magnifiquement par ces documents. Si nous savons, et nous en sommes convaincus, que la culture est complètement opposée à l'enseignement contenu dans ces deux documents et si nous savons, comme nous en sommes convaincus, que de nombreux fidèles ne sont pas bien catéchisés et tendront à être d'accord avec ce que la culture pense plutôt qu'avec ce que l'Église enseigne, alors nous devons comprendre qu'il nous incombe d'évangéliser au sujet du mariage et de la famille comme si c'était la première fois. À mon avis, c'est l'unique réponse.
Une raison importante pour essayer d'aider les couples mariés à vivre la vérité du mariage est que les petits apprennent les vérités du mariage à la maison en observant la relation entre leurs parents. Les enfants savent, même si les parents n'en parlent pas, quand leurs parents font recours à la contraception; ils savent si leurs parents ne s'aiment pas pleinement. Il nous faut souligner aussi que la maison est le premier foyer d'évangélisation concernant le mariage et la famille. Il nous faut aider ceux qui s'efforcent de vivre la vérité de leur engagement marital à persévérer et à se fortifier. Et pour ceux qui luttent, nous devons tenir compte de leur besoin de conversion de vie et essayer de les conduire à la vérité d'une manière aimante.

UNE GRAVE TROMPERIE
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Q. En citant une partie du paragraphe 84 de Familiaris Consortio, les pères synodaux n'ont pas inclus une phrase importante: « L'Eglise, cependant, réaffirme sa discipline, fondée sur l'Ecriture Sainte, selon laquelle elle ne peut pas admettre les divorcés remariés à la communion eucharistique ». Cette omission doit avoir été désolante pour vous, surtout à la lumière de la récente publication de la traduction italienne de votre livre sur l'Eucharistie intitulé L'Amour Divin fait chair. Pourquoi, à votre avis, cet enseignement a-t-il été omis du rapport final? Cette omission ne fait-elle pas apparaitre que l'Église s'ouvre au changement d'un de ses immuables enseignements dogmatiques?

R. Evidemment, c’est ce qui se passe, il n'y a pas de doutes à ce sujet. Le paragraphe du rapport final sur ce sujet est très gravement trompeur. Il donne la fausse impression qu'il présente l'enseignement de Familiaris Consortio, un enseignement qui est aussi illustré dans un document du Conseil Pontifical des Textes Législatifs [auquel le rapport final fait aussi référence]. Le rapport final du Synode suggère que Familiaris Consortio et le document du Conseil Pontifical ouvrent la voie de l'accès aux sacrements pour les personnes en des unions matrimoniales irrégulières. C'est exactement le contraire.
J'étais vraiment désolé de voir que le rapport final avait coupé la présentation entière de l'enseignement Familiaris Consortio sur le sujet.
Premièrement, la vérité présentée par Saint Jean-Paul II dans Familiaris Consortio était déformée, de même que l'était la vérité telle qu’elle était illustrée et soulignée dans le document du Conseil Pontifical. Cela m'a à lui seul vraiment désolé, surtout en considérant le fait que c'était au niveau d'un Synode des Évêques.
En même temps, j'étais troublé car je savais que cela serait utilisé par des personnes comme le père Spadaro et d'autres pour dire que l'Église avait changé son enseignement à cet égard, ce qui n'est tout simplement pas vrai.
Je pense vraiment que l'enseignement entier de Familiaris Consortio aurait dû être l'objet du document final du Synode. Pendant mon expérience du Synode Extraordinaire de 2014, c'était comme si le Pape Jean Paul II n'avait jamais existé. Si on étudie le document final du Synode, la richesse de l'enseignement magistériel de Familiaris Consortio, qui est un si beau document, n'y figure pas.
Ç'aurait été le moment idéal pour le récupérer et le présenter à nouveau dans toute sa richesse. On en retire la forte impression que même s'il a été affirmé à plusieurs reprises que le Synode n'entendait pas relâcher la doctrine de l'Église ou la discipline au sujet de l'indissolubilité du mariage, ceci était en réalité ce qui finalement motivait le tout.
Il est très troublant que le Père Spadaro, considérant tout ce qui est contenu dans le document final, souligne l'idée que ce Synode a accompli ce que l'autre session n'a pas fait. Soyons honnêtes, il y a ici quelque chose qui ne va pas.

