Le difficile métier de porte-parole


Le Père Lombardi a fait une énième mise au point (!!), cette fois après les propos du Pape sur le virus Zika et la contraception. Riccardo Cascioli l'a passée au crible: c'est comme si "on" cherchait à récrire le catéchisme. Une argumentation imparable, qu'il faut absolument lire (21/2/2016)

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Ici l'article précédent de Riccardo cascioli sur le sujet: Ces conférences de presse ne servent pas l'Eglise (19/2/2016)

 

Préambule

Rappelons les propos du pape, dans l'avion (ma traduction):

Question: Saint Père, depuis quelques semaines il y a beaucoup d'inquiétude dans plusieurs pays d'Amérique latine, mais aussi en Europe, pour le virus "Zika". Le plus grand risque serait pour les femmes enceintes: il y a de l'angoisse. Certaines autorités ont proposé l'avortement, ou d'éviter une grossesse. Dans ce cas, l'Eglise peut-elle envisager le concept de «moindre mal»?

Réponse : L'avortement n'est pas un «moindre mal». C'est un crime. C'est éliminer l'un pour sauver l'autre. C'est ce que fait la mafia. C'est un crime, c'est un mal absolu. En ce qui concerne le «moindre mal»: éviter la grossesse est un "cas" - parlons de conflit entre le cinquième et le sixième commandement. Paul VI - le grand! - dans une situation difficile, en Afrique, a permis aux sœurs d'utiliser des contraceptifs pour les cas de viol. Il ne faut pas confondre le mal d'éviter une grossesse, tout seul, à l'avortement. L'avortement n'est pas un problème théologique: c'est un problème humain, c'est un problème médical. On tue une personne pour en sauver une autre - dans le meilleur des cas - ou pour s'en tirer à bon compte. C'est contre le serment d'Hippocrate que les médecins doivent faire. C'est un mal en soi, mais ce n'est pas un mal religieux, au début, non, c'est un mal humain. Et évidemment, comme c'est un mal humain - comme tout meurtre - il est condamné. En revanche, éviter une grossesse n'est pas un mal absolu, et dans certains cas, comme celui que j'ai mentionné du Bienheureux Paul VI, c'était clair. En outre, je voudrais exhorter les médecins qu'ils fassent tout pour trouver les vaccins contre ces deux moustiques porteurs de ce mal: il faut travailler sur cela...


A la suite de la poémique que ces propos n'ont pas manqué de susciter, et que certains "thuriféraires" ont immédiatement attribuée à une "mauvaise" interprétation des médias, le Père Lombardi s'est fendu d'une nouvelle mise au point sur Radio Vatican (it.radiovaticana.va/news/2016/02/19/p_lombardi_commenta).

Pour faire passer la pillule (si j'ose dire) le porte-parole a cru utile de "recruter" Benoît XVI, et des propos soi-disant polémiques sur le préservatif, dans le dernier livre-entretien avec Peter Seewald "Lumière du monde" (j'en parlais dès le premier jour ici: Le Pape en roue libre ). Comparaison bien sûr totalement indûe, dont Riccardo Cascioli fait justice, catéchisme et documents en main.

Il est difficile d'imaginer que cette "mise au point d'une mise au point" - trois jours après les faits, et sur Radio Vatican! - n'a pas été approuvée par le Pape...
Et elle pose un grave problème, bien résumé par le directeur de la Bussola:

Les paroles du Père Lombardi indiquent un changement objectif du Magistère de l'Eglise, dont la signification va bien au-delà du cas concerné. Cela veut dire que nous assistons au changement pratique du Magistère de l'Eglise par interview interposée (ou plutôt à travers une interview qui est censée clarifier une conférence de presse). C'est une nouveauté sans précédent dans l'histoire de l'Eglise: sauté, le Catéchisme, ignorées une encyclique (Humanae Vitae) et une exhortation apostolique (Familiaris Consortio) pour affirmer un nouveau principe en faisant comme s'il était parfaitement conforme à la tradition.


