Le Pape: je m'en mêle, je ne m'en mêle pas…


Giuseppe Rusconi réagit à son tour aux ambiguïtés de François dans la conférence de presse en avion du 18 février (21/2/2016)



Il en profite pour régler des comptes avec ses confrères, notamment ceux qu’il appelle les "thuriféraires" (d’autres les appellent les "courtisans", mais ce sont les mêmes).
En lisant l’article, on peut avoir le sentiment que le Pape est malgré lui, ou à son insu, prisonnier (en quelque sorte victime collatérale) de son image construite par les médias. Ce n’est pas totalement exclu, mais c’est difficile à croire. Et même si leur rôle n’est pas à négliger, il n’est qu’une partie du problème : il y a beaucoup de preuves d’une complicité objective entre eux et François, lequel cherche à esquiver à tout prix tout affrontement direct, y compris en gardant "cachés" les beaux gestes qu’il peut avoir. Un cas emblématique est l’épisode, relaté ici, du bouquet de fleurs qu’il a déposé en toute discrétion sur les reliques du Petit gonfalonnier du Christ Roi. Un épisode qui pourrait rappeler le discours vigoureux prononcé "sous le manteau" devant les familles rassemblées au stade de Víctor Manuel Reyna le 15 février (Magister en parle ici: Auto-portrait volant de Jorge Bergoglio )

Notons par ailleurs que, comme la plupart de ses confrères, à propos de la loi Cirinnà et du coup de griffe à Donald Trump, Giuseppe Rusconi cite lui aussi le fameux slogan «qui suis-je pour juger» - dont seule la seconde partie a fait le tour du monde au point de devenir la devise du Pontificat, à l’instar du « N’ayez pas peur » de JP II - mais il tient à préciser que le raisonnement du pape « était beaucoup plus complexe et visait les homosexuels sur la voie du repentir pour leurs comportements ».
Cette précision est tout à son honneur.
Mais tant qu’on y est, allons (une fois de plus, en ce qui me concerne) jusqu’au bout de la mise au point. François avait à l’esprit à ce moment non pas le cas générique d’un pécheur, en l’espèce, gay, sur le chemin du repentir, mais celui bien précis d’un homosexuel particulièrement scandaleux « Mgr » Ricca, faisant partie de sa garde rapprochée de sainte Marthe, et inexplicablement choisi par lui pour un poste de confiance à l’IOR. Une façon de couper court aux critiques et de justifier le « fait du Prince », ce qui a peu à voir avec la miséricorde, n’en déplaise aux… courtisans ! [1].

Le Pape: je m'en mêle, je ne m'en mêle pas…
L'Osservatore et le bouquet de fleurs…


19 février 2016
Rosso Porpora
Traduction d'Anna

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Je m’en mêle, je ne m’en mêle pas; je juge, je ne juge pas ... François déconcerte le monde catholique avec ses évaluations fluctuantes. Elles surgissent régulièrement lors de conférences de presse à haute altitude. Trump "non-chrétien", le "je ne me mêle pas" dans le débat sur les unions civiles, l'ambiguïté sur la contraception. Et aussi, à propos de la"Cristiadia": dans le silence général, seul L'Osservatore Romano...



C'est devenu la règle, hélas: la conférence de presse avec les journalistes lors du vol papal de François, à la fin du voyage apostolique, efface dans les médias presque tout des contenus les plus profonds de ce voyage. C'est également ce qui s'est produit à l'occasion de la visite au Mexique: combien se souviennent encore des moments très intenses comme du long "têt-à-tête" de Jorge Mario Bergoglio avec la Virgen de Guadalupe ou bien de la célébration eucharistique avec les indios du Chiapas, pourtant si riche en contenus? Le fait est - qu'ils le veuillent ou non à Sainte Marthe - que de la conférence de presse du jeudi 18 février, le monde médiatique n'a presque uniquement retenu que le qualificatif de "non chrétien" dont le Pape a affublé Donald Trump; le "je ne m'en mêle pas", toujours du Pape, au sujet du débat sur le projet de loi Cirinnà pour les "unions civiles" (lire: mariage homosexuel); et l' "ouverture à la contraception" pour éviter le virus Zika (et pas uniquement). Ce sont les trois moments de la conférence de presse dans l'avion que les lecteurs, auditeurs, téléspectateurs, internautes ont eu sous les yeux en fréquentant – depuis hier soir - les médias de référence.

La déduction du lecteur moyen est simple (que Sainte Marthe le veuille ou non): un chrétien ne peut pas voter pour Donald Trump; quant au projet de loi Cirinnà, que chacun se reporte à sa propre conscience… mais aucune barricade, pour éviter qu'elle passe; l'avortement est un crime, tandis que la contraception n'est qu'un mal mineur et donc elle est acceptable.

