Dubia: les nouveaux inquisiteurs


Les quatre cardinaux sont la cible d'un lynchage en règle doublé de menaces explicites. Signe inquiétant de l'ambiance malsaine qui règne dans "l'Eglise de la miséricorde". Riccardo Cascioli fait le point sur les agresseurs, qui furent aussi les plus virulents opposants aux Papes précédents, notamment Benoît XVI (1/12/2016, mise à jour le 2/12).

>>> Voir aussi à ce sujet:
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Les menaces d'un bergoglien zélé
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Sourde révolution ou guerre civile dans l'Eglise?



Les dernier épisode en date, ce sont les menaces explicites proférées à leur encontre par Alberto Melloni, le théologien progressiste tête de file de la dite Ecole de Bologne, et Vito Pinto, le Doyen de la Rote Romaine. Pour ne pas parler de l'hommage rendu récemment par François à Bernard Häring, un théologien allemand qui se signala par son opposition bruyante (cf. leblogdejeannesmits.blogspot.fr) à Humanae Vitae à la fin des années 80 (que Ricccardo Cascioli omet curieusement d'évoquer).

Les nouveaux inquisiteurs

L'intolérable agression aux "quatre cardinaux" Voilà qui sont les nouveaux inquisiteurs


Riccardo Cascioli
1er décembre 2016
www.lanuovabq.it

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Ils ont été décrits comme des "vieux schnoks", quatre cardinaux isolés et hors du monde, vestige d'une Eglise dépassée qui ne voit que la rigidité de la doctrine et ne comprend pas la Miséricorde qui entre dans les plis de la vie. En bref, un déchet de l'Eglise, un appendice marginal pas même digne d'un «oui» ou d'un «non» à leurs questions.

Et pourtant, ils doivent en avoir une grande crainte, puisque depuis des jours nous assistons à un crescendo d'insultes et d'accusations lourdes, désormais un authentique lynchage médiatique, contre les quatre cardinaux - Raymond Burke, Walter Brandmuller, Carlo Caffara et Joachim Meisner - coupables d'avoir publié cinq "Dubia" déjà présentés au pape François à propos de l'exhortation apostolique Amoris Laetitia. Nous avons même eu droit à des demandes de démission du Collège des Cardinaux ou, comme alternative, à des suggestions au pape de leur retirer le chapeau de cardinal.

Les protagonistes sont des plus variés: évêques qui ont à régler des comptes personnels, ex-philosophes qui nient le principe de non-contradiction, cardinaux amis du Pape François qui, malgré leur âge, n'ont pas abandonné les rêves révolutionnaires, intellectuels et journalistes qui se considèrent comme «gardiens de la révolution», et l'inévitable père Antonio Spadaro, directeur de la Civiltà Cattolica et véritable éminence grise de ce pontificat, au point d'être connu à Rome comme le vice-pape. Ce dernier, comme un adolescent quelqconque, s'est répandu sur les réseaux sociaux en bravades qui laissent sans voix: d'abord dans un tweet il a apostrophé le Cardinal Burke, le comparant au personnage [Wormtongue] du "Seigneur des Anneaux" (tweet ensuite effacé); puis il a commencé à relancer des tweets offensants pour les quatre partis cardinaux, issus du compte "Habla Francisco", dont on a découvert hier qu'il renvoyait à l'adress e-mail du Père Spadaro à la Civiltà Cattolica [ndt: l'affaire est évoquée par Marco Tosatti ICI]. Et puis l'inévitable Alberto Melloni, point de référence de l'École de Bologne qui oeuvre pour une réforme de l'Eglise fondée sur «l'esprit» de Vatican II.

Il s'agit d'un authentique nouveau tribunal de l'Inquisition qui, en frappant les quatre, vise à intimider quiconque a l'intention d'exprimer même de simples questions, sans parler de ceux qui voudraient exprimer certaines perplexités.

C'est une attitude inquiétante, une défense du pape pour le moins suspecte venant de ceux qui ont ouvertement contesté les prédécesseurs François. Et seulement pour avoir posé de simples demandes d'éclaircissement sur l'exhortation apostolique Amoris Laetitia qui, comme chacun peut le voir, a donné lieu à des interprétations contradictoires et certes non conciliables. À cet égard, il faut se rappeler que les "Dubia" sont un instrument très utilisé dans la relation entre les évêques et la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (et à travers elle, avec le Pape). La nouveauté dans ce cas est simplement d'avoir rendu ces Dubia publics, mais après deux mois d'attente vaine d'une réponse, que les quatre cardinaux ont légitimement interprétée comme une invitation à poursuivre la discussion.

