Catholiques: non au prosélytisme


Lors d'une conférence, à Cambridge, le cardinal Koch laisse entendre que le devoir d'évangéliser - et d'autant moins, de convertir - ne s'étend pas aux juifs. Le Père Lombardi confirme, ajoutant qu'il n'est pas question non plus de convertir les musulmans (1er/6/2016)

 

Riccardo Cascioli commente l'information.
En réalité, ce n'est ni le Pape ni le cardinal Koch qui sont visés par son amère réflexion.
C'est le Pape François lui-même qui, dans le célèbre (premier) entretien public avec Scalfari, en octobre 2013, avait qualifié le prosélytisme de "solenne sciocchezza" - idiotie solennelle !! (*)

Quelle différence avec Benoît XVI!
C'est le moment de relire la "lectio" écrite par le Pape émérite et prononcée par son secrétaire le 21 octobre 2014, à l'Université Pontificale Urbanienne, qui venait de donner son nom au grand amphi.
Le thème en était "Religions et mission", et se concluait par ces mots (benoit-et-moi.fr/2014-II-1/benoit/la-lectio-de-benoit-xvi-a-lurbanienne):

Aujourd'hui encore, dans un monde profondément changé, la tâche de communiquer aux autres l'Evangile de Jésus-Christ reste raisonnable .
Et toutefois, il y a aussi une autre façon, plus simple, de justifier aujourd'hui cette tâche. La joie exige d'être communiquée. L'amour exige d'être communiqué. La vérité exige d'être communiquée. Qui a reçu une grande joie, ne peut pas simplement la garder pour soi, il doit la transmettre. La même chose s'applique pour le don de l'amour, pour le don de la reconnaissance de la vérité qui se manifeste.
Quand André rencontra le Christ, il ne put s'empêcher de dire à son frère: «Nous avons trouvé le Messie» (Jn 01:41). Et Philippe, auquel avait été donnée la même rencontre, ne put s'empêcher de dire à Nathanaël qu'il avait trouvé celui dont Moïse et les prophètes avaient écrit (Jean 1:45). Nous proclamons Jésus-Christ non pas pour apporter à notre communauté le plus possible de membres; et encore moins pour le pouvoir. Nous parlons de lui parce que nous sentons que nous devons transmettre la joie qui nous a été donnée.


Juifs et musulmans:
les conversions ne sont pas bienvenues

Riccardo Cascioli
31/05/2016
www.lanuovabq.it
Ma traduction

* * *

Il y a quelques jours, le cardinal Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens a tenu une conférence à Cambridge, au Royaume-Uni, qui lui a valu plusieurs titres de journaux. Koch aurait en effet déclaré que le devoir d'évangéliser s'adresse à tous les non-chrétiens, y compris les musulmans, à l'exception des Juifs. Quant à ces derniers, les chrétiens - a dit encore Koch - reconnaissent l'alliance conclue par Dieu avec le peuple juif, chose qui ne peut être appliquée à l'Islam. Récemment, Koch est allé bien au-delà de la définition des «frères aînés» et a dit que les chrétiens devraient voir le judaïsme comme une «mère». Donc, il ne faut pas convertir les Juifs, tandis qu'au contraire, il faut évangéliser les musulmans.

Ces mots ont évidemment fait du bruit, si bien qu'un site non officiel du Vatican, Il Sismografo, qui fait quotidiennement une revue de presse en plusieurs langues, est allé demander des éclaircissements au porte-parole du Vatican, le père Federico Lombardi. Lequel s'est montré plutôt irrité par ce qu'il considère comme une manipulation des mots du cardinal Koch, mettant en évidence la façon dont certains titres de journaux ne correspondent pas au contenu. Il se référait au fait que dans plusieurs titres, il était question du «devoir de convertir» les musulmans tandis que les textes parlaient de «devoir d'évangéliser», deux concepts en réalité assez différents. Mais pas au point de solliciter l'intervention du porte-parole du Vatican, qui passe ensuite à l'affirmation du vrai noeud de la question: «Il est donc clair qu'il n'est pas correct d'attribuer au cardinal K. Koch une invitation au prosélytisme envers les fidèles musulmans».

En résumé: aucune tentative d'évangéliser les Juifs, dit Koch. Mais pas non plus les musulmans, précise Lombardi. Et bien sûr tout en supposant qu'avec les autres confessions chrétiennes, on ne doit pas penser, même de loin, à les ramener à l'Eglise catholique.

Pour aggraver la situation, il faut ajouter qu'il s'agit d'affirmations qui désormais ne surprennent plus personne, tellement elles sont considérées comme évidentes. Seulement qu'à ce stade, nous devrions nous demander sérieusement: «Mais alors qui est Jésus-Christ?». Est-il toujours le seul Sauveur qui est mort et ressuscité pour sauver tous les hommes, comme cela a été proclamé depuis deux mille ans? L'Évangile doit-il encore être considéré comme «la plénitude de la Vérité que Dieu nous a fait connaître autour de lui», comme on le lit dans l'encyclique Redemptoris Missio (RM) de saint Jean-Paul II? Croyons-nous vraiment que «s'ouvrir à l' amour du Christ est la vraie libération» (RM 11)?

