Les revanchards du post-Concile


Ils ont (ou croient avoir) pris le pouvoir avec François, et ils en abusent. Le Père Scalese analyse les motifs et les conséquences possibles de la récente épuration à la Congrégation pour le Culte Divin (3/11/2016)


 

Revanchisme ecclésiastique


Père Giovanni Scalese CRSP
3 novembre 2016
querculanus.blogspot.fr
Ma traduction

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Vendredi dernier, 28 Octobre, le bulletin quotidien du Bureau de presse du Saint-Siège rapportait la nouvelle de la nomination des nouveaux membres de la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements (CCDDS). Les observateurs ont fait remarquer qu'il s'est agi d'un cas plus unique que rare d'une complère remise à zéro d'un dicastère de la Curie romaine. Pratiquement, de la vieille garde, il n'est resté que le préfet, le cardinal Robert Sarah. Certains ont été jusqu'à parler de «purge», comme celles de stalinienne mémoire.
Maintenant, il est évident que chaque Pape s'entoure des collaborateurs qu'il préfère; ce n'est pas la première fois que dans les congrégations romaines se produisent des alternances en fonction de la sensibilité du Pontife pro-tempore. C'était Benoît XVI qui en 2005, avait remplacé Mgr Domenico Sorrentino par Mgr Malcolm Ranjith dans la charge de Secrétaire de la CCDDS, et en 2007 avait retiré à Mgr Piero Marini ses fonctions de Maître des Célébrations liturgiques pontificales, mettant à sa place Mgr Guido Marini. On ne voit pas pourquoi François ne devrait pas jouir de la même liberté d'intervention sur les dicastères du Vatican, ayant d'ailleurs reçu, dans les réunions de pré-conclave, une sorte de «mandat» du collège des cardinaux pour réformer la Curie (voir la mention significatif à ce propos, faite par François dans son interview à la Civiltà Cattolica dans le numéro du 28 Octobre 2016, p. 5). Le problème, à mon avis, n'est pas la légitimité de l'intervention (que personne ne conteste), mais les modalités de sa mise en œuvre.

Jusqu'à présent les Papes, tant dans le choix des évêques que dans la nomination de leurs collaborateurs de la Curie Romaine, avaient certes suivi leur «politique» , mais ils l'avaient toujours fait en tenant compte des tendances différentes de la leur. Je ne sais pas si dans les 'Salles Sacrées' est en vigueur une sorte de "manuel Cencelli" (un terme généralement employé dans un sens péjoratif, comme synonyme de répartition des postes et de partage du pouvoir, mais qui était d'une certaine manière une tentative, même limitée et contestable, pour donner une voix aux différents courants politiques). Dans tous les cas, on s'efforçait de maintenir un certain équilibre dans les nominations de manière que les différentes «âmes» de l'Église soient représentées. Pensons à Jean-Paul II: il est plus qu'évident que pendant son pontificat il a favorisé un changement de l'épiscopat mondial dans un sens, disons, «conservateur» (voir, par exemple, les nominations aux États-Unis, aux Pays-Bas, en Autriche ou en Suisse); Mais Jean-Paul II est aussi le pape qui a nommé Carlo Maria Martini, archevêque de Milan, et l'a ensuite élevé à la pourpre, en dépit du fait que l'ex-recteur de l'Institut biblique et de l'Université Grégorienne ne pouvait pas vraiment être considéré comme un «wojtylien» (au point d'être par la suite considéré par certains comme une sorte d'«antipape»).
Eh bien, on a l'impression que cette attention à la «représentation des minorités» (appelons-la ainsi pour nous comprendre) a complètement disparu. On dirait que même dans l'Église s'est répandue la tendance qui en Italie a eu le dessus avec le passage de la première à la deuxième république: alors que dans la première république, il y avait le souci de donner une place à la minorité parlementaire (par exemple, en lui laissant la présidence de l'une des deux Chambres), aujourd'hui, celui qui remporte l'élection «rafle tout». On a vraiment l'impression qu'un certain parti, qui était sorti vaincu du Concile (c'est ma propre réinterprétation de l'événement conciliaire, qui mériterait peut-être un examen approfondi, mais ce n'est pas le moment) et qui, pendant les pontificats qui s'étaient succédé au cours des cinquante dernières années, s'était senti progressivement de plus en plus marginalisés, prend avec le nouveau pontificat sa «revanche» sur ses «ennemis» (je l'avais déjà noté dans un billet de février dernier) [cf. "Formidable ces années"].
La chose pourrait même être compréhensible s'il n'y avait la manière, disons «envahissantes» dont on la fait. On l'avait déjà vu avec la dernière fournée (!!!) de cardinaux: l'origine idéologique exclusive des désignés était plus qu'évidente. A présent, la même chose se répète avec les nouvelles nominations à la CCDDS. Il semblerait que ceux qui pendant cinquante ans s'étaient vus frustrés dans leurs aspirations, ayant obtenu le pouvoir, veulent s'offrir le plaisir de s'acharner sur leurs adversaires: «Nous avons gagné! Il n'y a plus de place pour vous». L'histoire nous enseigne que quand, après avoir remporté la victoire, on veut écraser et humilier l'ennemi vaincu, les conséquences ont été désastreuses (pensons à la Première Guerre mondiale).

