François et le célibat sacerdotal


Le prochain chantier dans la dynamique de la « révolution Bergoglio » sera-t-il au centre d’un prochain synode? La rumeur, en tout cas, court, accréditée récemment par un bergoglien de pointe, Austin Ivereigh. Un article de Giuseppe Nardi fait le point (21/8/2016)

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Le pape François va-t-il convoquer le prochain synode sur l’abrogation du célibat ?
Nouvelles hypothèses


Giuseppe Nardi
www.katholisches.info
16 août 2016
Traduction d'Isabelle

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<Crux>, le portail catholique progressiste du Boston Globe, présentait, quelques jours avant la fête de l’Assomption, une analyse complète des raisons pour lesquelles le pape François pourrait consacrer au thème du sacerdoce le prochain synode, dans le but d’abroger le célibat (cf. cruxnow.com: NEXT SYNOD LIKELY TO FOCUS ON ORDAINING MARRIED MEN). Cette analyse alimentait des rumeurs qui vont dans le même sens.

Le Vaticaniste Sandro Magister avait déjà soupçonné, en décembre 2015 , peu après la fin du double synode des évêques sur la famille, que le pape François pourrait bien consacrer au sacerdoce le prochain synode des évêques, qui aurait probablement lieu en 2018-2019 (cf. www.chiesa: LE PROCHAIN SYNODE EST DÉJÀ EN CHANTIER. SUR LES PRÊTRES MARIÉS). Magister écrivait alors que, si le but du synode sur la famille était d’admettre aux sacrements les divorcés remariés, le but d’un synode sur le sacerdoce pourrait être l’abrogation du célibat. Magister réitéra ses propos en 2016 et ajoutait alors qu’à ses yeux, l’intention de François d’abroger le célibat sacerdotal “était plus qu’une simple intuition”.


AUSTEN IVEREIGH EMBOÎTE LE PAS À SANDRO MAGISTER
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L’article de Crux, paru ce 12 août est de la plume de Austen Ivereigh, qui fut porte-parole du cardinal Cornac Murphy-O’Connor, archevêque de Westminster et primat d’Angleterre jusqu’en 2009.

A la fin du mois de novembre 2014, Ivereigh présentait son ouvrage “The Great Reformer”, consacré au pape François. Quatre jours avant la sortie en librairie de son livre, Ivereigh fut reçu par le pape François à qui il offrit un exemplaire. Progressiste convaincu, Ivereigh s’est montré un bergoglien tout aussi convaincu. Il révèle, dans sa biographie du pape, comment un groupe de quatre cardinaux, baptisé par lui Team Bergoglio, a préparé et organisé l’élection du pape François. L’objectif de l’action était de réparer “l’accident de parcours” que constituait l’élection du pape Benoît XVI en 2005 et de corriger le pontificat de Jean-Paul II. Selon Ivereigh, les quatre cardinaux du Team Bergoglio étaient : son ancien patron, le cardinal Cornac Murphy-O’Connor, l’ancien archevêque de Malines Bruxelles, Godfried Danneels, et les deux Allemands Karl Lehmann et Walter Kasper.

Erwin Kraütler (à droite) dans l'"atelier de l'Amazonie"

Dans son article “Next synod likely to focus on ordaining married men” (Le prochain synode sera probablement consacré à l’ordination d’hommes mariés), Ivereigh suit pour une large part la ligne des réflexions de Sandro Magister et dresse une liste détaillée de tous les signaux que le pape François a envoyés dans ce sens.
Au centre, il y a “l’atelier de l’Amazonie” du cardinal brésilien Claudio Hummes et de l’évêque missionnaire, l’Autrichien Erwin Kraütler (photo).



DES ACTEURS PRINCIPAUX PROGRESSISTES, ÉMÉRITES (ET, POUR LA PLUPART, ISSUS DU MONDE GERMANOPHONE)
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Chez tous les acteurs principaux, les quatre cardinaux du Team Bergoglio, les fondateurs de “l’atelier de l’Amazonie” et d’autres encore qui seront mentionnés ci-dessous, on remarque deux traits communs caractéristiques : tous appartiennent au courant progressiste et sont déjà émérites. Un troisième trait ressort : ils appartiennent pour la plupart au monde germanophone, entendu au sens restreint ou large. De là, se déduit encore autre chose : avec et sous le pontificat de François, des milieux ecclésiaux avancés en âge cherchent une revanche pour ce qu’ils considèrent comme une “erreur” d’aiguillage en 1978 et les pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI.

