Luther, le collègue


A propos de la participation annoncée du pape à la commémoration du 500e anniversaire de la Réforme, le commentaire irrévérencieux de "Fray Gerundio" (1/2/2016)

>>> J'ai trouvé le montage ci-contre sur le site de Maurizio Blondet ("version originale" ici).

>>> Articles reliés:
¤ François en Suède pour commémorer la Réforme
¤ A propos de ce blogueur que nous avons déjà rencontré grâce à Carlota, voir aussi: Des idolâtres obstinés face aux surprises de Dieu

 

Luther le collègue


"Fray Gerundio"
29 janvier 2016
Traduction de Carlota

* * *

L’annonce de la visite papale en Suède pour commémorer le 500ème anniversaire de la Réforme a déchaîné les protestations des cornichons au vinaigre (ndt allusion bien sûr à une «insulte» récurrente, à défaut d’habituelle, du pape François, à ceux qui ne pensent pas comme lui), des pharisiens et des traditionnalistes. Comme ils passent leur temps à être tristes et à se plaindre de tout et qu’ils ne s’ouvrent pas à l’Esprit, il suffit de publier une information quelconque et ces pharisiens d’un nouveau cru se lancent dans la conspiration, selon certains, ou désirent la mort du Souverain Pontife, selon d’autres. Moi, je ne désire la mort de personne, mais je considère qu’il est fait allusion à moi, même si je suis ici dans mon humble cellule du monastère et avec la neige qui a déjà commencé à tomber.

S’il y avait au Saint Siège un Défenseur du Peuple ou un Observatoire des Droits de l’Homme (de ceux qu’aiment tant les progressistes et le Pape lui-même), j’enverrais à l’occasion et avec plaisir une plainte pour agression verbale, doctrinale ou visuelle. Parce qu’il faut voir la tête que prend le Souverain Pontife quand il parle de nous. Si ce n’était qu’il m'inspire une certaine crainte, je dirais qu’il se fait une tête de cornichon au vinaigre post-conciliaire qui a beaucoup moins d’ancienneté que le vinaigre de vin que nous emportons avec nous. Le vinaigre post-conciliaire est très toxique, parce que, bien que l’étiquette sur la bouteille dise qu’il est idéal pour un bon dialogue, il te pulvérise les entrailles dès que tu l’essaie un peu.

Le fait est que tout le monde est tout retourné dans mon couvent à cause de l’affaire de la visite du Pape en Suède, qui semble être un geste merveilleux : spectaculaire et monumental. Quelques frères, le sac à dos tout prêt, demandent déjà s’ils peuvent assister à l’évènement. D’autres ont fait comme commentaires qu’ils allaient écrire une comédie musicale pour la visite, des guides du pèlerin, des activités commémoratives en extra, comme par exemple rendre visites à d’autres églises luthériennes de Norvège et de Finlande.

Et comme d’habitude (maudite habitude!), ils m’ont demandé mon avis. J’ai dit avec une certaine crainte qu’effectivement cela me paraissait un geste spectaculaire et monumental… mais aussi et plutôt un geste d’insolence papale, de piétinement du catholicisme et de mépris envers les catholiques de tous les temps en commençant par les martyrs. Cela me semble une effronterie irrespectueuse d’un tel calibre que j’espère que cette visite ne se réalisera jamais. Mon cher frère en religion, Fray Malachie (ndt ami imaginaire ? et clin d’œil à l’œuvre de Malachi Martin ?) qui a prononcé ses vœux six ans avant moi, et qui est, le pauvre, sur le point d’entrer dans l’éternité un de ces jours, m’a dit de ne pas m’en faire car cela ne se réalisera pas.

Je ne sais, ni ne veux me faire prophète. Je sais seulement que ce simple projet de visite est déjà en lui-même un manque de respect et une offense. Ce copinage avec Luther est inadmissible (ndt j’ai fait une traduction sobre des mots utilisés par l’auteur) indignerait, évidemment, Luther lui-même, lui qui depuis sa demeure éternelle rugirait contre la commémoration de ses disciples suédois avec à côté d’eux le Représentant de la Babylone du troisième millénaire.

Beaucoup de naïfs publient les phrases que Luther vomissait contre l’Église Catholique en essayant de bien montrer comment les dispensait ce pauvre petit moine augustin. Comme si à Sainte Marthe on ne les connaissait pas et comme si cela allait encourager François à annuler son billet pour la Suède. De cela, rien du tout. Il ne faut pas oublier que nous sommes dans l’année de la miséricorde. Et il faut pardonner. Que Luther ait divisé la Chrétienté, qu’il ait blasphémé contre Jésus Christ et contre la Vierge Marie, qu’il ait détruit la Messe et les Sacrements et un etc. très long de plus, qu’importe. Ce qui importe c’est que Luther est déjà notre collège, notre compère et notre héros. Avec quel amour de la vérité et avec quelle sincérité il a détruit la Chrétienté. Avec quel courage il a béni la tuerie des paysans. Avec quelle délicatesse il a parlé au Pape et avec quelle subtilité il a vécu l’évangile.

