Deux lectures d'Amoris Laetitia


... qu'on pourrait qualifier de "peu respectueuses" (*), et surtout très sévères. Celle de Francesco Colafemmina, de retour sur son blog <Fides et Forma>. Et celui du blogueur argentin disons... peu bergoglien de <caminante-wanderer> (12/4/2016)

(*) Je m'en excuse auprès du bon cardinal Burke...

Tous deux voient dans l'EA un non-évènement, néfaste mais de portée négligeable.


L'Eglise de l'amour


Francesco Colafemmina
www.fidesetforma.com
Ma traduction


Parlons clair: l'exhortation post-synodale, personne ne la lira et comme d'habitude, elle ne servira à rien. L'essentiel, ce sont les titres des journaux, les trois ou quatre phrases "apostasiantes", les révolutions silencieuses promptement assimilées par les médias. Le point important est ailleurs: les synodes ont échoué! Ces assemblées verbeuses inutiles d'évêques qui, souvent, ne savent même pas de quoi ils parlent (lire la famille, l'amour, le sexe) sont l'expression de vieilles exigences, d'anxiété de renouveau et d'ouverture élaborées dans la première moitié du XXe siècle et ayant abouti à cette institution inutile de tromperie ecclésiastique manifeste (si vous me permettez l'euphémisme).

Les synodes sont par ailleurs, depuis toujours le triomphe des mots sur les faits. Machines coûteuses, gérées par une bureaucratie irrationnelle, elles se résolvent en simples clubs récréatifs pour évêques plus ou moins âgés qui dissertent avec désinvolture de thèmes tels que l'inceste, la polygamie et autres facéties prurigineuses. Si à la place ils s'employaient à sauver les âmes, nous serions tous remplis d'admiration. Le problème est que les premières âmes à sauver sont probablement les leurs.

Pour revenir aux titres des journaux, il est indéniable que les gens aiment s'entendre dire par le chef suprême de la dernière institution "éthique" mondiale que le péché est toujours pardonné, voire que ce même péché peut être involontaire, provoqué par des conditions d'environnement défavorables, aléatoires, à certains égards, pas aussi graves que dans le passé, parce que l'Esprit l'a enveloppé et en quelque sorte affaibli. Il est tellement rassurant de pouvoir continuer à faire ce qu'on a toujours fait sous l'impulsion des tendances sociales, mais maintenant sans la chape obsessessionnelle d'un sentiment de culpabilité s'obstinant à toucher l'habituel petit peuple. Prenons exemple sur les élites immorales, émancipons-nous de la culpabilité et même de la honte. Assez avec les civilisations de la faute ou de la honte. Là où le péché meurt et où meurt l'acte anti-social de l'individu, il n'y a plus de faute ou de honte qui tienne. Une société littéralement amorale s'instaure. Et nonobstant cela, Bergoglio continue d'incarner la figure "paternelle".

Bien sûr, Bergoglio n'a rien à voir avec la figure du père. Le père sait prononcer ses "non" qui font grandir. Au contraire, lui, il est tellement tolérant, accueillant, plein de bon sens. Il incarne parfaitement l'opposé de la rigidité asphyxique du Vatican, de l'Eglise des diktats, des préceptes, des dogmes et des vérités absolues, des obligations morales, etc. Pour Bergoglio il suffit de laver les pieds de quelque immigré - mais gare à en accueillir quelques milliers dans les murs léonins! - pour être sauvé. Il suffit de lancer quelque sentence contre les trafiquants d'armes pour remporter le prix d'éthique. Tout est là. Pour le reste, il est important de démolir l'"obsession" pour le sexe de l'ancienne Église. La Nouvelle Église n'a pas de problème avec le sexe: et même, Bergoglio en personne conseille aux divorcés remariés de le faire pour renforcer le couple. Comme dans la pub pour les fromage en tranches, il semble dire avec les deux petits vieux égrillards de la télévision: «Faisons-le plus souvent».

C'est le signe d'un court-circuit interne à l'Eglise. Pendant des décennies, on a encouragé une Église d'un nombre réduit d'hommes proclamateurs de l'amour. De miséricordieux sans rigueur. De prêtres affectés du syndrome de Peter Pan, d'immatures et de "malakòi", pour le dire en grec. Cette Église des malakòi, qu'a-t-elle à voir avec le Christ ou Saint-Paul avec saint Pierre ou saint Augustin? Avec saint Jérôme ou saint Thomas? Rien. C'est une Eglise pour les "diversement croyants" (diversamente credenti: périphrase italienne politiquement correcte pour "non-catholiques", ndt). Et même pour des croyants immatures qui n'ont aucune intention d'assumer leurs responsabilités (ce n'est pas par hasard que Jean-Paul II a écrit: "Amour et responsabilité"). La responsabilité du péché en premier lieu. Donc, celle de la faute et de la conversion. Vous comprenez bien que Bergolio est un phénomène de fragilité sociale. Voilà pourquoi les médias sont toujours prêts à passer au peigne fin les 300 et quelques paragraphes de l'exhortation pour y trouver les étendards de la fragilité sociale: permissivité, abolition des prescriptions rétrogrades du passé, ouverture aux "nouvelles formes de famille" et ainsi de suite. C'est la seule façon d'encourager la société à rester en enfance, sans responsabilité. Capable de passer d'une condition à une autre comme on passe d'une humeur à l'autre, sans sentiment de culpabilité, sans remédier au péché, parce que le péché est une convention morale.

