L'effet d'altitude a encore frappé! (III)


Riccardo Cascioli, tout en conservant sa modération de jugement, avertit du risque de confusion. Il se concentre ici sur les excuses aux "gays", et les propos sur Luther (28/6/2016)

La version officielle de la conférence de presse dans l'avion de retour d'Arménie n'est pour le moment disponible qu'en italien sur le site du Vatican.
Pour la traduction en français, on peut se référer à la transcription de JM Guénois sur le Figaro.
Ou, c'est encore mieux, regarder la vo sous titrée sur le site de KTO.
L'échange sur Luther, dont il est question ici, commence à 46'17" (pour y accéder directement, cliquer ici youtu.be/w0IHpDrqMBY?t=46m17s ).


Ceux qui connaissent un peu Riccardo Cascioli (par exemple à travers les traductions de ses articles sur ce site) connaissent ses présupposés affichés sur le Pape, sur lesquels je ne reviendrai pas.
Si l'on en fait abstraction, il pose les bonnes questions.

Excuses aux gays, Luther: le risque de confusion


Riccardo Cascioli
28/06/2016
www.lanuovabq.it
Ma traduction

* * *

Désormais, il semble vraiment inutile d'essayer de relire la réponse du pape, de chercher à expliquer que la réponse - pour confuse qu'elle soit - fait comprendre qu'il parle des personnes ayant des tendances homosexuelles et non du mouvement gay, qu'il parle de pastorale et d'accompagnement et non de revendications politiques; qu'en se référant au catéchisme, on peut imaginer (avec beaucoup d'imagination, ou une bonne dose d'aveuglement!!, ndt) qu'il entend tout ce que le catéchisme dit (1) sur le sujet. C'est absolument inutile, parce que le message - résultat de la conférence de presse dans l'avion de retour d'Arménie - est déjà passé sur tous les médias internationaux: «Le Pape: l'Église s'excuse pour les gays».

Nous pourrions en discuter pendant des jours, cela ne changerait pas l'histoire: même quelqu'un qui serait tombé distraitement sur un journal, un site Web d'information, les nouvelles à la radio ou à télévision, aura déjà reçu et digéré le message: l'Eglise s'est toujours mal comportée avec les gays et doit aujourd'hui présenter des excuses (ce qui, traduit dans le langage du monde, signifie satisfaire à toutes les exigences du mouvement gay).

Malheureusement, nous sommes devant l'habituel court-circuit de communication, résultat des conférences de presse «sans filet», c'est-à-dire sans avoir les questions à l'avance afin de préparer les réponses. Cela aussi, il semble inutile de le répéter, étant donné que c'est désormais arrivé tellement de fois qu'honnêtement, on ne peut pas attribuer ces incidents au hasard. Fatalement, dans des conférences de presse de ce genre, des questions difficiles qui nécessiteraient peut-être des réponses pondérées et précises dans les termes, trouvent au contraire des réponses approximatives et souvent confuses, typiques d'une conversation familière: joie pour les journaux qui ont assuré un titre à effet, motif de désarroi et de confusion pour les simples fidèles.

Il n'y a pas que les excuses aux gays: lors du voyage de retour de'Arménie, un autre point très critique est venu de la réponse sur Luther, présenté comme un «réformateur» qui peut-être s'est un peu trompé dans la manière, mais qui au fond avait raison sur beaucoup de choses (2). En particulier, a dit le Pape: «aujourd'hui, luthériens et catholiques avec tous les protestants, nous sommes d'accord sur la doctrine de la justification: sur ce point si important, il n'avait pas tort». En réalité, la question est plus complexe, la déclaration conjointe de 1999 luthéro-catholique n'a pas résolu tous les problèmes liés à la doctrine de la justification. Mais il s'agit certes de questions difficiles à expliquer en deux lignes en réponse à un journaliste qui demande si l'heure ne serait pas venue de réhabiliter Martin Luther.

Même chose en ce qui concerne l'affaire des excuses aux gays. La journaliste américaine demande si le cardinal Marx (un des 9 cardinaux qui conseille le pape dans la réforme de la Curie) a raison de dire que «l'Église catholique devrait présenter des excuses à la communauté gay pour avoir marginalisé ces personnes», et si le massacre d'Orlando ne doit pas être attribué aussi à la haine alimentée par la communauté (!!) chrétienne.

Mais le Pape a-t-il lu ce que le Cardinal Marx a dit la semaine dernière à Dublin à l'occasion d'une conférence? Probablement pas, si l'on en juge par la réponse, partant de la première conférence de presse, celle du fameux «qui suis-je pour juger?». Qui n'avait pas grand chose à voir avec les déclarations de Marx, lequel non seulement a dit que l'Eglise doit présenter des excuses, mais que le fait de reconnaître le caractère positif des unions homosexuelles fait partie des excuses - un discours déjà fait au Synode 2014, scandalisant - comme lui-même l'a dit - plusieurs confrères (cf. www.irishtimes.com). On ne peut pas dire non plus que le Cardinal Marx soit isolé dans cette opinion, même en Italie, nous avons vu soutenir des positions analogues aux plus hauts niveaux ecclésiastiques.

Nous ne pouvons évidemment pas penser que le pape partage cette approche (!!!), qui serait l'exact opposé non seulement du catéchisme, mais aussi de ce que le pape François lui-même a dit à plusieurs reprises au sujet de l'idéologie du genre.

