Le Pape et les racines de l'Europe


Lors de la remise du Prix Charlemagne, dans un discours qui est un appel à l'"ouverture" sans limites, il a soigneusement évité de les qualifier de "chrétiennes". Une différence de plus (et de taille) avec Benoît XVI et Jean-Paul II (7/5/2016)

>>> Le discours du Pape en français




Le 17 février dernier, dans l'avion de retour du Mexique, lors de la désormais habituelle conférence de presse en altitude, le Pape répondait à une question de Ludwig Ring-Eifel de l'agence catholique allemande KNA (cf. Le Pape en roue libre):

Q: Dans quelques semaines, vous recevrez le Prix Charlemagne, un des prix les plus prestigieux de la Communauté auropéenne. Votre prédécesseur Jean-Paul II a aussi reçu ce prix: il y tenait beaucoup....

Réponse: J'avais l'habitude de ne pas accepter de distinctions honorifiques ou de doctorats; depuis toujours, pas par humilité, mais parce que je n'aime pas ça... Mais dans ce cas, j'ai été, je ne dirais pas "forcé" mais "convaincu" par la théologie sainte et têtue du cardinal Kasper, qui a été choisi par Aix-la-Chapelle....


Comme je l'avais noté, il est intéressant de jeter un coup d'oeil sur la notice wikipedia du prix en question en particulier sur la liste des lauréats depuis sa création en 1949. En 2015, c'était Martin Schulz, en 2014 Herman Van Rompuy, en 2011 Jean-Claude Trichet et en 2006 Jean-Claude Juncker. Pour ne pas remonter plus loin.... Le Pape est en "bonne compagnie"... et surtout, on voit dans quelle continuité s'inscrit sa contribution à l'intégration européenne (que le prix est censé récompenser), qui n'est certainement pas celle de JP II, lui-même récompensé en 2004 par un "Prix Charlemagne extraordinaire".

Hier, la remise du prix a eu lieu au Vatican et le Pape a prononcé un long discours dont sa médiocre connaissance de l'Europe, et de la politique en général (témoignée par ses multiples interventions improviqées) laisse supposer qu'une autre plume que la sienne y a travaillé, même si l'on reconnaît sa "marque" dans plusieurs passages.

Si le Pape a parlé de "racines" (le mot est présent quatre fois dans le texte) il a pris soin de ne pas leur accoler le qualificatif "chrétiennes": on est très loin de Benoît XVI!

Les racines de nos peuples, les racines de l’Europe se sont consolidées au cours de son histoire du fait qu’elle a appris à intégrer dans une synthèse toujours neuve les cultures les plus diverses et sans lien apparent entre elles. L’identité européenne est, et a toujours été, une identité dynamique et multiculturelle.


Dans le contexte de tension migratoire que nous connaissons, de tels propos, faisant en plus l'impasse sur le puissant liant historique de la commune culture chrétienne, sont lourds de conséquence.
Les médias ne s'y sont pas trompés, et l'ont accueilli avec enthousiasme soulignant (non sans raison) qu'on était "passé des racines chrétiennes de l'Europe, défendues par Jean Paul II (ces gens ont une toute petite mémoire, ils ont carrément oublié Benoît XVI!!!) aux droits de l'homme", dont François se fait effectivement le paladin. Ce qui est assez bien vu, pour une fois!

Le texte contient comme d'habitude des passages acceptables en faveur de la défense de la vie, destinés à rassurer les irréductibles bergogliens conservateurs, mais habilement mélangés au plaidoyer, suicidaire pour l'Europe, en faveur de "l'accueil" sans discernement, pratiquant ouvertement l'ingérence dans le débat public à laquelle, curieusement, les pouvoirs du monde non seulement ne trouvent rien à redire mais applaudissent des deux mains.
In cauda venenum: c'est la conclusion du discours:

