Mariage gay en Italie: la trahison des "élites"


Les réflexions de Roberto de Mattei après le vote par le Sénat italien de la loi instituant un pseudo "mariage gay", avec l'approbation de politiciens "catholiques" et le silence coupable de la hérarchie de l'Eglise (2/3/2015)

Ce texte dont le Pof. de Mattei vient de m'adresser la version originale en italien sera publié aujourd'hui sur "Corrispondenza Romana".

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>>> Voir aussi: L'Italie du Family Day

 

Certes, c'est de la politique italienne. mais la portée est évidemment beaucoup plus large. Comment ne pas penser au (faux, puisque verrouillé par une Assemblée largement acquise à la gauche) débat qui a accompagné en France, il y a trois ans le vote de la loi Taubira? A la trahison de nos propres politiques dits "de droite, dont beaucoup n'ont pas tardé à jeter le masque? Et à la frilosité des clercs? Sans parler de la récupération du mouvemant de la "Manif pour tous", dont la ressemblance avec celui du "Family Day" italien n'est bien sûr pas fortuite.

La trahison historique des «catholiques»


Roberto de Mattei
2 mars 2016
(ma traduction)

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L'approbation du pseudo-mariage hommosexuel, qui a eu lieu au Sénat le 25 février 2016, avec 173 oui, 71 non et 76 abstentions est la dernière étape d'un processus de dissolution de société italienne qui part de l'introduction du divorce (1970), passe par la légalisation de l'avortement (1978) et a sa prochaine étape, imminente, dans la légalisation de l'euthanasie. On comprend bien dans cette perspective, l'exultation de la presse laïque. «Dans l'histoire longue et tortueuse de la libération sexuelle de l'Italie - a écrit Francesco Merlo dans La Repubblica du 26 Février - cette loi a la même valeur historique que la loi sur le divorce et celle qui régit l'avortement».
Ce qu'ont en commun ces trois événements, c'est la trahison consommée par les hommes de gouvernement catholiques. Le divorce passa sous un gouvernement de centre-gauche présidé par le démocrate-chrétien Emilio Colombo. L'avortement fut approuvé par un gouvernement démocrate-chrétien, présidé par Giulio Andreotti. La Démocratie Chrétienne est tombée, mais les principaux responsables de la nouvelle loi, le président du Conseil Matteo Renzi et le ministre de l'Intérieur Angelino Alfano, se définissent, comme Colombo et Andreotti, catholiques pratiquants. Si le ministre Alfano avait menacé de démissionner, cela aurait rendu impossible, ou du moins aurait différé, le passage de la loi, mais le politicien sicilien a préféré agir comme Andreotti, qui le 21 janvier 1977 notait dans son journal: «Séance à Montecitorio (la Chambre des députés) pour le vote sur l'avortement. Il passe avec 310 pour et 296 contre. Je me suis posé la question de la contre signature de cette loi (comme Leone [président de la République] pour la signature), mais si je refusais, non seulement nous ouvririons une crise (après avoir?) commencé à boucher les fuites, mais en plus de subir la loi sur l'avortement, la DC perdrait également la présidence et ce serait vraiment plus grave» (1).
La perte de la présidence d'un gouvernement était considérée comme plus grave que l'assassinat, par la loi, de millions d'innocents.

Que prévoit la mesure qui prend le nom de la sénatrice Monica Cirinnà? La loi sur les unions civiles, comme l'a expliqué le juriste Alberto Gambino sur "Libero" du 26 Janvier, est une institution para-matrimoniale, qui prévoit les mêmes droits et devoirs que le mariage: assistance morale et matérielle, cohabitation, droits patrimoniaux, prérogatives en matière de travail, assurance sociale, fiscalité, attribution de logements, même le nom commun et la communauté des biens. L'unique droit matrimonial qui n'est pas reconnu est celui de l'adoption, mais Mme Cirinnà a annoncé qu' «un projet de loi sur les adoptions par des couples homosexuels est presque prêt. Il partira de la Chambre, où les chiffres sont assurés, de sorte qu'il arrivera au Sénat blindé» (Il Fatto Quotidiano, 26 Février). Si cela ne suffisait pas, l'Europe y pourvoira. La Cour européenne des droits de l'homme a en effet établi qu'une fois qu'une institution équivalente sur le fond à l'institution du mariage - même si on l'appelle "union civile" - est insérée dans la loi, il devient obligatoire d'introduire les adoptions pour éviter la discrimination.

