François et l'islam


Magister revient sur les stupéfiants propos tenus par le Pape à La Croix - mettant sur le même plan le mandat missionnaire de Jésus aux apôtres et la volonté de conquête par la violence de l'Islam -, et la récente rencontre avec l'Imam d'Ai Azhar (29/5/2016).



Le pape et le grand imam.
Mais Jésus et Mahomet, avaient-ils la même idée de conquête?


Settimo Cielo
23 mai 2016
Traduction d'Anna

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Plus de cinq ans après avoir claqué la porte à Benoît XVI, coupable d'avoir publiquement prié pour les victimes des attentats contre les églises chrétiennes d'Égypte, le grand imam d'Al Azhar, le Sheikh Ahmad Muhammad al-Tayyib a renoué les rapports avec le siège de Pierre, en rencontrant le pape François au Vatican, à midi du lundi 23 mai.
Le communiqué diffusé après la rencontre récite :

« L’entretien, très cordial, a duré environ 30 minutes. Les deux importants interlocuteurs ont souligné la grande signification de cette nouvelle rencontre dans le cadre du dialogue entre l'Église catholique et l'Islam. Ils se sont ensuite entretenus principalement sur le thème de l'engagement commun des autorités et des fidèles des grandes religions pour la paix dans le monde, le refus de la violence et du terrorisme, la situation des chrétiens dans le contexte des conflits et des tensions au Moyen/Proche Orient et de leur protection. »


Ce que le pape François pense de l'islam, il l'a déjà fait comprendre à plusieurs reprises, bien qu'avec une parcimonie toute diplomatique. La dernière fois, il y a quelques jours, dans une interview au quotidien catholique français "La Croix", dans laquelle, entre autre, il a dit:

Je ne crois pas qu’il y ait aujourd’hui une peur de l’islam, en tant que tel, mais de Daech et de sa guerre de conquête, tirée en partie de l’islam. L’idée de conquête est inhérente à l’âme de l’islam, il est vrai. Mais on pourrait interpréter, avec la même idée de conquête, la fin de l’Évangile de Matthieu, où Jésus envoie ses disciples dans toutes les nations.


Presque personne n'a réagi à cette incroyable assimilation de la propagation de l'islam avec l'épée, prêchée par Mahomet, au commandement missionnaire de Jésus (ndt: Dans la blogoshère italienne, Maurizio Blondet l'a fait... de façon plutôt radicale, titrant sans ambages "Qu'il cesse d'insulter Jésus!").
Heureusement, Aldo Maria Valli, un des commentateurs parmi les plus compétents et équilibrés (ndt : mais bergoglien, au moins au départ, en tout cas ne pouvant en aucun cas être catalogué parmi les « nostalgiques de Benoît XVI »), numéro un des vaticanistes de la télévision italienne d'État, s'en est chargé dans un commentaire de son blog personnel (voir ici François, l'Europe, l'Islam)
Le commentaire est à lire en entier car il analyse aussi avec acuité d'autres passages discutables de l'interview à "La Croix", comme le refus de toute référence à l'identité judéo-chrétienne de l'Europe, qui, selon le pape, "pourrait être triomphaliste et vindicative" ou même "colonialiste".

Mais voici ce qu'écrit Valli sur ce point, citant un islamologue qualifié, très écouté dans les années de Benoît XVI, [le jésuite copte Samir Khalil Samir]:

« Passons sur le fait qu'il y ait aujourd'hui davantage de peur de Daesh, c'est à dire de l'État islamique, que de l'islam en tant que tel: on peut en discuter. Les paroles vraiment problématiques sont celles avec lesquelles François dit qu’avec la même mesure de jugement, on peut interpréter comme une activité de conquête aussi la mission confiée par Jésus aux apôtres.
« Le pape reprend ici une idée déjà exprimée dans Evangelii gaudium, lorsqu’il affirme que les fondamentalismes existent des deux côtés, aussi bien chez les chrétiens que chez les musulmans, et les place ainsi en substance sur le même plan.
« C'est une affirmation qui ne tient pas debout. Pour l'expliquer, nous nous référons à ce qu'écrit un spécialiste de l’islam comme le père Samir Khalil Samir, jésuite lui aussi, qui, à propos d'Evangelii Gaudium et du parallèle fait par le pape, affirme (Asianews, 19 décembre 2013):