Avec l’esprit et avec le cœur, avec espérance et sans vaine nostalgie, comme un fils qui retrouve dans la mère Europe ses racines de vie et de foi, je rêve d’un nouvel humanisme européen, d’« un chemin constant d’humanisation », requérant « la mémoire, du courage, une utopie saine et humaine ». Je rêve d’une Europe jeune, capable d’être encore mère : une mère qui ait de la vie, parce qu’elle respecte la vie et offre l’espérance de vie. Je rêve d’une Europe qui prend soin de l’enfant, qui secourt comme un frère le pauvre et celui qui arrive en recherche d’accueil parce qu’il n’a plus rien et demande un refuge. Je rêve d’une Europe qui écoute et valorise les personnes malades et âgées, pour qu’elles ne soient pas réduites à des objets de rejet improductifs. Je rêve d’une Europe où être migrant ne soit pas un délit mais plutôt une invitation à un plus grand engagement dans la dignité de l’être humain tout entier. Je rêve d’une Europe où les jeunes respirent l’air pur de l’honnêteté, aiment la beauté de la culture et d’une vie simple, non polluée par les besoins infinis du consumérisme ; où se marier et avoir des enfants sont une responsabilité et une grande joie, non un problème du fait du manque d’un travail suffisamment stable. Je rêve d’une Europe des familles, avec des politiques vraiment effectives, centrées sur les visages plus que sur les chiffres, sur les naissances d’enfants plus que sur l’augmentation des biens. Je rêve d’une Europe qui promeut et défend les droits de chacun, sans oublier les devoirs envers tous. Je rêve d’une Europe dont on ne puisse pas dire que son engagement pour les droits humains a été sa dernière utopie.


Etrange ironie: l'histoire retiendra peut-être que ce discours a été prononcé le même jour où a été élu maire d'une grande capitale européenne un pakistanais musulman, sous les vivats enthousiastes des médias, et dans l'indifférence d'un peuple sidéré et maté.

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J'ai traduit l'éditorial de Riccardo Cascioli dans la Bussola. L'article laisse la très forte impression que son auteur se "retient" - et on peut regretter que sa loyauté au Pape l'oblige à mettre ses convictions (sur lesquelles des années de lecture de La Bussola ne laissent aucun doute) en sourdine. Il a toutefois le mérite de nous rappeler les importantes contributions de Benoît XVI (LE Pape européen par excellence) , sur lesquelles je reviendrai.


«Refonder l'Europe»,
le programme de François et la vision prophétique de Wojtyla et de Ratzinger


Riccardo Cascioli
www.lanuovabq.it
7/5/2016

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D'abord la crise économique, à présent la pression des immigrés, risquent de briser la construction de l'Europe. C'est un fait, il s'agit probablement du plus grand défi que l'UE ait eu à affronter à plus de 60 ans des premiers pas de l'intégration continentale. Face aux pressions internes et externes, les pays membres de l'Union européenne se renvoient mutuellement les responsabilités et font valoir la logique des frontières. Le cas du Brenner avec le conflit Autriche-Italie est le dernier épisode en date, mais si le 23 Juin, en Grande-Bretagne, lors du référendum voulu par le gouvernement, le "oui" à la sortie de l'Europe l'emportait, il serait très difficile d'éviter d'affronter ouvertement la crise.

Il n'est donc pas étonnant que de plusieurs côtés, à l'intérieur et à l'extérieur des institutions européennes, le besoin se fasse ressentir d'une "refondation" de l'Europe, d'un nouveau départ. C'est dans ce contexte que s'insère la décision d'attribuer à François le Prix international Charlemagne, qui, depuis 1950, à Aix-la-Chapelle est remis chaque année à des personnalités - européennes ou non - qui se distinguent par leur engagement en faveur de l'unité et de l'intégration de l'Europe. Et c'est dans ce cadre que doit être lu le discours prononcé le 6 mai dernier par François à la cérémonie de remise des prix, qui s'est déroulée au Vatican, en présence des principaux représentants des institutions européennes.

Le chemin indiqué par François est celui d' «un nouvel humanisme européen», une mise à jour de l'idée de l'Europe, basée sur trois capacités: intégrer, dialoguer, engendrer. Dans ce processus, le pape considère comme essentiel le facteur économique, c'est-à-dire la transition vers une «économie sociale» visant surtout à créer des emplois et un avenir pour les jeunes. C'est un discours, si l'on peut s'exprimer ainsi, «politique» et les neuf «rêves» que le pape a énumérées à la fin de son discours - centrés sur la dignité des personnes les plus faibles et les plus vulnérables - devraient constituer précisément les références morales de ce chemin de refondation.

Difficile, toutefois, de ne pas noter une nouveauté essentielle dans ce discours, qui non seulement marque une différence avec les interventions de ses prédécesseurs, Jean-Paul II et Benoît XVI qui ont qui ont consacré à l'Europe une vaste réflexion, mais aussi avec son propre discours devant le Parlement européen le 25 Novembre 2014.