Dans cette ambiance, l’Évêque de Rome se trouve à son aise. Il n’a pas de doute que c’est beaucoup plus accessible que le traditionalisme enkysté, incrusté, sacramentalisé, doctrinalisé et pharisaïque. Vive Luther. Fêtons ensemble cet admirable et saint événement de la Chrétienté. Fêtons au champagne le naufrage du Titanic, le tremblement de terre d’Haïti et la chute des Tours Jumelles. Vive Luther et vive sa mère qui l’a fait naître. Prions ensemble le Christ de Luther et, pour ne pas le fâcher, nous enlèverons au Christ tout ce qui pourrait ne pas lui plaire. Comme s’il s’agissait d’un ayatollah iranien en visite à Rome.

Cette nouvelle n’a rien de spécial, après tant d’années d’infiltration dans l’Église, par la porte grande ouverte, du protestantisme et de Luther lui-même. Je pense que n’importe quelle enquête sur la doctrine chrétienne faite aux séminaristes, catéchistes, prêtres et évêques montrerait bien clairement que la majorité d’entre eux sont protestants de fait (*). Le collègue Luther n’est plus vu comme en d’autres temps (pouah !) avec méfiance et précaution. Non, maintenant il est notre compagnon, notre ami et notre compère.

Quand le Seigneur a parlé des Pasteurs Mercenaires (ou des mauvais pasteurs), il a dit qu’ils abandonnaient le troupeau quand venait le loup, et qu’ils laissaient les brebis plus seules que la plus solitaire des brebis face à danger d’une telle taille. Bon, ce sont des pasteurs à qui le troupeau n’importe guère et qui n’ont pas d’amour pour les brebis.

Je pense qu’il y a un autre type de Pasteur (bien que je ne veuille pas corriger ce que Dieu a écrit): c’est le pasteur qui n’aime pas les brebis et ne prend pas soin du troupeau, mais qui, quand le loup arrive, se met à jouer aux cartes avec lui, se prend quelques petits verres de vin avec lui et fait copain avec lui sur la base du bien. Et il lui demande pardon parce qu’il y a quelques brebis rouspéteuses qui appellent le Bon Pasteur. Et il dira sûrement: Mange d’abord celles-là qui sont préconciliaires. Le Pasteur Mercenaire n’est pas celui qui laisse la porte ouverte et sort pour fuir. C’est celui qui ouvre la porte au loup et lui indique où est l’apéritif tandis qu’il joue aux billes avec lui.

Le Psaume connu dit que Dieu est lent à la colère et riche en miséricorde. C’est la mode au Vatican de ne mettre l’accent que sur seconde partie du verset. C’est pour cela que nous sommes dans l’année de la miséricorde. Mais la lenteur n’équivaut pas à l’absence de mouvement. Lent à la colère peut signifier qu’il tarde à réagir, parce qu’il continue à donner des occasions de se repentir. Mais cela ne signifie en aucune façon que le moment de la colère ne va pas arriver. Du moins en castillan commun. Je ne sais pas comment les exégètes vêtus de pourpre l’interprèteront. Mais il n’est pas impossible qu’après l’année de la miséricorde nous ayons à organiser l’année de la colère. Surtout pour équilibrer forces et sentiments.

Maintenant que j’y pense, Il est possible que Frère Malachie aie raison. Dieu le dira (**).

Fray Gerundio (***)

NDT

(Carlota)

(*) Revoir les enquêtes faites au moment de JMJ de Madrid auprès des jeunes catholiques et les réponses qu’ils donnaient montrant un besoin certain de formation. Par ailleurs l’École depuis le XIXème ne donne pas forcément une vision très exacte de l’Histoire avec ce qu’a provoqué Luther (mais aussi le Calvinisme) et des conséquences de la Réforme. Enfin à force de vouloir rendre plus accessible la Religion aux « malheureux » catholiques qui avaient été obligés de suivre la messe en latin jusqu’au milieu du XXème, la catéchèse et les homélies des prêtres catholiques sont devenus elles-aussi de plus en plus simplistes, rendant les catholiques encore plus « analphabètes » par rapport à la Foi catholique. Ne faut-il pas dire que la Sainte Vierge était finalement une femme comme les autres, par exemple ?

(**) Evidemment nous aimerions que la visite du Pape entraine un immense mouvement évangélisateur et que les Suédois (historiques!) reviennent en masse au catholicisme de leurs ancêtres d’avant la Réforme, suivant même l’exemple de Christine de Suède convertie au catholicisme (1654) notamment grâce à des échanges fructueux avec diverses personnalités espagnoles. Mais encore faudrait-il que le catholicisme de leurs ancêtres leur soit bien montré. Si c’est une pâle copie « relookée » et médiatique, version 2016, de ce qu’ils connaissent déjà chez eux aujourd’hui avec le luthérianisme, autant préféré l’original luthérien !

(***) Fray devant un prénom (de « fraile », mot venant de l’occitan « fraire », en français frère, et bien sûr du mot latin frater). Fraile (et Fray) s’emploie à la place du mot castillan-espagnol signifiant également frère mais construit à partir d’un autre mot latin, pour certains ordres religieux et en particulier les ordres mendiants comme ceux des augustins, des carmes, des dominicains, des franciscains, des servites, des mercédaires (fondés au XIIIe siècle pour racheter les chrétiens devenus esclaves chez les musulmans, ils œuvrent toujours dans ce but aujourd’hui).