Pourtant, pour Melloni il s'agit d'«un acte subtilement subversif», faisant partie d'un jeu potentiellement dévastateur, avec des instigateurs inconnus, mené sur le fil d'une histoire moyennâgeuse». Un acte subversif, expliquera Melloni dans une autre interview, parce que poser des questions signifie mettre le pape en accusation, une méthode [digne] de l'Inquisition. C'est à ne pas y croire: demander des éclaircissements est devenu une activité subversive, de l'Inquisition. Et puis les «instigateurs» inconnus: accusations vagues, scénarios fantaisistes, mais qui doivent donner l'impression d'un complot qu'il faut affronter avec décision. Et en effet, voici le passage suivant: «ceux qui portent ce genre d'attaques ne sont pas des "mécontents" ou des "adversaires" mais des gens qui visent à "diviser" l'Église. Ce qui, en droit canon est un crime, punissable».

Même des criminels, par conséquent, parce qu'ils veulent diviser l'Église. Peu importe que la réalité soit exactement le contraire: l'envie de poser des questions au Pape est née de l'observation de la division dans l'Eglise qui a été rendue évidente avec les interprétations opposées d'Amoris Laetitia .

Il y a dans l'Eglise comme une puanteur de maoïsme, un bruit de gardes rouges et d'avant-gardes révolutionnaires; il manque seulement les camps de rééducation. Et encore, il semble que ceux-ci existent désormais aussi, du moins selon l'habituel Melloni. En fait, il nous explique pourquoi François n'a pas usé envers Mgr Lucio Vallejo Balda - dans les geôles vaticanes à la suite du scandale Vatileaks - de la clémence qu'en revanche il a invoquée pour les prisonniers dans les autres pays du monde: «A la fin du Jubilé, on comprend pourquoi: François ne voit pas dans ce procès une procédure pénale, mais un geste pédagogique envers les opposants... qui désormais risquent beaucoup». Bref, en frapper un pour en éduquer cent.

Il s'agit d'une lecture vraiment inquiétante, à plus forte raison si l'on considère que ceux qui aujourd'hui se déchaînent dans la défense du pape pour de simples demandes de clarification qui devraient être normales, contestaient jusqu'à hier ouvertement les prédécesseurs de François. Aujourd'hui, ils voient même en François l'occasion d'effacer ce que Paul VI et Jean Paul II ont enseigné sur la famille. L'encyclique Humanae Vitae (Paul VI) et l'Exhortation apostolique Familiaris Consortio (Jean Paul II) ont été la cible d'un certain nombre de Conférences épiscopales d'Europe (Autriche, Allemagne, Suisse, Belgique) lors du récent double Synode sur la famille.

Et qui d'entre eux s'est scandalisé quand le cardinal Carlo Maria Martini a écrit crûment ("Conversations nocturnes à Jérusalem") qu'«Humanae Vitae a produit «un dommage considérable» avec l'interdiction de la contraception, de sorte que «beaucoup de gens se sont éloignés de l'Église, et l'Église des gens»? Et quand il a appelé à un nouveau document papal qui dépasse l'encyclique, surtout après que Jean-Paul II ait suivi «la voie d'une application stricte» d'Humanae Vitae? Certainement personne, car ce qui importe n'est pas l'objectivité du Magistère (dont la référence est la Révélation de Dieu), mais le projet idéologique de cette avant-garde soi-disant représentative de la volonté populaire.

Et alors, il y a une cohérence intime dans le fait que les papistes d'aujourd'hui sont les rebelles d'hier. Oui, les rebelles. Parce que, depuis Paul VI, ces évêques et intellectuels, ces maîtres de l'obéissance au Pape, ont déclaré la guerre au Magistère dans la mesure où il ne reflète pas l'esprit de Vatican II; ils ont signé des manifestes, des documents et des appels dans lesquels ils contestent ouvertement le pape régnant, que ce soit Paul VI, Jean-Paul II ou Benoît XVI. Rappelons au moins le lourd document du célèbre moraliste allemand Bernard Häring [auquel Cascioli oublie de dire que François a récemment rendu un hommage appuyé, cf. leblogdejeannesmits.blogspot.fr], en 1988, contre Jean Paul II, qui avait reçu beaucoup de soutien en Europe, suivi de près par la Déclaration de Cologne, en 1989, d'un contenu analogue, signée par de nombreux théologiens influents, allemands, autrichiens, néerlandais et suisses. Et en Italie immédiatement accueillie avec faveur, entre autres, par ce Giovanni Gennari qui est aujourd'hui le gardien de l'orthodoxie depuis les colonnes de l'Avvenire .

