Le Pape qui divise l'Eglise


et c'est lui-même qui le dit... Du moins, si l'on en croit l'hebdomadaire allemand "Der Spiegel" (27/12/2016)

 

L'article de Der Spiegel que j'ai traduit ci-dessous a été repris en synthèse par l'influent site One Peter Five, et de là, il a rebondi dans ce que certains appellent la "réacosphère". Teresa a trouvé plus simple de revenir à la source, et l'a traduit en anglais. Je me suis donc servie de son travail pour ma propre traduction.
Disons tout de suite que je me méfie comme de la peste de Der Spiegel dont le militantisme cathophobe a été particulièrement virulent sous le règne de Benoît XVI (on se souvient du rôle particulièrement actif qu'ils ont joué dans le déclenchement des scandales des prêtres pédophiles en Allemagne, voir par exemple la couverture sordide du 8 février 2010, et la reconstruction de Francesco Colafemmina: benoit-et-moi.fr/2010-I).
Mais on nous avait annoncé que le miracle de l'effet François allait réduire au silence, et même "convertir" les plus hostiles des médias laïcistes. Or, il semble qu'il n'en soit rien, et qu'après presque quatre ans de règne, les yeux s'ouvrent enfin, la parole (là aussi) se libère et l'hostilité contre l'Eglise (sous des dehors certes moins violents que du temps de Benoît XVI) soit intacte: d'un côté, des veux cardinaux accrochés à des certitudes d'un autre âge (mais l'article souligne que leur démarche est "admissible"), de l'autre, un pape isolé, et même carrément "autiste" qui a réagi "de la pire des façons" aux dubia des cardinaux et qui, pour ne rien arranger, se laisse aller à des "bavardages incontrôlés". Bref, l'Eglise est devenu un bateau ivre, le capitaine ne tient plus la barre et l'équipage est proche de la mutinerie.
Quant aux propos prêtés à François à la fin de l'article à travers des rumeurs, ils n'ont peut-être pas été prononcés, mais (sans même se référer à la vérité qu'ils expriment) qu'ils l'aient été est loin d'être invraisemblable, compte tenu de ce que nous commençons à bien connaître de sa personnalité.

DER SPIEGEL


* * *

(Ma traduction)

Le Psaume 118 résonne joyeusement. «Voici le jour que l'Éternel a fait; Réjouissons-nous et soyons heureux» (v 24). Le cardinal Angelo Sodano, doyen de l'Ordre des Cardinaux, lisait l'Ancien Testament et, dans l'expectative, regardait le Pape. Lequel regardait simplement dans le vide.

Il était un peu plus de huit heures samedi dernier dans la chapelle paulinienne du Vatican. Une cinquantaine de cardinaux vivant à Rome, ainsi que de nombreux évêques en robe pourpre et barrette, étaient venus concélébrer une messe avec le pape François pour son 80e anniversaire.

Tandis que les dignitaires de l'Église étaient assis là, à côté de la grande fresque de Michel-Ange, de la Crucifixion de Pierre [et une autre de Paul frappé sur la route de Damas] et regardaient l'homme puissant assis à gauche de l'autel, la distance entre eux était presque tangible.

«Soyez assuré», disait le cardinal Sodano à François, «que nous sommes tous proches de vous». Mais la protestation sonnait étrangement creux.

A quelques mètres de la chapelle paulinienne, dans la sacristie de la basilique Saint-Pierre, se trouvait le vieux cardinal allemand Walter Brandmüller qui, à cause de ses infirmités, s'était excusé de ne pas assister à la messe et avait adressé par lettre ses voeux au pape. C'était la deuxième lettre que le cardinal de presque 87 ans envoyait au pape ces derniers mois.

La première était la lettre qu'il avait écrite avec trois frères cardinaux - Burke, Caffarra et Meisner - demandant au pape de clarifier cinq DUBIA, autrement dit des questions douteuses concernant son exhortation apostolique Amoris laetitia, comme étant l'unique façon de porter remède à «la grave désorientation et à la confusion» causées parmi les fidèles par certaines de ses propositions.