Personnellement, je ne mettrais pas les deux fondamentalismes sur le même plan: les fondamentalistes chrétiens ne portent pas d'armes; le fondamentalisme islamique est critiqué, en premier lieu, justement par les musulmans, car ce fondamentalisme armé tente de reproduire le modèle mahométan. Dans sa vie, Mahomet a fait plus de soixante guerres: or, si Mahomet est le modèle excellent, (comme l'affirme le Coran, 33:21) il n'est pas surprenant que certains musulmans utilisent eux aussi la violence à imitation du fondateur de l'islam.


« J'ai longuement cité les paroles du père Samir car elles sont claires et posent le problème de la juste perspective. L'islam a un problème avec la violence de matrice religieuse, comme l'avait signalé Benoît XVI à Ratisbonne en 2006. Le nier signifie en premier lieu ne pas aider l'islam à se confronter à lui-même.

« Certes, toute religion, dans une mesure plus ou moins accentuée, peut avoir un problème avec la violence, car toute religion, y compris la chrétienne, peut être utilisée de manière fanatique et violente. Mais affirmer que le christianisme et l'islam sont, dans ce sens, l'image en miroir d'un de l'autre (voir) n'est pas correct, car le Nouveau Testament et le Coran ne sont pas la même chose. Un chrétien fanatique, qui interprète comme un mandat de conquête la tâche confiée par Jésus aux apôtres, dénature complètement l'Évangile. Un islamique fanatique qui interprète comme un mandat de conquête certains messages de Mahomet, peut trouver dans le Coran des paroles qui soutiennent sa thèse. »

Au paragraphe 253 [d'Evangelii Gaudium] on peut lire: "Le vrai islam et une interprétation adéquate du Coran s'opposent à toute violence".
Cette phrase est très belle et exprime une attitude très bienveillante du pape envers l'islam. Il me semble toutefois qu'elle exprime davantage un désir qu'une réalité. Que la majorité des musulmans puisse être contraire à la violence, cela peut même se discuter. Mais dire que le vrai islam est contraire à toute violence ne me semble pas vrai:
la violence est dans le Coran. Dire ensuite qu'une interprétation adéquate du Coran s'oppose à toute violence nécessite beaucoup d'explications.
Si l'islam veut rester aujourd'hui dans cette vision liée au temps de Mahomet, alors il y aura toujours violence.
Mais si l'islam - et de nombreux mystiques l'ont fait - veut retrouver une spiritualité profonde, alors la violence n'est pas acceptable.
Aujourd'hui l'islam est à une croisée des chemins: ou bien la religion est une voie vers la politique et vers une société politiquement organisée, ou bien la religion est une inspiration à vivre avec davantage de plénitude et d'amour.
Ceux qui critiquent l'islam au sujet de la violence ne font pas une généralisation injuste et odieuse: ils indiquent des questions présentes, vivantes et sanglantes dans le monde musulman. En Orient, on comprend très bien que le terrorisme islamique est religieusement motivé, avec citations, prières et fatwas de la part d'imams qui poussent à la violence. Le fait est que dans l'islam il n'y a pas d'autorité centrale, qui corrige les manipulations. Cela fait en sorte que chaque imam se croit un mufti, une autorité nationale, autorisée à émettre des jugements inspirés du Coran jusqu'à ordonner de tuer.


POST SCRIPTUM (de Sandro Magister) - L'historien de l'Église et des civilisations Rémi Brague, français, a lui aussi critiqué l'assimilation par le pape François entre l'expansion guerrière de l'islamisme et le mandat de Jésus d'instruire et de baptiser tous les peuples. Il l'a fait le 24 mai sur Le Figaro, repris à son tour par <Le Salon Beige>, accompagnant sa critique par des citations du Coran (cf. Rémi Brague: "ne pas renvoyer dos à dos islam et christianisme").