Ici, nous sommes bien au-delà du caractère aléatoire de l'intervention divine chez les héros homériques, considérés comme non pleinement responsables de leurs actions parce que pénétrés par le Daimon, l'esprit de la divinité. Derrière ces interventions divines il y avait toujours une dimension rationnelle et le sens insaisissable du destin. Dans l'Eglise 2.0 il n'y a ni destin ni intervention divine, mais un devenir perpétuel. Le devenir chaotique de la matière dont la faute est peut-être à rechercher dans le cruel Démiurge. Et cette société est si bien préparée au matérialisme capitaliste et à la religiosité gnostico-maçonnique qu'elle rend superflue toute mention du péché. L'homme est toujours innocent. La faute est toujours celle la divinité cruelle qui nous a piégés dans un corps. Un piège dont nous libère seulement le donneur de lumière. Et qui sait si les membres de la Nouvelle Eglise n'en sont pas devenus finalement les extrêmes adorateurs.

Réflexions sur les amours de Leticia


caminante-wanderer
Traduction par Carlota


1. Il s’agit d’un document de mauvaise qualité, d’aussi mauvaise qualité que son auteur et son pontificat, qui sera lu avec honte par les chrétiens des générations à venir, s’il y a des générations à venir. Il aurait bien pu s’intituler "Les amours de Leticia" (1), ou "Direct au coeur", ou tout autre titre qui le placerait à sa place: c'est-à-dire l’étagère où reposent les romans de Corín Tellado (romancière espagnole 1927-2009, la plus vendue en langue espagnole dans le mode et célèbre pour ses romans d’amour souvent adaptées dans les feuilletons télévisés sud-américains). Un document qui signale la gravité du fait que l’un des conjoints s’endorme dans l’attente de l’autre qui se distrait en jouant à la Play Station (ndt: n. 278), ne peut pas être sérieux. Et ne peut pas non plus être sérieux celui qui conseille aux parents de ne pas tant se préoccuper de l’endroit où sont leurs enfants, même s’ils sont en train de se droguer ou de se fossiliser avec leurs petits copains, - étant donné que la localisation spatiale n’a pas d’importance, puisque ce qui importe en vrai c’est de se préoccuper de sa situation existentielle.
Balivernes, rouleaux de papier, fumée…c'est-à-dire, rien.

2. Il s’agit d’un document qui ne change pas la doctrine de l'Église. Tout au plus il met par écrit, et d’une façon très elliptique et sinueuse, ce qui est la pratique commune dans les églises catholiques de la plupart des pays du monde depuis des décennies, c'est-à-dire, que les remariés sont admis à la communion sacramentelle sous certaines conditions.
Si Bergoglio avait voulu changer la doctrine de l’Église, ou, même, sa discipline, il aurait promulgué un motu propio, comme il l’a fait quand il a décidé de l’accélération des processus de nullité matrimoniale. Mais cela n’intéresse pas Bergoglio de changer la doctrine catholique parce que la doctrine ne l’intéresse pas. « Ce sont des choses de théologiens » comme il a l’habitude de dire. C’est pour cela qu’il a rédigé un document vitreux dans lequel chacun peut lire ce qu’il veut lire.

3. Si Bergoglio avait voulu sérieusement changer la doctrine, il n’aurait pas fait ce qu’il a fait. Il a convoqué un synode en deux étapes, il a ordonné à Kasper de révéler des mois avant son ouverture quel serait le plan des progressistes, ce qui a donné tout le temps possible aux conservateurs pour qu’ils préparent leur stratégie, un pas en avant, un pas en arrière, de l’embrouille et pour finir, rien.
Si son intention avait été un réel et profond changement de doctrine, il aurait convoqué un synode de courte durée, - de quelques jours -, il aurait maintenu en secret les plans proposés par Kasper et ses alliés et, de cette manière, il aurait surpris tous les pères synodaux qui, sans stratégie préalable, se seraient vus amener presque sans s’en rendre compte un document hérétique, admettant non seulement la communion mais aussi la bonté des relations homosexuelles. Et pour se rendre compte des principes de bases de cette stratégie, il n’y a pas besoin d’être le baron von Clausewitz (célèbre militaire et théoricien de l’art de la guerre allemand 1780-1831). Il suffit d’être la directrice d’une école primaire qui convoque à une réunion de parents d’élèves.