La tentation de réécrire le Catéchisme


La Nuova Bussola Quotidiana
Riccardo Cascioli
21 février
(Ma traduction)

Dans un précédent commentaire, mettant en cause l'opportunité des conférences de presse, vu qu'elles sont la source d'innombrables incompréhensions et polémiques, nous nous étions arrêtés entre autres choses sur la réponse donnée à propos de l'avortement et de la contraception, au sujet du virus Zika. Si sur l'avortement les mots ont été plus que clairs, tous les journaux du monde ont en revanche «vu» l'ouverture du Pape François à la contraception. En réalité, dans les paroles du Pape, il était question d'éviter la grossesse qui, dans la perspective de la procréation responsable, est une action licite, évidemment en suivant les méthodes naturelles de régulation de la fécondité. Donc, disions-nous, aucune ouverture à la contraception, bien que la modalité de la question, le langage familier, la réponse sommaire et une certaine goujaterie journalistique aient inévitablement créé «l'affaire».

Aujourd'hui, cependant, il se trouve que le porte-parole du Vatican, le père Federico Lombardi, nous a ouvertement démenti, donnant au contraire raison à ceux qui ont parlé d'ouverture à la contraception, avant tout en donnant l'impression que - «en cas d'urgence» - ce soit déjà un enseignement traditionnel de l'Eglise.
Nous reprenons les mots exacts du Père Lombardi, dans une conversation pour Radio Vatican (lorsqu'on lui a demandé s'il est vrai que le pape a ouvert à la contraception), parce qu'ils posent des problèmes qui vont bien au-delà de ce cas spécifique:

 

«(...) Le Pape distingue ensuite clairement la radicalité du mal de l'avortement comme suppression d'une vie humaine, et au contraire la possibilité de recourir à la contraception ou aux préservatifs, pour ce qui peut concerner des cas d'urgence ou de situations particulières, où l'on ne supprime pas une vie humaine, mais où l'on évite une grossesse. Maintenant, ce n'est pas qu'il dise que ce recours doit être accepté et utilisé sans aucun discernement, et même, il a clairement indiqué qu'il peut être pris en considération en cas d'urgence particulière. L'exemple qu'il a donné de Paul VI et de l'autorisation d'utiliser la pilule pour des religieuses qui couraient le risque très sérieux et continuel de viol(ence) par les rebelles au Congo, à l'époque de la tragédie de la guerre du Congo, fait comprendre que ce n'était pas dans une situation normale que cela devait être pris en compte. Et aussi - rappelons-nous, par exemple - la discussion qui avait suivi un passage du livre entretien de Benoît XVI "Lumière du monde", dans lequel il parlait à propos de l'utilisation du préservatif dans les situations à risque de contamination, par exemple par le sida. Alors, la contraception ou le préservatif, dans des cas d'urgence et de gravité particulières, peuvent également faire l'objet d'un sérieux discernement de conscience. C'est cela qu'a dit le Pape»
(une petite remarque de traduction: quand on veut être compris par les journalistes - sans vouloir être insultants... - sur des sujets aussi cruciaux, on ne fait pas des phrases à rallonge. Celles qu'utilise ici un vieux routier de la communication comme le Père Lombardi sont particulèrement indigestes).



En résumé: selon le père Lombardi - qui interprète la pensée du Pape - la contraception, ce n'est pas bien, mais dans certains cas ("d'urgence particulière"), on peut le faire, comme l'ont déjà indiqué concrètement Paul VI et Benoît XVI.

Le premier problème est que ni Paul VI ni Benoît XVI n'ont jamais approuvé une telle position.
Sur le cas des sœurs du Congo, je l'avais déjà expliqué dans l'article précédent: on ne peut tout simplement pas parler de contraception.
Sur le cas de Benoît XVI, il est grave que le porte-parole du Vatican ignore la Note de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi du 21 Décembre 2010 dans laquelle il était mis fin à l'exploitation du sujet en précisant que - là encore - la contraception n'avait rien à voir ici (cf. benoit-et-moi.fr/2010-III).

