Le monde après la victoire de Trump


... ou le crépuscule du "Nouvel Ordre Mondial". Une analyse brillante des implications gépolitiques, économiques et financières de l'élection de Donald Trump. Jusqu'au Vatican (13/11/2016)


C'est le Père Scalese qui m'a conduite vers cet article. Sur sa page Facebook, il écrit que selon lui, il s'agit de «l'analyse la plus perspicace et la plus complète parue jusqu'à présent». Et il ajoute: «Pour ma part, deux espoirs : un peu de paix en Afghanistan (où il réside actuellemnt en tant que supérieur ecclésiastique de la Mission afghane: cf. En mission à Kaboul) et au Moyen-Orient; la fin de l'époque des "printemps" (dans l'est européen, dans les pays arabes et... dans l'Église). Il serait temps qu'arrive l'été.

Toute la première partie de l'article qui brosse un tableau général de l'ex "Nouvel Ordre Mondial", devenu en un jour "l'ordre ancien" est exceptionnelle, et c'est elle qui m'a donné envie de le traduire. Pour la seconde, qui examine l'un après l'autre les différents domaines et régions du monde impactés par le séisme du 8 novembre, et qui trace les perpectives... eh bien, la démarche suivie me paraît plus risquée, et les conclusions probablement discutables. Mais c'est le propre de la prévision.

Trump vainqueur, et le monde ne sera plus le même


9 novembre 2016
Federico Dezzani
federicodezzani.altervista.org
Ma traduction

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Donald Trump s'est adjugé les élections présidentielles du 8 Novembre 2016: c'est un séisme politique qui va révolutionner le système international. De l'avenir de l'Union européenne aux relations avec la Russie, de la monnaie unique à l'Église catholique, du destin d'Angela Merkel à celui de Matteo Renzi, rien ne sera comme avant. Ainsi se termine l'ère de la mondialisation et de la finance sauvage, commencé il y a exactement 27 années avec l'effondrement du mur de Berlin. Une autre vague, tellement puissante que seule la presse occidentale soudoyée pouvait l'ignorer, est partie: celle de la souveraineté économiquee et politique retrouvée sur une base nationale. Le monde unipolaire est au crépuscule, laissant la place à un système tripartite instable, inextricablement lié au sort de Donald Trump.

DONALD TRUMP ET LE DÉBUT D'UNE NOUVELLE ÈRE
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Les «populistes», ou peut-être faudrait-il dire le peuple, ont accompli l'exploit: Donald Trump a remporté les élections présidentielles du 8 Novembre, conquérant trois États clés (Floride, Caroline du Nord et Ohio) et faisant une percée dans le Midlewest, autrefois coeur de l'industrie manufacturière américaine, et aujourd'hui ravagé par trois décennies de politiques anti-industrielles et pro-finance, qui a ses racines dans l'administration démocrate de Jimmy Carter. Trump l'emporte: malgré le tir de barrage des médias, malgré le désengagement du Parti républicain lui-même, malgré l'aversion de la haute finance, malgré l'«excommunication» de Jorge Mario Bergoglio, malgré les railleries des stars d'Hollywood. Et il gagne proprement, de manière nette et sans équivoque, s'adjugeant le plein contrôle des deux chambres du Congrès,

C'est une victoire des peuples contre l'oligarchie; de l'industrie contre la finance; des Etats nationaux contre les organismes supranationaux; de la souveraineté contre le mondialisme. C'est une glorieuse révolution du peuple américain contre l'élite prédatrice et subversive de la haute finance: celle qui contrôle le New York Times, le Financial Times, The Economist, etc; celle qui tire les ficelles de l'Union Européenne; celle qui a nourri les Frères musulmans et l'ISIS ; celui qui a entraîné le monde à un pas de la guerre avec la Russie. C'est le réveil des patries qui brisent les liens avec lesquelles elles avaient été emprisonnés par les cliques maçonnico-financières, déterminées à diluer les États-Unis d'Amérique et les pays européens dans d'énormess Léviathans transnationaux.