Mais la même année en Italie arrive aussi le Document des 63 théologiens, une Lettre aux chrétiens publié dans les colonnes de Il Regno, qui défie ouvertement l'enseignement de Jean-Paul II. Et dans la liste des signataires, nous trouvons des noms connus qui ont régné dans les séminaires et les universités pontificales au cours des dernières décennies, créant un authentique magistère parallèle dont nous voyons aujourd'hui les fruits amers. Ils ont joué les victimes, mais tous ont fait de brillantes carrières, certains sont même devenus évêques, comme ce Monseigneur Franco Giulio Brambilla, actuellement évêque de Novara et dans la course pour succéder au cardinal Angelo Scola à Milan. Mais comme par hasard, parmi les signatures , nous trouvons celle de l'inévitable Alberto Melloni, avec ses collègues de l'école de Bologne (Giuseppe Alberigo en tête), le prieur de la Communauté de Bose Enzo Bianchi, etc..

Ce sont les mêmes qui ont continué à attaquer publiquement Benoît XVI, s'en prenant à lui à propos de l'interprétation correcte du Concile Vatican II que Melloni, Bianchi & Cie ont toujours considéré comme un tournant radical et irréversible «dans la compréhension de la foi de l'Eglise» contre l'herméneutique de la réforme dans la continuité expliquée par le pape Ratzinger. Et comment pourrions-nous oublier qu'ils se sont déchirés les vêtements à la levée de l'excommunication aux lefebvristes tandis qu'aujourd'hui, pas même un soupir ne s'est élevé face aux ouvertures unilatérales de François.

Ce sont ces personnages qui prétendent à présent juger cardinaux, évêques et laïcs préoccupés par la grave confusion qui a surgi dans l'Église. Une bande d'hypocrites et de sépulcres blanchis, qui poursuivent depuis des décennies leur agenda ecclésial, qui utilisent le pape pour affirmer leur propre projet d'Eglise [à vrai dire, on ne sait pas vraiment qui se sert de qui, mais il est désormais absolument certain que le Pape lui-même y trouve son compte, et que son entourage reflète fidélement, c'est le moins que l'on puisse dire, cette "sensibilité ecclésiale"], et qui aujourd'hui se permettent l'arrogance de gens qui pensent être aux commandes d'une joyeuse et victorieuse machine de guerre. Ce sont eux les vrais fondamentalistes, soutenus par une presse complaisante [et poussés par le Pape, qui les appuie de toutes ses forces, mais "en douce"!!!] qui a hâte d'effacer toute trace de l'identité catholique.
Laquelle, malheureusement pour eux, ne succombera pas.

Mise à jour le 2/12


Un lecteur, Laurent V. m'adresse à l'instant cet intéressant commentaire:

Dans l’article de Riccardo Caccioli, que vous citez, il est question de gardes rouges, de geôles vaticanes et d’Inquisition. Ce seul mot d’Inquisition, employé par les adversaires des quatre cardinaux fidèles, fait frémir, bien que le nombre des victimes de cette institution ait été, en cinq siècles, de l’ordre de quelques centaines, là où le seul "Bond en avant" du Grand Timonier (1958-1960) a fait entre trente et quarante-cinq millions de morts...
En 1846, à La Salette, Notre-Dame annonçait : “L’Eglise aura une crise affreuse.” Etymologiquement, est affreux ce qui fait peur ; et il est certain que les gardes rouges et les geôles nous terrifient. Pourtant, ils ne sont que l’image d’une réalité beaucoup plus douce. Des cardinaux font leur devoir et y risquent peut-être leur barrette. Le pape est en colère et envoie les membres de sa garde rapprochée en éclaireurs. Tout cela est un peu mou et n’intéresse guère que les spécialistes du Vatican.
Il faut donc s’interroger sur cette “crise affreuse” qui n’a droit ni à la une du Monde, ni à celle du journal de Pujadas, bien que son retentissement historique ait peut-être autant d’importance que la naissance d’un Nazaréen obscur dans une crèche de Bethléem, il y a 2 000 ans.
Le plus affreux, c’est peut-être justement qu’on n’en parle pas. Le loup, déguisé en agneau de miséricorde, est dans la bergerie. Quelques braves chiens de berger s’en sont aperçus et essayent de faire leur boulot. Le berger a été mis sur la touche, et pour des raisons mystérieuses, il ne peut pas intervenir. Quant aux moutons, ils se sont résignés : une douce et confortable euthanasie est à tout prendre moins fatigante que d’escalader la montagne jusqu’aux alpages.
Notre-Dame avait raison : c’est affreux.