La réforme de la réforme


Après la publication de la liste officielle des nouveaux membres de la Congrégation pour le Culte divin, et surtout les propos croisés (et se contredisant) du pape et du Préfet, le cardinal Sarah, le P. Scalese se demande pourquoi (et du fait de quel "lobby") la réforme liturgique issue du Concile est tabou (19/11/2016)

Tandis que le pape prétend que "parler de réforme de la réforme est une erreur" (Un étrange consistoire et d'autres bizareries), le Préfet affirme que "la réforme de la réforme se fera... parce qu'il en va de l'avenir de l'Eglise"....

 

Dans son billet du 3 novembre (Les Revanchards du post-Concile) le P. Scalese déplorait l'"épuration" annoncée à la Congrégation pour le Culte divin dirigée par le cardinal Sarah.
Quelques jours plus tard, il rapportait (dans un billet que je n'ai pas traduit) avoir reçu une mise au point d'un "ufficiale" de ce même dicastère: son correspondant lui reprochait (courtoisement) d'avoir décrit les membres nouvellement nommés comme "un bloc uniforme de pensée", et lui suggérait d'attendre la publication officielle de la liste complète des membres (parmi lesquels certains avaient été confirmés, bien que non cités, selon l'usage, de sorte que les médias qui avaient rapporté la nouvelle et avaient parlé un peu trop vite, d'"épuration") avant de formuler un jugement définitif.

Eh bien, la liste officielle vient d'être publiée sur le site du Saint-Siège. Ce qui permet à notre barnabite d'affiner sa réflexion, et de revenir sur le serpent de mer de la "réforme de la réforme" (voulue par Benoît XVI), un sujet qui lui est cher.

«La réforme de la réforme»: une erreur?


Père Giovanni Scalese CRSP
15 novembre 2016
querculanus.blogspot.fr
Ma traduction

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Ces jours-ci, le site du Saint-Siège a rendu publique la nouvelle composition de la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements. Difficile de formuler un jugement: comme me l'a justement fait remarquer l'ufficiale qui m'avait "repris" avec bienveillance, il faudrait connaître les membres un par un, pour pouvoir déterminer quelle sera l'orientation du Dicastère renouvelé. Parmi les noms de ceux qui avaient été donnés pour "épurés", restent de fait exclus les cardinaux Raymond Leo Burke, Marc Ouellet, George Pell, et Angelo Scola; tandis qu'ont été confirmés les cardinaux Angelo Bagnasco, Mauro Piacenza et Malcolm Ranjith. Nous verrons comment les choses vont évoluer. En tout cas, une chose est certaine: même si les nouveaux membres étaient tous d'orientation "bénédictine", après la dernière déclaration du pape sur la "réforme de la réforme" [dans l'entretien avec le P. Spadaro en introduction à un recueil des homélies de Buenos Aires, cf. Anecdotes diverses autour de François], la Congrégation renouvelée ne mettra sûrement pas à son ordre du jour la "réforme de la réforme".

Faisons le point de la situation.
Comme on s'en souvient, le cardinal Sarah, dans son discours lors de la conférence "Liturgie sacrée", tenue à Londres en juillet dernier, avait révélé que François lui avait dit d'étudier la question de la "réforme de la réforme". Mais quelques jours plus tard, il y avait la déclaration du Bureau de presse par laquelle il désavouait le cardinal. Il y était affirmé entre autre qu'«il est préférable d'éviter d' utiliser l'expression "réforme de la réforme", se référant à la liturgie, cela ayant parfois été une source de malentendu» [cf. Liturgie: pas de "réforme de la réforme" ].

Au mois d'Octobre a été publié le livre du cardinal Sarah "La force du silence". Avec des tons plus nuancés, cessant de mettre le Pape en cause, le cardinal y réaffirme sa conviction:

Voici mon espoir: si Dieu le veut, quand il le voudra et comme il le voudra, dans la liturgie, la réforme de la réforme se fera. Malgré les grincements de dents, elle viendra parce qu'il en va de l'avenir de l'Eglise.

Ces derniers jours, un recueil d'homélies et de discours du cardinal Bergoglio quand il était archevêque de Buenos Aires (1999-2013) est sorti sous le titre Nei tuoi occhi è la mia parola. Le livre est introduit par une conversation du Pape avec le Père Spadaro. En réponse à une question de l'intervieweur, François affirme: «Parler de "réforme de la réforme" est une erreur».

