En marge de la visite de Leonardo DiCaprio


... et de son dernier film, "The Revenant", qui sort ces jours-ci, la magnifique histoire des jésuites qui ont évangélisé les peaux-rouges, racontée par Sandro Magister: celle d'une Eglise missionnaire qui n'a pas attendu Vatican II pour sortir vers les périphéries (29/1/2016)

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Leonardo DiCaprio chez le pape


Saints Isaac Jogues et Jean de Brébeuf et leurs compagnons martyrs (1642-1649)

François, Leonardo DiCaprio et la véritable Église "revenante"


Settimo Cielo
29 janvier 2016
Ma traduction

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A la surprise générale, dans la matinée du jeudi 28 Janvier, François a accordé une audience au Vatican à Leonardo DiCaprio, en raison, a-t-on fait savoir, de la convergence entre l'encyclique "Laudato si'" et l'activisme écologiste de l'acteur, nominé aux Oscars comme vedette du film "The Revenant".

«Lugubre et par moments opressant», a écrit à propos du film Andrea Galli dans "Avvenire" du 23 Janvier, tout en laissant aux critiques de cinéma l'évaluation compétente.
Parce que ce qui importait vraiment au journaliste du quotidien catholique - qui fut l'interlocuteur du cardinal Camillo Ruini dans le dernier livre du cardinal "Intervista su Dio" -, c'était de lever le voile sur ce que "The Revenant" ne fait qu'éclairer d'un flash, dans une brève scène, lorsqu'il cadre le protagoniste silencieux dans les ruines d'une église catholique, au milieu d'une nature sauvage.

Dans les premières décennies du XIXe siècle, en effet, entre le cours supérieur du Missouri et les Rocheuses, une poignée de jésuites héroïques parcoururent ces terres avec un courage et une force desprit qui ne le cèdent en rien à ceux du héros contemporain de "The Revenant". Et même, prévient immédiatement Galli, «avec une différence: eux étaient animés par la recherche non pas de gains matériels, mais du salut des âmes, et ils ont réussi à pénétrer le monde indigène comme personne d'autre auparavant».
Leur entreprise fut incroyable. Elle s'étendit sur trois siècles et le récit qu'en fait Galli dans "Avvenire" est à lire absolument en entier (cf. West: i missionari "revenant")

Les pionniers de ces missionnaires jésuites pénétrèrent dans ces terres dans la première moitié du XVIIe siècle: «ils instruisirent les Peaux-rouges, les éloignèrent de leurs coutumes inhumaines, les baptisèrent et commencèrent une patiente inculturation de l'Evangile. Ils passèrent par des privations et des épreuves qui, s'il n'y avait pas les récits détaillés envoyés régulièrement à leurs supérieurs en Europe, sembleraient invraisemblables».

Le Père Isaac Jogues (1607-1646), capturé par les Mohawks, «après un an d'emprisonnement et de torture rentra chez lui tout couturé et avec les doigts d'une main amputés. Mais peu de temps après, il voulut retourner chez ses Indiens».
Le Père Jean de Brébeuf (1593-1649), capturé par les Iroquois, «subit un lent supplice: il fut ébouillanté, avec de l'eau bouillante et des charbons ardents, on lui rompit l'une après l'autre toutes les articulations, puis on lui coupa successivement le nez, la langue, les oreilles, et on lui creva les yeux. N'ayant pas réussi à l'empêcher de murmurer jusqu'à son dernier souffle "Jésus, ai pitié d'eux", ses bourreaux, après l'avoir réduit à un tronc sans vie, mangèrent son coeur et burent son sang: signe d'admiration pour son courage, et une façon de s'emparer de lui. Et quelque chose de ce genre advint réellement. C'est précisément un groupe d'Iroquois qui transmit à l'Ouest, à travers les montagnes Rocheuses, le souvenir admiratif de Brébeuf et de ses compagnons. Et ainsi, 150 ans plus tard, ayant eu connaissance de la présence des jésuites dans l'avant-poste de Saint-Louis, ces Indiens effectuèrent quatre expéditions audacieuses de milliers de kilomètres, pour demander avec insistance que l'une de ces grandes "robes noires" vînt vivre parmi eux».

Ce qui advint avec le jésuite belge Pierre-Jean De Smedt (1801-1873), «sourire paternel et trempe d'acier, qui devint bientôt, entre d'interminables voyages à pied ou en canoë le long du Missouri, l'un des plus grands connaisseurs de ces terres. Il apprit à dormir dans la neige, à se débrouiller dans des conditions difficiles, escalada des montagnes, pénétra tout seul, muni de son bréviaire et de sa clarinette bien-aimée, un peu comme le jésuite du film "Mission", dans des campements où d'autres auraient été immédiatement tués à coups de tomahawk. Mais pour les Indiens, il était l'homme blanc qui parlait «sans langue fourchue». Il convertit avec son exemple et aussi sa prestance. Un des Indiens qu'il baptisa avait essayé de le tuer dans une embuscade. Mais le Père De Smet parvint à le désarçonner de son cheval, pour le vaincre dans un combat corps à corps et lui arracher la hache de guerre: la preuve de son habileté et de la compassion qu'il montra envers le vaincu conquirent ce dernier au Dieu fort et Miséricordieux des catholiques».

C'est aussi de cela que fut fait cet extraordinaire élan missionnaire qui anima l'Église catholique jusqu'à un peu plus de la moitié du XXe siècle. Puis vint ce repli, et même cet effondrement lucidement dénoncé par le Père Piero Gheddo - lui-mêmegrand missionnaire - dans son mémorable diagnostic d'il y a quelques années (cf. chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1350359?fr=y).

Un diagnostic diamétralement opposée à celui évoqué par François dans l'homélie d'ouverture de l'année jubilaire, le 8 Décembre de l'année dernière, cinquantième anniversaire du Concile Vatican II, qui - selon le pape - aurait au contraire poussé l'Eglise « à sortir des zones asséchées qui pendant de nombreuses années l’avaient refermée sur elle-même, pour reprendre avec enthousiasme le chemin missionnaire» (w2.vatican.va).

«Zones asséchées»? «Refermée»? Mais celle des années, des décennies, des siècles avant Vatican II n'était-elle pas une véritable Eglise missionnaire, «en sortie», qu'aujourd'hui, justement, on voudrait «revenant», revenante (ressuscitée)?