Mais, en dehors de ces considérations «morales», il faut aussi penser aux conséquences pratiques que pourraient avoir ces nominations. Que va-t-il se passer maintenant à la CCDDS? D'un côté, il y a le préfet, qui a une vision liturgique «bénédictine» (dont l'objectif principal est la mise en œuvre de la dite «réforme de la réforme»), et de l'autre les membres de la congrégation, qui s'opposent résolument à cette vision, et à toute tentative,aussi minime soit-elle, de révision de la réforme liturgique post-conciliaire. À moins que le remplacement de tous les membres du dicastère n'ait été voulu pour contraindre le Préfet à la démission (le cardinal Sarah, toutefois, ne me semble pas du genre qui se laisse intimider ou qui se rend facilement), il va inévitablement se créer une situation d'impasse: un 'mur contre mur' sans aucune possibilité de médiation.
Personnellement, j'ai toujours été convaincu que la vérité n'est jamais entièrement d'un côté, et les torts entièrement de l'autre; je considère que l'utilité des organes collégiaux réside précisément dans la multiplicité des voix qui y sont représentées: chacun donne sa propre contribution et ensuite l'autorité sert de médiateur et fait la synthèse entre les différentes positions. De cette façon, en revanche, on ne fait rien d'autre que créer de nouvelles tensions et divisions, radicaliser les positions et exacerber les âmes. Et ceci est contraire à ce qui est le rôle propre de l'autorité:

Optimum autem regimen multitudinis est ut regatur per unum: quod patet ex fine regiminis, qui est pax; pax enim et unitas subditorum est finis regentis ["la meilleure forme de gouvernement est celle dans laquelle le peuple est gouverné par un seul; ce qui est évident si l'on considère quelle est la finalité propre de l'autorité, c'est-à-dire la paix; en effet, la paix et l'unité de ses sujets sont le but de ceux qui gouvernent"] (saint Thomas d'Aquin, Summa contra gentiles, l. IV, c. 76).


Je ne pense pas que ce soient les meilleures prémisses pour une éventuelle réforme de la Curie romaine et, encore moins, pour un renouveau authentique de l'Église. A quoi sert de s'inquiéter de l'unité avec les chrétiens séparés, quand ensuite on crée de nouvelles divisions au sein de l'Eglise catholique? A quoi sert de parler d'«Eglise ouverte, inclusive» (interview du pape François au quotidien La Nacion, 28 Juin, 2016), quand ensuite les choix qui sont faits sont tous à sens unique et qu'on ne laisse aucune place à l'«opposition»? A quoi sert de stigmatiser la tendance à «privilégier les espaces de pouvoir plutôt que les temps des processus» (Evangelii gaudium, n. 223 ), quand ensuite on donne l'impression que le «nouveau cours» se ramène exclusivement à l'occupation de tous les espaces de pouvoir disponibles?