Ainsi se termine une époque et s'ouvre un nouveau chapitre dans l'histoire: 27 années exactement, c'est la période où les élites financières ont pu exercer une domination pratiquement incontestée, dévorant, année après année, les membres de l'Occident, lequel, martyrisé, s'est enfin rebellé.
On revient [par la pensée] à Novembre 1989, lorsque la chute du mur de Berlin marque la fin du monde bipolaire; deux ans s'écoulent et l'Union soviétique se dissout, laissant le champ libre à l'empire anglo-américain et pleine liberté d'action à l'oligarchie de la City et de Wall Street: suivent le traité de Maastricht qui jette les bases de l'euro (1992), l'abolition [par Clinton] du Glass-Steagall Act (1999) [une réglementation datant de 1933, qui instaurait l'incompatibilité entre les métiers de banque de dépôt et de banque d'investissement et le plafonnement des taux d'intérêt sur les dépôts bancaires], l'entrée de la Chine à l'OMC (2001), l'introduction de l'euro (2002) et une série frénétique de bulles spéculatives qui se chevauchent les unes après les autres (2000, 2008 et celle actuelle).

La désindustrialisation de l'Occident s'accélère brusquement, tandis que la haute finance enregistre des profits record: la classe moyenne, exposée aux vents glacés de la concurrence internationale, périclite et la chute du niveau de vie n'est certes pas compensée par les «libertés» distribuées à pleines mains par l'oligarchie: droit à l'avortement facile, drogues libres, mariages homosexuels, etc. etc.

Le crack de Lehman Brothers et la Grande Récession qui s'ensuit assènent un premier et dur coup à l'ordre libéral issu de la dernière guerre et transformé en «Nouvel Ordre Mondial» au début des années 90: en dépit de cela (ou à cause de cela?), l'oligarchie euro-atlantique appuie sur l'accélérateur. 2011 est l'année du changement: eurocrise pour déchirer les États-Unis d'Europe, et déstabilisation du Moyen-Orient, suivies d'une nouvelle vague subversive en 2014: déchaînement de l'ISIS et coup d'Etat ukrainien dans une clé anti-russe. Aux commandes de ces manœuvres, se cachant à peine, il y a la candidate démocrate à la présidentielle, Hillary Rodham Clinton qui, en tant que secrétaire d'Etat met le feu à la la Méditerranée et tente même une révolution de couleur en Russie pour empêcher la réélection de Vladimir Poutine à la présidence.

Hillary Clinton est en somme le porte-étendard de cet establishment euro-atlantique qui a dévoilé pleinement son visage inquiétant au cours des dernières décennies: pro-finance, pro-globalisation, pro-UE, pro-Frères musulmans, pro-immigration aveugle. C'est le visage répugnant d'une élite maçonnico-financière, celle de George Soros et des Rothschild, meurtrière de masse, prédatrice et prévaricatrice: les opinions publiques, fatiguées et dégoûtées, s'insurgent

Le mécontentement envers l'oligarchie, qui a couvé pendant des années et a gonflé jour après jour, explose au Royaume-Uni en Juin 2016 et se manifeste avec le référendum qui décrète le Brexit: c'est la preuve que de grandes forces telluriques sont en oeuvre sous la croûte de l'Occident et, même si elles sont ignorées par les médias, moquées par les intellectuels et contracarrées par tous les moyens par les gouvernements, elles progressent, puissantes et imparables. Le système sur lequel s'appuie la puissance anglo-américaine est perpétuable aussi longtemps que les forces «populistes», les barbares modernes qui campent en Occident, sont reléguées aux marges de l'empire: petites tribus dispersées en Europe. La crise, cependant, devient dramatique quand les envahisseurs se mettent en marche vers la capitale de l'empire, dont la chute éventuelle produirait un effet domino: ceci explique la dureté de la campagne électorale qui vient de se terminer, les revirements sensationnels au sein même du Parti républicain et la distorsion de la réalité par les médias, dans une tentative extrême de changer le résultat des élections.

La victoire de Donald Trum équivaut à la déposition de Romulus Augustule [né en 461, généralement considéré comme le dernier empereur romain d'Occident]: c'est la fin de l'empire anglo-américain, le crépuscule définitif de «l'ordre libéral» post-1945, l'ouverture d'un nouveau chapitre de l'histoire.
Quelles sont alors les conséquences de victoire de Donald Trump? Quel effet aura-t-elle sur le système international?
L'impact est de nature de nature économique, militaire, géopolitique et même religieuse: de l'Union européenne à la Russie, du Moyen-Orient au Vatican, des changements profonds et radicaux se profilent à l'horizon.