 

De Almeida avec Leonardo Boff

L’ “atelier de l’Amazonie” sert à ces milieux de fer de lance pour forcer une revendication soixante-huitarde : l’abrogation du célibat sacerdotal que, seule de toute la chrétienté, a jusqu’ici maintenu l’Eglise Catholique Romaine. Les Eglises orientales l’ont atténué et les églises protestantes rejeté complètement en supprimant le sacerdoce sacramentel. A la base de cette offensive, on trouve un document brésilien : “Presbiteros para as comunidades sem Eucaristia : em busca de propostas concretas e corajosas” (Des prêtres pour des communautés sans eucharistie : à la recherche de propositions concrètes et courageuses). Il émane du prêtre et théologien Antonio Joè de Almeida, professeur à l’Université catholique pontificale de Parana (PUCPR) et, dans son titre, fait résonner les demandes du pape François: ces dernières années, Erwin Kraütler a souligné a plusieurs reprises que le pape François avait demandé aux évêques “des propositions concrètes et courageuses”.


L’INSPIRATEUR FRITZ LOBINGER
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Fritz Lobinger

De Almeida, quant à lui, s’appuie pour son travail sur les thèses de l’évêque missionnaire progressiste Fritz Lobinger, originaire de Passau. Lobinger a passé en Afrique du Sud la plus grande partie de sa vie : il y fut, de 1987 à 2004, évêque de Aliwal. Fidèle à Lobinger, Almeida fait valoir comme arguments le manque de prêtres et la nécessité d’assurer les sacrements aux communautés catholiques. Comme solution, il cite l’abrogation du célibat et l’admission d’hommes mariés au sacerdoce.

La revendication n’est toutefois pas exprimée de manière si directe et brutale. De Almeida cite Lobinger, qui défend la thèse selon laquelle certaines communautés, qui “ont un bon parcours ecclésial” – le sens de cette expression reste obscur – devraient avoir la possibilité de se choisir des prêtres dans leurs propres rangs. Ces prêtres, mariés en règle générale, exerceraient, après leur ordination, le ministère sacerdotal “exclusivement” pour leur communauté.

Lobinger a développé les “petites communautés chrétiennes” (Kleine Christliche Gemeinschaften : KCG) comme un nouveau modèle pastoral et structurel qui pourrait se substituter au modèle historique d’organisation de l’Eglise en paroisses. Telles des “démocraties de base”, ces communautés pourraient s’identifier aux “communautés déterminées” qui élisent elles-mêmes leurs propres prêtres.

Au sens strict, l’offensive pour abroger le célibat sacerdotal semble valoir “uniquement” pour les communautés indigènes (Amazonie) qui n’auraient pas encore accès au sacerdoce sacramentel de prêtres célibataires. En réalité, la demande n’est jamais venue de communautés indigènes d’Amérique Latine ou d’Afrique mais de milieux progressistes européens. C’est dans ce contexte occidental qu’il faut en chercher les principaux protagonistes : pas seulement les acteurs visibles, mais aussi ceux qui les soutiennent. Parmi eux, par exemple, le nouvel archevêque de Malines-Bruxelles, Jozef de Kesel qui, le 8 mai dernier, a réclamé l’abolition du célibat sacerdotal (ndt: cf. www.la-croix.com), marchant ainsi sur les traces de son protecteur, le cardinal Danneels , membre du Team Bergoglio et du cercle secret Saint-Gall.

De Almeida ne revendique pas le sacerdoce féminin. Il fait, sur ce point, référence au pape François qui a déclaré que “la porte de l’ordination des femmes est fermée”. Selon le théologien brésilien, le pape n’a pas dit que la porte du “diaconat féminin” fût, elle aussi, fermée. Plusieurs critiques voient là-dedans, il est vrai, une manœuvre tactique.

De Almeida défend ainsi les thèses du cardinal Carlo Maria Martini, un confrère jésuite de Jorge Mario Bergoglio. On considère l’ancien archevêque de Milan, mort en 2012, comme l’adversaire progressiste de Jean-Paul II et comme l’organisateur d’un “tournant” par l’élection d’un pape qui aurait renoué avec les “vues de Jean XXIII”. Martini, fondateur du cercle secret Saint-Gall échoua sur ce point, en 2005 – à l’époque déjà il avait tenté d’empêcher, grâce à son confrère Bergoglio, l’élection de Benoît XVI – mais ses partisans réussirent à atteindre leur but en 2013. Ce serait le cardinal Martini qui, lors d’un entretien privé avec Benoît XV, en juin 2012 – peu avant sa mort – aurait explicitement demandé au pape de se retirer; c’est en tout cas ce que rapporte un autre jésuite présent à l’entretien.

Le cardinal Claudio Hummes, le “faiseur de papes” qui a suggéré au cardinal Bergoglio fraîchement élu de prendre le nom de François, a cité, peu de temps après le conclave, l’abrogation du célibat et le sacerdoce des femmes, parmi d’autres choses, comme objectifs du nouveau pontificat. Le pape François a refusé celui-ci mais il semble tendre vers le premier objectif, si l‘on suit les réflexions de Sandro Magister et d’Austen Ivereigh, deux journalistes catholiques de tendance très différente, qui retracent minutieusement une série de gestes.