Le principal problème concerne la racine profonde de la crise actuelle, une crise d'identité que pourtant François n'a pas l'intention d'approfondir, privilégiant plutôt la "manière" d'en sortir, les attitudes: courage, générosité, solidarité, mémoire, utopie. L'origine de l'identité européenne, la source d'où devraient sortir les trois capacités mentionnées ci-dessus, reste à l'arrière-plan, confiée au souvenir de son discours au Parlement européen d'il y a un an et demi; les racines chrétiennes sont à peine effleurées en référence à la tâche de l'Eglise.
Ce qui est remarquable ici, c'est la différence avec ses prédécesseurs qui - aussi parce qu'ils régnaient au moment du débat sur la Constitution européenne - ont consacré beaucoup d'énergie au thème de la nécessité de la récupération des racines chrétiennes. Un thème qui était clairement présent dans le discours au Parlement européen en 2014 mentionné plus haut, marqué par le respect de la «dignité transcendante de la personne humaine». Et il semble que ce n'est pas seulement une question d'accentuation. Sur la rencontre des peuples et des cultures dont historiquement, l'Europe est protagoniste, on relève une clé de lecture différente, qui vaut également pour le présent.

Le Pape François décrit une intégration entre les cultures fondée sur le dialogue et le compromis: «Les racines de nos peuples, - a-t-il dit - les racines de l’Europe se sont consolidées au cours de son histoire du fait qu’elle a appris à intégrer dans une synthèse toujours neuve les cultures les plus diverses et sans lien apparent entre elles. L’identité européenne est, et a toujours été, une identité dynamique et multiculturelle». Tel est ce que le Pape imagine être la méthode encore aujourd'hui, alors qu'est en cours ce que lui-même a récemment a appelé "une invasion". L'Europe serait donc appelée à une synthèse entre la culture des peuples qui y vivent actuellement, et ceux qui y arrivent.

Différente était la préoccupation de Jean-Paul II et de Benoît XVI, lesquels affrontaient directement le vrai drame de l'Europe, qui consiste dans l'apostasie, dans la répudiation de ses racines chrétiennes:
«Si l'Europe veut être - disait le Pape Wojtyla en 2003 - un ensemble réconcilié d'individus et de peuples, avec un profond respect et une bienveillance durable, le Christ doit animer ce continent». Et encore, dans le discours à l'ambassadeur de la République fédérale d'Allemagne, en 2002: «L'Europe ne serait pas telle sans le riche patrimoine de ses peuples qui, semblablement aux gènes humains, a façonné et continue de façonner la personnalité de ce continent. Négliger ou abandonner cet "héritage" signifierait mettre en péril leur identité et finalement la perdre ... Un facteur qui définit l'identité de ce continent est l'Église fondée par Jésus-Christ ». Et puis, lors de l'Angelus du 13 Juillet 2003: «Comment satisfaire le désir profond d'espérance de l'Europe? Il faut revenir au Christ et repartir de Lui».

Pour le cardinal Ratzinger, plus tard Benoît XVI, le vrai drame de l'Europe est précisément l'entêtement à vouloir effacer Dieu de l'horizon: «La tentative - dit-il à Subiaco dans le célèbre discours du 1er Avril 2005 -, portée à l'extrême, de modeler les choses humaines en faisant complètement abstraction de Dieu nous conduit toujours au bord de l'abime, à la mise de côté de l'homme». De là , le chemin à parcourir: «Nous devrions donc retourner l'axiome des tenants des Lumières et dire : même qui ne réussit pas à trouver la voie de l'acceptation de Dieu devrait chercher à vivre et à diriger sa vie 'veluti si Deus daretur', comme si Dieu existait (...) De cette façon, personne ne se trouve limité dans sa liberté mais toutes nos actions trouvent le soutien et la signification dont elles ont un urgent besoin».

Relus aujourd'hui, ces mots, face aux échecs d'une Union européenne de plus en plus dominée par un laïcisme étouffant, ont le goût de la prophétie. Aujourd'hui, nous pouvons le toucher de la main: il n'y a en effet pas d' intégration là où il n'y a pas d'identité claire qui, dans le respect mutuel, accueille et valorise ce qu'elle rencontre de bien. Et ce sont aussi les mots qui offrent l'horizon dans lequel placer correctement les préoccupations de François.