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TRUMP ET CIRINNA
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"Qui suis-je pour juger?"
Il est difficile d'oublier ce que le pape François avait dit au retour du Brésil en 2013 (même si son raisonnement était beaucoup plus complexe et visait les homosexuels sur la voie du repentir pour leurs comportements) [1]. Pas de jugement sur une personne, donc, car ce serait déplacé. Une phrase qui est devenue un cult du politiquement correct et est mise en évidence par les soi-disant "progressistes" chaque fois qu'un thème éthique est mis sur la table.
Il faut toutefois observer que, dans l'avion que de Ciudad Juarez volait vers Rome, François a bel et bien voulu frapper une personne en chair et en os, en décrétant qu' "il n'est pas chrétien". Peut-on alors légitimement se demander: le jugement de François est-il à géométrie variable? la miséricorde n'est elle qu'un concept abstrait ou bien sélectionné?

Et pas uniquement: la sentence de François a été immédiatement exploitée par certains à des fins de politique politicienne nationale italienne. Lisez comment "Avvenire", le quotidien galantinien, en a référé. « LE PAPE: ERIGER DES MURS N'EST PAS CHRETIEN », était le gros titre en première page dans l'édition de vendredi 19 février. Avec en sous-titres: « Où que ce soit, ce n'est pas l'Évangile » et « Trump l'attaque ».
En lisant de telles proclamations, à quoi auront pensé les lecteurs qui ne sont pas trinarinés (ndt :doués d'une troisième narine pour humer le climat politique le plus propice, traduction néologisme "trinariciuto" créé par l'écrivain italien Giovanni Guareschi). À la Hongrie, sans doute, à l'Autriche, etc, etc… mais surtout à la Ligue Nord de Salvini: elle aussi "excommuniée.
L'Avvenire écrit encore, toujours dans les sous-titres de première page: « Trump l'attaque » (il attaque le Pape, dans la page: « Trump est insultant »).
Là encore, un peu de tenue, confrères. S'il est vrai qu'au sujet de l'immigration Trump a exprimé depuis longtemps ses opinions (que l'on peut ou non partager), le candidat républicain n'a fait que réagir hier à l'accusation lourde que le pape François lui a faite de ne pas être chrétien. Ce qui est possible, mais il n'est certes pas cohérent que ce soit le Pape du "Qui suis-je pour juger?" qui le définisse ainsi. Et pourtant, le quotidien "La Stampa", celui du contenant thuriféraire "Vatican Insider", titre avec une approbation satisfaite: « François excommunie Trump ».

Ce n’est pas tout: en qualifiant Trump de "non chrétien", François est entré «a gamba tesa» [2] dans la campagne US des présidentielles. Mais lors de la même conférence de presse dans l'avion, à propos du débat italien sur les "unions civiles", le Pape a déclaré: «Le Pape ne se mêle pas de la politique italienne (…) car le Pape est pour tous et ne peut pas s'immiscer dans la politique concrète, interne d'un Pays: ce n'est pas le rôle du Pape ».
Si tel est le cas, pourquoi François est-il intervenu dans la délicate et complexe campagne électorale états-unienne?

Mais ce n’est pas fini: si nous lisons les journaux d'aujourd'hui, le Pape est quand même intervenu aussi dans la politique italienne au sujet des "unions civiles". Selon Repubblica (première page) François est « neutre au sujet des unions civiles » et, d'après Alberto Melloni, il a même «poliment ramené à sa place dans l'histoire la Note de 2003 de la Congrégation de la Doctrine de la Foi (lire: le cardinal Ratzinger) sur la nécessaire cohérence de comportements des parlementaires catholiques».
Cependant Melloni n'a pas tort en faisant cette considération.
Le "Je ne m'en mêle pas" déferle dans tous les médias, même les gratuits dans le métro, donnant à croire que celui qui se bat contre le projet de loi Cirinnà ne jouit pas du soutien du chef de l'Église catholique. Comme pour dire aux partisans [de la loi]: ne vous gênez pas, nous n'allons pas ériger de barricades. Ça va sans dire (en français dans le texte) cette ligne est aussi celle de l'organe galantinien "Avvenire", proche des "catholiques de fauteuil" ainsi que de ceux "à la carte" (à part quelques titres et proclamations, bien plus de battage et peu de substance)