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UNION EUROPÉENNE ET LA MONNAIE UNIQUE: la victoire Donald Trump, saluée avec enthousiasme par les droites européennes et avec consternation par l'establishment euro-atlantique (voir à cet égard la réaction du Président du Parlement européen, Martin Schulz: «Certes, la relation transatlantique deviendra plus difficile. J'espère qu'il respectera les droits et les règles fondamentales»), accélère le processus de dissolution de la monnaie unique et des institutions de Bruxelles. L'euro et l'Union européenne sont, en effet, un produit de cette élite maçonnico-financière qui s'était rassemblée derrière Hillary Clinton et a tenté par tous les moyens de contrecarrer la victoire de Trump: ce n'est certainement pas un hasard si, parmi les conseillers du futur président américain, figure l'anti-européiste Nigel Farage. Le sort de l'euro et des institutions de Bruxelles était certes déjà scellé et les fondamentaux économiques auraient dû d'eux-mêmes décréter l'implosion de la zone euro: mais aussi longtemps qu'un porte-drapeau de l'establishment euro-atlantique occupait la Maison blanche, le résultat inévitable aurait été retardé autant que possible, et on ne pouvait pas exclure la possibilité de la naissance d'États-Unis d'Europe à travers une guerre avec la Russie. L'élection de la Clinton évanouie, la salle de contrôle qui jusqu'à présent garantissait l'intégrité de la zone euro (qu'on se rappelle les pressions d'Obama pour garder Athènes dans la monnaie unique) vient à manquer et, surtout, la chaîne de commande qui, à partir des centres de pouvoir anglo-américains irradie en Europe est mortellement blessée: la personnalité à surveiller de plus près est celle de la chancelière Angela Merkel, dont la chute en disgrâce, presque certaine après l'élection de Donald Trump, aurait un effet domino sur l'Union européenne.
Survie de l'euro : 3-12 mois.


OTAN:
l' Alliance de l' Atlantique Nord, dont l'Union européenne est le revers économique et politique, est la «tête de pont» (définition de Zbigniew Brzezinski) avec laquelle les Anglo-Américains se projettent sur le continent euro-asiatique. Trump, s'attirant les flèches des commentateurs et des analystes, a affirmé au cours de la campagne électorale que la défense des Etats baltes, nouveaux membres de l'OTAN, ne serait plus automatique, mais plutôt à pondérer attentivement. L'hypothése d'un nouvel élargissement est désormais une utopie et il faut au contraire réfléchir si l'OTAN, résidu de l'empire anglo-américain épuisé, sera en mesure de survivre au désengagement des Etats-Unis (qui en garantissent le caractère opérationnel), à la dissolution de l'Union européenne et à la re-nationalisation des politiques étrangères des membres individuels.
On peut en supposer la survie comme simulacre vide pendant un certain temps encore.
RUSSIE: sous la présidence Obama, la guerre froide a été artificiellement ressuscitée pour creuser un fossé entre l'Europe et la Russie et empêcher l'intégration économique entre les deux zones, scenario historiquement abhorré par l'oligarchie atlantique. Il est probable que, si elle avait été élue, Hillary Clinton aurait porté à ses conséquences extrêmes la stratégie de l'administration démocrate au pouvoir, entraînant le monde dans la guerre. La nomination de Donald Trump comme président des États-Unis conjure, au contraire, tout scénario d'escalade militaire: le prochain locataire de la Maison Blanche est certainement prêt à reconnaître à Moscou l'inviolabilité de ses intérêts vitaux (Baltique, Ukraine et Caucase). Petro Porochenko et sa junte ukrainienne ferait bien de chercher une maison à Zürich ou aux alentours.
Les sanctions abolies et les relations avec l'Occident rétablies, la Russie retourne ainsi dans le concert international avec le rang de «superpuissance» récemment reconquis au Moyen-Orient, aux côtés des États-Unis et de la Chine.


MOYEN-ORIENT: le président égyptien Al-Sisi, le néo-Sultan Recep Erdogan, le président syrien Bachar al-Assad et le gouvernement algérien sourient. L'Arabie Saoudite ne se réjouit pas, mais ne se désespère pas non plus, parce que les rapports avec Washington sont désormais fissurés depuis des années (voir les malheurs politiques du Prince Bendar ben Sultan) et l'élection d'Hillary Clinton aurait peut-être provoqué une révolution de couleur dans le style «printemps arabe».
Le Qatar retrouve son juste poids: une protubérance de la péninsule arabique. L'ISIS sera définitivement éradiquée après avoir englouti plusieurs dizaines de milliards de pétrodollars; la Syrie trouvera la paix après cinq ans de guerre; en Lybie, le gouvernement du général Khalifa Haftar, béni par l'Egypte et la Russie, devrait probablement s'étendre à toute la Libye, engloutissant l'éphémère gouvernement d'unité nationale de Faiez Al-Serres, sponsorisé par les Anglo-Américains et les islamistes. Israël se félicite de l'élection de Donald Trump, mais c'est une cordialité de façade, parce que l'éviction de Bachar al-Assad et la balkanisation de la région s'évanouissent définitivement: il est significatif que tout le milieu israélo-néoconservateur se soit rassemblé autour de la Clinton.
Les flux migratoires en provenance d'Afrique du nord et du Levant devraient en conséquence cesser.