Que les Cardinaux aient envoyé leur lettre directement au Pape, et seulement fourni une copie à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi dirigée par le Cardinal Gerhard Ludwig Müller, qui a compétence sur des questions doctrinales, montre où l'aile conservatrice de l'Église catholique pense que le problème principal se situe

Mais le Pape a répondu à la démarche, admissible mais inhabituelle, des quatre Cardinaux de la pire façon - il a ignoré leur lettre, et refuse de leur répondre formellement.
En tout cas, dans son discours de Noël à la Curie Romaine, jeudi, François a laissé entendre qu'il se sentait attaqué par des «formes de résistance malveillantes», visant des accusations contre lui sous couvert de «tradition et de formalité» [ il y a aussi les résistances malveillantes, qui germent dans des esprits déformés et apparaissent quand le démon inspire des intentions mauvaises (souvent “déguisées en agneaux”)].
«Le pape est bouillant de rage», a dit le vaticaniste britannique Edward Pentin, citant des sources à la Casa Santa Marta, où vit le pape.
Le cœur du différend est, pour faire court, une note de bas de page sur la question de savoir si les divorcés remariés non qualifiés peuvent être autorisés à recevoir la communion.

Mais, dit le cardinal Brandmüller, de sa résidence près de la basilique Saint-Pierre, «il s'agit en gros de la saucisse entière (tout ou rien) - du coeur de tout, de la doctrine de la foi».

En effet, le pape et le cardinal Walter Kasper, son allié théologique, tendent à adoucir les commandements centraux de la foi catholique et à laisser l'interprétation de la doctrine dans la vie quotidienne aux évêques et aux prêtres locaux. Cette position attaque un enseignement fondamental de l'Église, depuis le Concile de Trente, selon lequel «quiconque considère qu'une situation continue d'adultère est compatible avec la réception de l'Eucharistie est un hérétique et favorise le schisme».

L'Écriture Sainte, dit Brandmüller, n'est pas un magasin en libre-service: «Selon saint Paul, nous sommes les intendants des mystères de Dieu, mais nous n'avons pas le droit d'en disposer comme nous voulons».

La première impression pourrait être que quelques vieux cardinaux têtus s'opposent, une fois de plus, à un pape inébranlablement réformiste. Mais cette fois-ci, il y a bien plus en jeu. François apparaît de plus en plus isolé, usé par la résistance à ses réformes et par le manque de détermination de changer à la base
Un proche collaborateur du Pape a déclaré: «Beaucoup de ceux qui avaient voté pour le Pape Bergoglio en 2013 ne reconnaissent plus ce Bergoglio dans le François de 2016» (ndt: ils avaient mal vu, à l'époque, et surtout, ils avaient omis de s'informer).

L'Année Sainte de Miséricorde récemment conclue - et quelqu'un a décrit la miséricorde comme «un thème qui couvre tout, mais laisse aussi tout ouvert» - est tombé bien en deçà des attentes en termes de nombre de pèlerins à Rome.

La réforme de la Curie elle-même se poursuit avec hésitation. De nombreux Offices parlent de «chaos pur et simple».

Le bavardage incontrôlé du pape est un problème supplémentaire.
Même certains partisans de François ont été choqués par son accusation que les médias - et leur public - ont une tendance à la coprophagie (c'est-à-dire à se nourrir d'excréments).

Pendant ce temps, le pape argentin se bat pour son héritage. À la Casa Santa Marta, ses lumières sont allumées jusqu'à 5 heures du matin (ndt: c'est faux, bien sûr: en réalité, le Pape est réputé se lever à 5 heures!) quand d'autres cardinaux sont profondément endormis, et qu'au Vatican, on entend seulement le cri des mouettes.

Mais selon son propre planning, François n'a pas beaucoup de temps pour changer les choses, car il a lui-même dit qu'il pensait que son pontificat ne durerait que de quatre à cinq ans, et le délai est presque expiré.

Les critiques du pape, au Vatican et en dehors de ses murs, doivent néanmoins se préparer à d'autres surprises. Dans son cercle intime, François aurait dit de lui-même: «Il ne faut pas exclure que je resterai dans l'histoire comme celui qui a divisé l'Église catholique».