Il faut dire en revanche une fois pour toutes que ce qui tient à coeur à tous ces monsignori, ce n'est pas tant le sort des personnes ayant ces tendances que la légitimation de l'homosexualité. Sinon, ils penseraient à présenter des excuses, éventuellement, pour les homosexuels qui sont ignorés dans leur besoin de guérir la blessure causée par ces tendances, et sont au contraire poussées à persister dans un comportement contre nature.

Le fait est qu'indépendamment des intentions de François, à une époque où tant d'évêques et de prêtres sont dans la ligne de mire pour annoncer clairement la vérité sur la sexualité humaine et sur les rapports hommes-femmes, l'opinion publique est portée à penser que le pape est contre eux. Sans doute cela en arrange-t-il certains au Vatican, mais s'il y a quelqu'un parmi ses collaborateurs qui aime vraiment à François, qu'au moins il l'en rende conscient.

NDT


(1) CEC:
Chasteté et homosexualité
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2357 L’homosexualité désigne les relations entre des hommes ou des femmes qui éprouvent une attirance sexuelle, exclusive ou prédominante, envers des personnes du même sexe. Elle revêt des formes très variables à travers les siècles et les cultures. Sa genèse psychique reste largement inexpliquée. S’appuyant sur la Sainte Écriture, qui les présente comme des dépravations graves (cf. Gn 19, 1-29 ; Rm 1, 24-27 ; 1 Co 6, 10 ; 1 Tm 1, 10), la Tradition a toujours déclaré que " les actes d’homosexualité sont intrinsèquement désordonnés " (CDF, décl. " Persona humana " 8). Ils sont contraires à la loi naturelle. Ils ferment l’acte sexuel au don de la vie. Ils ne procèdent pas d’une complémentarité affective et sexuelle véritable. Ils ne sauraient recevoir d’approbation en aucun cas.

2358 Un nombre non négligeable d’hommes et de femmes présente des tendances homosexuelles foncières. Cette propension, objectivement désordonnée, constitue pour la plupart d’entre eux une épreuve. Ils doivent être accueillis avec respect, compassion et délicatesse. On évitera à leur égard toute marque de discrimination injuste. Ces personnes sont appelées à réaliser la volonté de Dieu dans leur vie, et si elles sont chrétiennes, à unir au sacrifice de la croix du Seigneur les difficultés qu’elles peuvent rencontrer du fait de leur condition.

2359 Les personnes homosexuelles sont appelées à la chasteté. Par les vertus de maîtrise, éducatrices de la liberté intérieure, quelquefois par le soutien d’une amitié désintéressée, par la prière et la grâce sacramentelle, elles peuvent et doivent se rapprocher, graduellement et résolument, de la perfection chrétienne.


*

(2) Ceux qui veulent approfondir trouverontl'analyse critique, datant de 2002 du Cardinal Avery Dulles, s.j..J'avoue que c'est si compliqué que je ne l'ai pas lu au delà des premiers paragraphes. Mais cela prouve au moins l'incongruité de livrer des réflexions hâtives aux journalistes, qui s'y connaissent encore moins que moi, venant d'un Pape qui ne domine apparemment pas vraiment le sujet.

Par ailleurs, lors de son voyage en Allemagne en septembre 2011, Benoît XVI avait été amené à s'exprimer sur Luther.
D'abord en répondant aux journalistes dans l'avion VERS Berlin:

Q: Vous allez visiter, à Erfurt, l'ancien couvent du réformateur Martin Luther. Les chrétiens évangéliques et les catholiques, en dialogue avec eux, se préparent à commémorer le cinquième centenaire de la Réforme. Avec quel message, quelles pensées, vous préparez-vous à la rencontre ? Votre voyage doit-il être également vu comme un geste fraternel à l'égard des frères et sœurs séparés de Rome ?

Benoît XVI : Quand j'ai accepté l'invitation à faire ce voyage, il était évident pour moi que l'œcuménisme avec nos amis évangéliques devait être un point fort et central de ce voyage. Nous vivons à une époque de sécularisme comme je l'ai déjà dit, au cours de laquelle les chrétiens ensemble, ont pour mission de rendre présent le message de Dieu, le message du Christ, de faire qu'il soit possible de croire, d'aller de l'avant avec ces grandes idées, ces vérités. Il est donc fondamental pour notre époque que les catholiques et les évangéliques soient ensemble, même si sur le plan institutionnel, nous ne sommes pas parfaitement unis et même s'il reste des problèmes importants, des problèmes relatifs au fondement de la foi en Jésus Christ, en Dieu trinitaire et en l'homme comme image de Dieu. Nous sommes unis et il est essentiel de montrer cela au monde et d'approfondir cette unité, en ce moment historique. Je suis par conséquent très reconnaissant à nos amis, frères et sœurs, protestants, qui ont rendu possible un signe très significatif: la rencontre dans le monastère où Luther commença son cheminement théologique, la prière dans l'église où il fut ordonné prêtre et le dialogue ensemble sur notre responsabilité de chrétiens aujourd'hui. Je suis très heureux de pouvoir montrer ainsi cette unité fondamentale, que nous sommes frères et sœurs et que nous travaillons ensemble pour le bien de l'humanité, en annonçant la bonne nouvelle du Christ, du Dieu qui a un visage humain et qui nous parle.

NDT



Puis en s'adressant le 23 septembre 2011 à Erfurt, aux représentants du conseil de l'église évangélique en Allemagne.
Son discours (très ciselé) avait déjà incité certains médias à titrer "Le Pape absoud Luther"
Il n'en était évidemment rien, et Massimo Introvigne (celui d'AVANT) avait consacré un long article à réfuter leurs raccourcis (ma traduction ici: benoit-et-moi.fr/2011-II).