Si nous étions vraiment convaincus de cela, comment pourrions-nous seulement concevoir d'exclure une partie de l'humanité de cette annonce? Il ne s'agit pas de conduire tout le monde, l'épée au poing, à se soumettre à «notre» Dieu, mais de faire participer tout le monde à une grande joie: la mort a été vaincue, nous sommes libérés du péché, le Mystère s'est fait présence, compagnie de homme, comme nous le récitons chaque jour dans l'Angelus.

Et en effet, les documents du Magistère dédiés à la mission ne parlent jamais d'exclusion de quelqu'un ou d'"exemption" de groupes particuliers, presque comme s'il s'agissait de décider de participer ou non à l'heure d'instruction religieuse. Par exemple, le décret conciliaire Ad Gentes (1965) affirme:
«La raison de cette activité missionnaire découle de la volonté de Dieu, qui "veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. Car il n’y a qu’un seul Dieu, et un seul médiateur entre Dieu et les hommes, l’homme Jésus Christ, qui s’est livré en rançon pour tous" (1 Tm 2, 4-5) ; "et il n’existe de salut en aucun autre" (Ac 4, 12). Il faut donc que tous se convertissent au Christ, connu par la prédication de l’Église, et qu’ils soient eux aussi incorporés par le baptême à l’Église, qui est son Corps» (n. 7).

Bien sûr, l'action missionnaire dépend aussi des circonstances dans lesquelles on opère, avertit encore Ad Gentes:
«l’Église, bien que de soi elle possède la totalité ou la plénitude des moyens de salut, n’agit pas ni ne peut agir toujours et immédiatement selon tous ses moyens ; elle connaît des commencements et des degrés dans l’action par laquelle elle s’efforce de conduire à sa réalisation le dessein de Dieu»; mais «cette tâche (... est unique et la même, partout, en toute situation, bien qu’elle ne soit pas menée de la même manière du fait des circonstances» (n. 6).

Il est paradoxal que, tandis que le pape parle avec insistance d'abattre tous les murs et de tenir les portes de l'Eglise ouvertes, arrive ensuite du Vatican l' ordre de construire des murs pour empêcher certaines catégories de personnes d'être converties.
Mais c'est encore Redemptoris Missio qui explique la racine profonde de ces murs: «la mentalité indifférentiste, largement répandue, malheureusement, même parmi les chrétiens, souvent enracinées dans des visions théologiques non correctes et et empreinte d'un relativisme religieux qui porte à croire qu'"une religion en vaut une autre"» (RM, n.36).

De cette façon, le dialogue avec les hommes et avec les autres religions ne se fonde pas sur la Vérité, mais sur une préoccupation "politique", comment cohabiter pacifiquement et comment coopérer pour le bien de l'humanité; c'est la réduction à une éthique partagée. Mais au fond, comme nous en avertit saint Jean-Paul II le vrai problème, le noeud de la question, c'est le manque de foi: « La mission est un problème de foi; elle est précisément la mesure de notre foi en Jésus Christ et en son amour pour nous. Aujourd'hui, la tentation existe de réduire le christianisme à une sagesse purement humaine, en quelque sorte une science pour bien vivre. En un monde fortement sécularisé, est apparue une "sécularisation progressive du salut", ce pourquoi on se bat pour l'homme, certes, mais pour un homme mutilé, ramené à sa seule dimension horizontale».

NDT

(*) Le caractère officiel de l'entretien a été confirmé officiellement (et il convient de le souligner encore une fois) par le fait qu'il a été intégralement reproduit dans un livre co-signé "Papa François - Eugenio Scalfari" et traduit en français aux éditions Bayard, sous le titre "Ainsi je changerai l'Eglise" (un projet qui s'est bel et bien concrétisé par la suite!!).
Pour mémoire, voici le début de l'entretien (page 61-62):

Me voici arrivé. Le Pape entre et me serre la main, nous nous asseyons.
Le Pape sourit et me dit: "Certains de mes collaborateurs qui vous connaissent m'ont averti que vous allez essayer de me convertir."
A ce trait d'esprit, je réponds: "mes amis vous prêtent la même intention à mon endroit".
Il sourit et répond:
"Le prosélytisme est une pompeuse absurdité, cela n'a aucun sens. Il faut savoir se connaître, s'écouter les uns les autres et faire grandir la connaissance du monde qui nous entoure. Il m'arrive qu'après une rencontre j'ai envie d'en avoir un autre car de nouvelles idées ont vu le jour et de nouveaux besoins s'imposent. C'est cela qui est important : se connaître, s'écouter, élargir le cercle des pensée. Le monde est parcouru de routes qui rapprochent et éloignent, mais l'important c'est qu'elles conduisent vers le Bien
".