La loi Cirinnà, devenue la loi Renzi-Alfano, malgré le rejet des adoptions homosexuelles, est en soi inique et inacceptable, non seulement parce qu'elle introduit un pseudo-mariage gay, mais parce qu'elle attribue des droits aux homosexuels en tant que tels. Selon la doctrine catholique, mais encore avant, selon la loi naturelle, l'homosexualité ou sodomie, est un vice de l'homme qui subvertit les principes de l'ordre moral. Mais Angelino Alfano a déclaré à "Agora" (un talk show politique de la télévision italienne) sur RAI 3: «Je n'ai jamais menacé le gouvernement sur le cas de l'adoption pour les familles homosexuelles, je ferai tout pour parvenir à un accord. (...) Sur le projet de loi Cirinnà, je voterai oui si on enlève les adoptions par des gays. Je suis en faveur des droits pour les couples y compris homosexuels. Je suis absolument ouvert» (La Repubblica, 5 Février 2016).

Merlo a donc raison, quand il écrit que «de quelque façon qu'on la regarde, cette loi est donc une nouvelle Porta Pia» (autrement dit la fin de la souveraineté temporelle du pape, cf. [*]) parce qu'elle dévaticanise (ie déchristianise) l'Italie» ( La Repubbica, 26 février 2016).

Mais comment ignorer les responsabilités de la hiérarchie de l'Église dans cette déchristianisation de l'Italie? Le vaticaniste Giuseppe Rusconi note que «l'amertume et la colère», en plus de s'adresser aux politiques catholiques, «sont dirigés contre une autre cible: le secrétaire général de la Conférence épiscopale italienne, l'évêque Nunzio Galantino» (Rossoporpora, le 26 février), représentant de pointe de cette "Église en sortie" qui «à la confrontation ouverte, et même dure, préfère - en particulier sur les questions de la famille et de la vie - un dialogue non précisé et à outrance avec le pouvoir, qui se développe entre couloirs et rencontres conviviales». Il faut ajouter qu'aucun mot n'est venu de celui qui détient la charge d'Évêque de Rome et Primat d'Italie.

À cet égard, la loi adoptée par le Sénat est une lourde défaite pour tous les catholiques, y compris ceux qui ont qualifié de "victoire" du Family Day, l'abandon de l'adoption d'enfants par les couples homosexuels (stepchild adoption). C'est pourtant cette "victoire" qui a rendu possible l'accord Renzi Alfano, aboutissant à une colossale défaite pour le monde catholique.

Une manifestation dans la rue est toujours un message fort qu'on envoie à quelqu'un, et l'importance du Family Day réside dans le fait qu'il ait eu lieu. Le monde catholique en Italie a toujours été réticent à de grandes manifestations publiques parce qu'il a toujours essayé d'éviter le conflit ouvert avec l'adversaire, s'illusionnant de l'emporter à travers le compromis. Mais le renoncement à la lutte est la prémisse de la défaite. Il faut donc se réjouir de la manifestation du 30 Janvier, parce qu'elle a exprimé l'esprit militant d'un peuple venu, au prix d'effort et de sacrifice, de toute l'Italie pour faire entendre sa voix. Mais il ne faut pas confondre la base du Family Day avec les représentants du monde catholique. Il ne faut pas confondre les intentions et les projets des organisateurs de la manifestation, avec le message fort qui venait de la place.
Le peuple du Family Day est un peuple qui a perdu une bataille, mais qui entend poursuivre la guerre. Et il le fait aussi en se mobilisant dès maintenant pour un référendum abrogeant intégralement la loi introduisant les unions homosexuelles en Italie.
Le prochain rendez-vous est à Rome, le 8 mai, pour la Marche pour la vie.
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(1) Diari 1976-1979. Gli anni della solidarietà, Rizzoli, Milano 1981, pp. 73

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NDT
(*) La porta Pia, est une porte de Rome construite entre 1561 et 1565 dans le mur d'Aurélien sur ordre du Pape Pie IV dont elle tient le nom.
Le 20 septembre 1870, la portion du mur d'Aurélien située entre la Porta Pia et la Porta Salaria fut soumise à une intense canonnade des troupes italiennes pour faire céder les États pontificaux, notamment des troupes des Bersaglieri qui réussirent à ouvrir une brèche de 12 mètres dans le mur attenant à la porte afin de pénétrer dans la ville et de conclure le processus de l'Unification italienne par la prise de Rome en faisant céder le pouvoir temporel papal sur la cité (wikipedia).