Eh bien, disons qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Il est vrai que, dans sa dernière intervention, le cardinal Sarah ne confirme pas que le pape lui avait dit de s'occuper de la "réforme de la réforme", mais dans la précédente, il l'avait clairement affirmé. Aujourd'hui, le Pape dit: «Parler de "réforme de la réforme" est une erreur».
Lequel des deux a raison?

Mais, en dehors de cette contradiction, qui pourrait être due à un malentendu, ce qui frappe le plus, c'est l'aversion, répandue dans de nombreux secteurs de l'Eglise, envers la simple hypothèse d'une "réforme de la réforme" liturgique. Cela fait longtemps qu'on l'avait compris. Le concepteur d'une "réforme de la réforme" avait été le Cardinal Ratzinger (voir à ce sujet le billet du 27 Juillet 2010 [Traduction ici: benoit-et-moi.fr/ete2010]); devenu pape, on s'attendait à la réalisation immédiate de son projet. Et au contraire, rien. Et même, dès que commencèrent à circuler des hypothèses de changement, on se hâta de tout nier (comme cela est arrivé après l'intervention du cardinal Sarah à Londres).

Je commence à penser que le motu proprio Summorum Pontificum de 2007 avait été émis non pas tant, ou pas seulement, pour aller à la rencontre des lefebvristes, mais comme une sorte de "pis-aller", compte tenu de l'impossibilité de parvenir à une "réforme de la réforme". Le cardinal Ratzinger a toujours été convaincu que la co-existence des deux rites est difficile à gérer (voir à cet égard la lettre qu'il a écrite au Dr Heinz-Lothar Barth le 23 Juin 2003 [cf. benoit-et-moi.fr/2014-II]); c'est pourquoi il était en faveur d'une "réforme de la réforme", pour que le novus ordo puisse récupérer certains éléments de l'antiquior usus et qu'il puisse ainsi y avoir "un rite romain unique". Compte tenu de l'impossibilité de réaliser la "réforme de la réforme", voilà la libéralisation du vetus ordo, de telle sorte qu'avec le temps , les deux formes du rite romain puissent s'enrichir mutuellement, et qu'on puisse ensuite arriver plus lentement à un nouveau unique rite romain renouvelé.
Une hypothèse qui devrait être approfondie.

Ce qui est frappant, c'est cette "inviolabilité" du rite né de la réforme liturgique post-conciliaire. Dès que quelqu'un, fût-ce le pape s'en approche, ne serait-ce que pour formuler la simple hypothèse d'une retouche, immédiatement (la rapidité des démentis, qui ne se vérifie dans aucun autre cas, est significative), il y a un soulèvement contre ceux qui tenteraient de réformer Vatican II.
On se demande: quel puissant lobby a a-t-il derrière cette défense à outrance de la réforme liturgique?

En réalité, "réforme de la réforme" ne signifie en aucune façon abolition de la réforme liturgique et retour à la liturgie pré-conciliaire. Sur ce point, le cardinal Sarah est très clair: il ne s'agit pas de renier le Concile, mais tout au plus de le mettre pleinement en oeuvre (il faut admettre que la réforme liturgique post-conciliaire s'est dissociée en plusieurs points des dispositions de Sacrosanctum Concilium).

"Réforme de la réforme" signifie exactement ce que les mots expriment, à savoir une nouvelle révision de la réforme liturgique.
Je ne vois pas quel mal il y a à proposer une réforme de la réforme liturgique. C'est quelqu'un qui est un partisan convaincu de la liturgie post-conciliaire et n'a aucune nostalgie du vetus ordo (que, contrairement à beaucoup, il a connu dans son enfance comme enfant de chœur) qui vous le dit: la liturgie actuelle me plaît (si elle est célébrée comme il se doit ) et je la considère comme un progrès par rapport à l'ancienne; mais pourquoi exclure a priori son éventuelle amélioration?
On nous répète constamment: 'Ecclésia semper reformanda' (voir le discours du pape à la Curie romaine le 21 Décembre 2015); pourquoi la liturgie ne devrait-elle pas être, elle aussi, 'semper reformanda' ?