VATICAN: cela semblera à beaucoup de la politique-fiction, mais il est raisonnable de supposer que l'élection de Donald Trump aura un effet aussi sur l'Eglise catholique. Avec l'élection de Donald Trump à la Maison Blanche, disparaît en effet cette «majorité maçonnico-financière» qui a exprimé Jorge Mario Bergoglio au conclave de 2013. Il est raisonnable d'imaginer la retraite du pape (qui, en son temps «excommunia» Trump, stigmatisant ses positions anti-clandestins) suivant les traces de Benoît XVI - mais nous nous réservons d'aborder prochainement le sujet dans un article ad hoc.


CHINE: Certains observateurs ont prédit, en cas de victoire de Donald Trump, un raidissemnt des relations sino-américaines et une politique de confinement encore plus agressive que celle adoptée par Barack Obama. En réalité, le même discours que pour la Russie s'applique: Donald Trump pourra difficilement se lancer dans un conflit militaire dans la mer de Chine du Sud pour défendre telle ou telle petite île. La rhétorique «anti-chinoise» de Donald Trump est de nature purement économique et par conséquent, un relèvement des droits de douane et les barrières douanières est concevable, de manière à «rapatrier» une partie de ces activités productives (de la sidérurgie aux produits manufacturés, de la technologie aux produits pharmaceutiques) qui ont délocalisé en Chine depuis le début des années 90. Mais Pékin, dans l'intervalle, a accumulé un telle quantité de capitaux et développé un tel marché intérieur, qu'il sera en mesure d'encaisser sans traumatisme même une réduction des exportations vers les États-Unis. La classe dirigeante chinoise est intimement realpolitiker et apprécie depuis l'époque de Richard Nixon les administrations républicaines qui ont en horreur toute «approche idéologique».


ÉCONOMIE et FINANCE: avec l'élection de Donald Trump, la mondialisation, qui donnait des signes de fatigue depuis 2008, est définitivement entrée en crise. L'industrie et le secteur manufacturier, les seuls secteurs capables de fournir un vrai bien-être à la classe moyenne, reviennent au centre de la politique économique des États-Unis, dépoussiérant des mots comme «droits [d'importation]», «barrières», «protectionnisme». Si l'industrie monte, de la finance inexorablement descend: le système bancaire, qui pendant vingt ans a occupé le sommet de l'économie, est de nouveau subordonné à l'économie réelle. La puissance de la Réserve fédérale sera dangereusement assiégée par Donald Trump, qui aura beau jeu de mettre sur le dos de Ben Bernanke et Janet Yellen les dommages dévastateurs causés par le prochain éclatement de la bulle de Wall Street, alimentée par huit années d'intérêt zéro. Il sera intéressant d'observer comment Donald Trump fera face à la prochaine crise économique: politique orthodoxe (plus de dette publique) ou peu orthodoxe (défaut partiel [de paiement], billets d'état, monétisation de la dette)?
Le bras de fer avec l'oligarchie financière, joué sur fond de crépuscule du dollar comme monnaie de réserve mondiale, sera sans doute le défi le plus redoutable et le plus sanglant pour Donald Trump.

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En additionnant les différents éléments, quel système international se profile après l'élection de Donald Trump?

L'empire anglo-américain définitivement archivé, on passe à un monde dominé par trois grandes puissances (Etats-Unis, Russie et Chine) et une zone (le Vieux Monde) qui va vers une réorganisation économique et politique radicale (dissolution de la monnaie unique et de l'Union européenne.)
Les USA «néo-isolationnistes» accéléreront leur désengagement en Europe, au Moyen-Orient et en Extrême-Orient, ouvrant ainsi des espaces pour les puissances émergentes qui, inévitablement, vont combler le vide géopolitique, pour créer de nouveaux points de friction. C'est un équilibre fragmenté et hautement instable, qui durera jusqu'à ce que l'oligarchie atlantique reprenne la Maison Blanche: voilà pourquoi nous souhaitons à Donald Trump longue vie et, surtout, deux mandats à la Maison Blanche (mais Franklin Delano Roosevelt en a fait quatre ...) .