4.- Si la doctrine de l’Église peut être changée par un document de cette qualité, ou si, comme certains s’en alarment, l’Église elle-même peut être démolie par une note au pied d’une page d’un document de cinquième catégorie, cela signifie que nous nous en sommes à un niveau bien pire que celui que nous pensions. Deux mille ans d’histoire et de développement théologique ne peuvent être rasés par la note de pied de page qu’écrit un Pape d’un faubourg [de Buenos Ayres].

5. Malgré tout cela, il s’agit d’un document nocif. Il fera du mal comme fait du mal tout ce que touche François. Tous les médias ont déjà annoncé que les remariés peuvent communier. Un de ceux qui a la plus grande influence au niveau mondial, "Foreign Policy", titrait en couverture cette semaine : « Le dictateur du Vatican » (cf. foreignpolicy.com) et écrivait en alinéa : « Le Pape François, d’une manière rude, est en train de transformer l’Église en libéral ».
C'est-à-dire que vu les faits, et sans avoir encore lu le document, comme le journaliste le confesse lui-même, ils ont déjà déclaré que la doctrine a changé et que l’Église est en train de changer. Et cela, Bergoglio le sait très bien: personne ne lit les documents et personne n’entre dans des discussions théologiques. Ce qu’on lit et c’est dans ce but qu’ils sont rédigés ce sont les titres des journaux et journalistes. Ses « líos » et ses notes en bas de page ne changent pas la doctrine catholique mais vendent des titres à la presse. Et c’est ce qu’il veut : sa propre exaltation.

6. Cela n’a aucun sens de prétendre tirer des conclusions théologique de cet accouchement bergoglien. Ce serait la même chose que de convoquer Pline, Hérodote et Flavius Joseph pour discuter d’une affirmation de Felipe Pigna (né en 1959 auteur de livres et animateurs d’émissions TV. Pour certains son parti pris de vulgarisation et de simplification va à l’encontre de la réalité historique) ou réunir Shakespeare, Cervantès ou Proust pour analyser «Fleurs dérobées dans les jardins de Quilmes» de Jorge Asís (journaliste et écrivain argentin né en 1946 et semble-t-il, peu apprécié de l’auteur).

7. Le document a quelque chose de bon : il détruit toute prétention ultramontaine (donc de la part de Rome) de continuer à insister sur le Magistère. Ce pamphlet est le signe le plus clair que ce magistère-là n’existe pas et qu’il n’a jamais existé parce que je ne sais pas où est le magistère quand parmi ses sources, on compte Benedetti et Martin Luther King. Comme nous l’avons fait remarquer plusieurs fois dans ce blog, le pape a une fonction de tribunal en dernier appel dans l’interprétation de la Révélation. Ce n’est pas la fonction du Pape que de parler tous les jours et de lancer des exhalations (sic!) et des encycliques tous les ans. Et s’il le fait, ne pas s’en préoccuper et croire ce à quoi ont cru les saints (2).

* * *

Notes complémentaires de traduction

(1) Les amours de Leticia: Leticia en espagnol directement issu du latin veut aussi dire joie. Et l’on peut également y voir un jeu de mot supplémentaire en le rapprochant du prénom féminin que porte notamment Letizia Ortiz dont les médias ont fait leur titre sur le fait qu’elle était une femme divorcée et qu’elle aurait avorté, avant d’épouser son actuel royal époux Philippe VI d’Espagne, pour former un couple de souverains qui, jusqu’il y a peu, étaient désignés sous l’appellation de Rois Catholiques depuis Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon au XVème siècle. Toutes les traditions se perdent !

(2) Malgré l’ironie déployée (qui est une façon de lutter contre la consternation) et la férocité du jugement sur l’exhortation apostolique Amoris Laetitia, - l’auteur, un blogueur argentin est loin d’aimer l’actuel pape -, ce texte dégage néanmoins au final un certain optimisme qui n’est pas inutile pour ceux que le document papal consterne (et ils sont loin d’être peu).
Mais pensons aussi aux 11 000 confessions reçues par des prêtres dans la basilique de Saint Denys à Argenteuil, pendant les 17 jours d’Ostension de la Sainte Tunique (cf. Choses vues à Argenteuil) déployée (origine de l’information le recteur de la basilique en personne). Et ce malgré des décennies d’endoctrinement et/ou de désinformation : « Des reliques-bidons d’une époque révolue pour des catholiques ignorants ; la victoire du libre arbitre car nous sommes tous égaux autour de la table et plus de signes extérieurs entre les clercs et les fidèles ; et le péché de toute façon est sans importance, puisqu’on ira tous au Paradis, sans purgatoire évidemment… ».
Et pourtant que c’est dur à porter le péché même quand on nous dit qu’il n’existe pas.