En outre, à partir des propos du porte-parole du Vatican, il semble qu' «éviter une grossesse» et «utiliser des méthodes contraceptives» soient synonymes. Mais ce n'est pas ce qu'a enseigné l'Eglise jusqu'à présent.
Le Catéchisme de l'Eglise catholique énonce:
« La continence périodique, les méthodes de régulation des naissances fondées sur l’auto-observation et le recours aux périodes infécondes sont conformes aux critères objectifs de la moralité. Ces méthodes respectent le corps des époux, encouragent la tendresse entre eux et favorisent l’éducation d’une liberté authentique. En revanche, est intrinsèquement mauvaise "toute action qui, soit en prévision de l’acte conjugal, soit dans son déroulement, soit dans le développement de ses conséquences naturelles, se proposerait comme but ou comme moyen de rendre impossible la procréation"» [§ 2370]

En d'autres termes: régulation de la fécondité (avec des méthodes naturelles) oui, contraception, non.
Et même, la contraception est «intrinsèquement mauvaise» (§ 2270), ce qui revient à dire qu'il n'y a aucune circonstance qui puisse la rendre acceptable. Dans Humanae Vitae et Familiaris Consortio, [on en trouve] l'explication complète: il suffit de dire que le "non" à la contraception est seulement un corollaire de l'affirmation de la beauté de l'amour conjugal. Différente est en revanche l'utilisation de ces instruments à des fins non contraceptives, comme justement dans les cas de Paul VI et de Benoît XVI cités ici.

Dans le cas du virus Zika, objet de la réponse du Pape François, nous parlons en revanche d'authentique contraception, avant tout en plaçant le risque hypothétique d'une malformation du fœtus parmi les «cas d'urgence».
À ce stade, il est légitime pour un fidèle ordinaire de se demander quels sont les cas d'urgence, et qui les décide: les motifs économiques, là où il y a une grande pauvreté et une grande misère, rentrent-ils dans ces cas? Si oui, alors on justifie également l'utilisation de la contraception dans les pays en développement ou dans les quartiers pauvres des villes occidentales. Et au diable les décennies de luttes du Saint-Siège à l'ONU pour empêcher les politiques de contrôle des naissances. Et si le risque de malformations du fœtus est un cas [d'urgence], alors, par cohérence, nous arriverons à dire que la contraception est toujours justifiée puisque personne n'a la garantie d'un enfant en bonne santé.

Mais en dehors de l'introduction de cette casuistique, qui plaira aux «docteurs de la loi», les paroles du Père Lombardi indiquent un changement objectif du Magistère de l'Eglise, dont la signification va bien au-delà du cas concerné. Cela veut dire que nous assistons au changement pratique du Magistère de l'Eglise par interview (ou plutôt à travers une interview qui est censée clarifier une conférence de presse). C'est une nouveauté sans précédent dans l'histoire de l'Eglise: sauté, le Catéchisme, ignorées une encyclique (Humanae Vitae) et une exhortation apostolique (Familiaris Consortio) pour affirmer un nouveau principe en faisant comme s'il est parfaitement conforme à la tradition. Du reste, on peut être sûr que presque personne n'ira consulter catéchismes, encycliques et autres documents; aujourd'hui, ce sont les manchettes des journaux qui expliquent ce que dit l'Eglise

Mais à ce point - et c'est ici que la question devient universelle - n'importe quelle autre affirmation définitive du Magistère peut être mise en discussion: si ce que l'Eglise a toujours considéré comme un «mal intrinsèque» peut un jour devenir licite, alors il n'y a plus rien d'objectif dans la morale catholique. Et s'il est vrai que le christianisme n'est pas une morale, il est également vrai, cependant, que la morale est une conséquence objective du fait chrétien, elle n'est pas indifférente: la frontière entre le bien et le mal est nette et claire. Certaines déclarations - qu'on le veuille ou non - ont pour conséquence de supprimer cette frontère, tout devient relatif. Et source de confusion pour les simples fidèles.

Est-ce trop, de demander des éclaircissements?