CONSCIENCE ET VÉRITÉ
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Q. L' "inviolabilité de la conscience" était mise en avant par certains Pères Synodaux parlant de thèmes controversés (par exemple la Sainte Communion aux couples divorcés/civilement remariés). Et toutefois, c'est comme si très peu était dit sur la nécessité de former correctement sa propre conscience à la vérité objective. J'ai encore un vif souvenir d'un professeur de théologie morale avec qui j'ai autrefois étudié, qui répétait souvent: «Nous sommes coupables pour tout ce que nous aurions dû et pu savoir ». Veuillez éclairer les lecteurs sur l'enseignement précis de l'Église sur la formation de la conscience.

R. Il est vrai que la conscience est, comme l'appelait le Cardinal John Henry Newman, le "Vicaire primordial du Christ". En d'autres mots, c'est la voix de Dieu qui parle à notre cœur depuis le tout premier moment de la création sur ce qui est juste et faux, ce qui est bon et mauvais, ce qui est en accord avec Son plan pour le monde et ce qui ne l'est pas. Newman poursuit expliquant que la conscience, afin d'exercer son rôle critique, doit être formée en accord avec la vérité. La conscience n'est pas une sorte de faculté subjective où votre conscience vous dit une chose et ma conscience me dit le contraire. C'est quelque chose qui nous unifie parce que nos deux consciences, si elles sont conformes à la vérité, nous diront la même chose.
Newman poursuivait en disant que le Seigneur instruit notre conscience par la foi et la raison et par Ses représentants visibles sur la terre (les Papes et les évêques en communion avec lui, c'est à dire le Magistère). Ce n'est donc pas du tout quelque chose de subjectif. Nous devons agir en accord avec notre conscience, mais elle ne peut être pour nous un guide infaillible que si elle est formée par la raison même et par les vérités de notre Foi, qui sont toujours en accord l'une avec l'autre.
Le Pape Benoît XVI avait donné une catéchèse magnifique sur la conscience dans son discours à la Curie Romaine juste avant Noël 2010 (w2.vatican.va). Le Pape Benoît fait sa catéchèse sur l'enseignement du Bienheureux Cardinal John Henry Newman, qui est un des plus grands maîtres de l'Église sur la conscience. [Le Cardinal Burke donne une présentation approfondie de ce discours dans une conversation que The Wanderer publiera dans un prochain numéro.]

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Q. Sur un sujet du même ordre, selon un article de Catholic News Agency daté du 15 octobre 2015, un haut prélat aurait affirmé qu’ «il est discutable que les actes sexuels puissent être jugés indépendamment du contexte vécu», suggérant qu'il n'est pas envisageable que les divorcés-et-remariés s'abstiennent de l'activité sexuelle. Pouvez-vous vous exprimer sur le rôle que le "contexte vécu" peut avoir dans un jugement objectif des actions dans le péché.

R. Le "contexte vécu" est le contexte dans lequel nous vivons la vérité. En d'autres mots, nous devons suivre le Christ en accomplissant la volonté du Père dans tous les contextes de la vie. Vous ne pouvez pas juger les vérités morales sur la base du contexte - ce qui est désigné classiquement comme proportionnalisme ou conséquentialisme.
Ce mode de pensée dit par exemple que bien qu'il soit toujours mal d'avorter, si vous êtes dans une situation où vous êtes sous une très forte pression, ce pourrait être permissible dans cette circonstance particulière. C'est tout simplement faux. Nous sommes appelés à vivre héroïquement notre Foi Catholique. Même la plus faible des personnes reçoit du Christ la grâce pour vivre la vérité dans l'amour.
Nous jugeons le contexte vécu en termes de la vérité du Christ. Si quelqu'un ignorait le mal moral implicite dans une certaine action qui est objectivement très mauvaise, il est possible qu’il ou elle ne soit pas coupable dans le sens qu'ils ont commis un péché (pour commettre un péché mortel, vous devez savoir qu'il s'agit d'un acte peccamineux et néanmoins choisir librement de poursuivre).
Dire aux personnes qui vivent ensemble dans une union irrégulière qu'elles sont appelées à vivre chastement comme frère et sœur c'est leur dire que la grâce nécessaire pour vivre de manière chaste leur sera donnée. Cette grâce vient du mariage auquel ils sont vraiment liés. C'est exactement ce qui est attendu de nous.