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UNE TRES CURIEUSE HISTOIRE: L' "OSSERVATORE", LE PAPE ET LA CRISTIADA.
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Samedi dernier 13 février, nous avons publié sur ce même site une longue interview du père Armando Flores Navarro, recteur du Collège Pontifical Mexicain (ICI). Dans l'interview, une large place est donnée aussi à la mémoire, toujours vivante, de la Cristiada, le soulèvement populaire catholique des Année Vingt contre le gouvernement laïque et persécuteur.
Le père Flores Navarro avait exprimé l'espoir que François annoncerait la date de la canonisation du porte-drapeau cristero de 14 ans, José Sanchez del Rio (béatifié par Benoît XVI) lors de son étape de Morelia, dans l'État de Michoacan, où les faits ont eu lieu (ndt: cf. Le Petit gonfalonnier du Christ Roi). Cela ne s'est pas produit. Le pape François d'ailleurs n'a mentionné la Cristiada, sans la nommer, que dans une réponse au journaliste Javier Martinez Brocal lors de la conférence de presse en vol: "[le peuple mexicain] est un peuple de grande foi, qui a aussi souffert de persécutions religieuses, il y a eu des martyrs, je vais bientôt en canoniser un ou deux". Pendant le voyage, d'après les sources officielles, jamais on n’a parlé de la Cristiada.

Cependant, l' Osservatore Romano, par la plume d'un journaliste expérimenté, aux yeux alertes et aux oreilles vigilantes comme l'est Gaetano Vallini, a rapporté un épisode ignoré par l'officialité. Voici ce qu’il écrivait dans l'édition du 18 novembre:

« [Le Pape] dans la sacristie (de l'ancienne cathédrale de Morelia), a rencontré quatorze recteurs d'universités mexicaines et six représentants d'autres religions. À l'intérieur de l'église il a été accueilli par six cent enfants du diocèse qui fréquentent le catéchisme. Une rencontre simple, avec les enfants souhaitant une bienvenue bruyante au Pape. Mais avant de prendre la parole, le Pape a rendu hommage à José Sanchez del Rio, le bienheureux de quatorze ans martyr pendant la persécution des Cristeros qui sera bientôt canonisé; il a déposé un bouquet de fleurs sur une statue en bronze reproduisant le corps au sol, sans vie, et a embrassé une relique. Il a ensuite salué aussi Lupita, la fillette aujourd'hui âgée de sept ans, miraculée lorsqu'elle n'avait que trois mois, par l'intercession de l'enfant. (…) Et avant de les inviter (les enfants présents, ndr) à réciter un Je Vous Salue Marie, il les a exhortés à suivre l'exemple de Josélito. Il est finalement descendu les saluer, à commencer par ceux malades »..

Si l'on regarde dans le site officiel du Vatican, l'épisode n'existe pas (au moins jusqu'à la rédaction de cet article). Pour Avvenire non plus, dont l'envoyée spéciale liquide de la manière suivante ce qui s'est produit: « Après avoir rencontré dans la cathédrale quelques leaders de confessions chrétiennes, le pape François ne pouvait pas ne pas rencontrer les jeunes. (…) Dans le stade… »..

À noter que le pape a déposé un bouquet de fleurs et a embrassé une relique: dans des circonstances analogues, les thuriféraires (hommes et femmes) sont toujours prêts à exalter les gestes du Pontife, qu'ils suivent pas à pas. Il est évident que malheureusement le bienheureux José Sanchez del Rio n'était pas du "bon"côté. Tant pis pour lui donc s'il a été "occulté " par la cour de Sainte Marthe!

Notes

[1] Voici par exemple ce qu’écrivait Damian Thompson en décembre 2014 :

« Sa très fameuse phrase ‘Qui suis-je pour juger? ‘ était en réponse à une question spécifique concernant Mgr Battista Ricca, le délégué du Pape à la Banque du Vatican et directeur de l'hôtel Domus Sanctae Martae où il habite. Ricca aurait été surpris avec un gigolo dans un ascenseur. Selon John Allen, ‘beaucoup ont alors pensé que le Pape allait être obligé d'éloigner Ricca. Au lieu de cela, François a maintenu son homme et Ricca reste à son poste’. On me dit que François croit son ami innocent, un point c'est tout. Donc, pas de commérage, s'il vous plaît. Je doute qu'il aurait été permis à Benoît XVI de se défaire du scandale sans une investigation officielle ».
(benoit-et-moi.fr/2014-II/actualites/franois-les-doutes-de-damian-thompson)

L’échange complet, tel qu’il figure aujourd’hui sur le site du Vatican, est ici: w2.vatican.va (c’est la dernière réplique)


[2] Voir ici le sens de cette expression intraduisible: dictionnaire.reverso.net/italien-francais