Mariage pour tous: aussi pour les polygames?


Réponse à un philosophe mondain qui du haut de sa chaire médiatique veut faire la morale à Marion Maréchal le Pen (23/3/2016)


Manifestation à Mayotte, en 2013

Il y a une semaine, dans sa chronique quotidienne (à écouter - très - éventuellement ici) sur une radio commerciale qui veut "monter en gamme" en se donnantdes postures de réflexion philosophique, Raffaele Enthoven s'est déchaîné contre Marion Maréchal le Pen qui, à propos du "mariage gay" avait osé évoquer la possibilité de légaliser dans la foulée les unions polygames (*).
Réponse catégorique de l'élégant philosophe: Le mariage pour tous est un rempart contre la polygamie.

Eh bien, tout le monde n'est pas de cet avis. Même parmi ceux qui devraient être ses "amis".
Voici un article de Tommaso Scandoglio sur La Bussola, qui, non sans humour, réduit à néant son argumentation et devrait l'inciter - lui qui se prétend si irréprochable qu'il se croit habilité à asséner chaque matin une leçon de (sa) morale du haut de sa chaire médiatique - à réfléchir un peu plus avant de raconter n'importe quoi.
On peut tout au moins lui suggérer d'aller s'expliquer avec la féministe enragée dont parle Scandoglio. Ou même directement avec les musulmans de Mayotte qui réclament explicitement la reconnaissance de la polygamie (une information datant de 2013, mais les médias ont été d'une discrétion de violette, on les comprend...).

* * *

(*) Le mariage ne doit pas être « une reconnaissance sociale de l’amour », a affirmé la vice-présidente du Front national. Cela risque pour elle d'« ouvrir la voie […] à de très nombreuses dérives. D’autres minorités chercheront à faire reconnaître leur forme d’amour, je pense notamment à la polygamie. » (cf. www.20minutes.fr)

Après le 'oui' au mariage homosexuel, pourquoi un 'non' à la polygamie?


Thomas Scandroglio
23 mars 2016
La Bussola
(ma traduction)


Du "mariage" gay à la polygamie, il n'y a qu'un pas.
Ces derniers mois, des politiciens, des journalistes, des universitaires, des religieux et des intellectuels, intervenant sur le thème du "mariage" homosexuel, ne cessaient de répéter que si le seul critère à prendre en compte pour constituer un lien matrimonial est l'aspect affectif, alors pourquoi interdire la polygamie et la polyandrie? Le mari musulman et ses trois ou quatre femmes ne "s'aimeraient"-ils pas? Qui sommes-nous pour valider les affections des autres, pour refuser le "permis" d'amour aux polygames?

Et aussi, si le "mariage" gay doit être reconnu par la loi dès lors que ne pas le faire serait discriminatoire envers les couples homosexuels, pourquoi ne pas reconnaître les mariages polygames? Ne serait-ce pas tout aussi discriminatoire envers des personnes qui, par une tradition culturelle vieille de plusieurs siècles, sinon de millénaires, sont liées par une liaison déjà reconnue par leur religion comme un lien conjugal? Si le "mariage" entre personnes du même sexe est une invention récente, la polygamie a toujours existé et donc les polygames auraient plus de droits que les personnes homosexuelles de se voir reconnaître par l'Etat leur coexistence particulière.

Ces derniers mois, des argumentations similaires étaient rejetées par le front homosexualiste comme des provocations stériles, hyperboles tout juste bonnes pour des confrontations dialectiques, fantasmes destinés à prendre les gens pour des imbéciles. Bref, des expédients rhétoriques stupides. Mais ce qu'il y a de beau - ou peut-être de mauvais - c'est que quelqu'un a vraiment demandé à ses dirigeants de légitimer la polygamie et la polyandrie, en se réclamant justement de la loi qui a créé le "mariage" homosexuel.

Cela s'est passé à Mayotte, un archipel d'îles constitué Département d'outre-mer de la République française, situé entre le Mozambique et Madagascar. Les îles de Mayotte sont françaises à tous égards: par exemple, la monnaie est l'euro. Dans ce coin de paradis, certains citoyens de foi islamique se sont réunis en comité et ont officiellement demandé que le Parlement français étende le champ d'application de la loi sur les "mariages" homosexuels, aussi aux polygames (ndt: cela remonte apparemment à 2013, voir par exemple www.causeur.fr). La raison est très simple: si le "Mariage pour Tous" est vraiment "pour Tous" pourquoi le refuser à ceux qui ont plusieurs partenaires ou plusieurs compagnons et veulent un jour les appeler épouses et maris? En bref, il est demandé de légaliser la polygamie.

Évidemment, celle-ci, à cause de ladite loi sur le "mariage" gay, peut être hétérosexuelle (par exemple, un mari et plusieurs femmes), homosexuelle (que des maris ou que des femmes ) ou bisexuelle (plusieurs maris et plusieurs femmes, chacun mariés avec tous les autres ). Une belle extension - entendue au sens technique - du mariage de base, une mise à niveau avec des ajouts importants. Le comité a également manifesté devant la préfecture locale. Une bannière résumait parfaitement les motifs objectivement sans appel pour reconnaître la polygamie: "Pourquoi non à la polygamie et oui au mariage gay?".

La proposition a été accueillie avec faveur par un groupe de féministes. Oui, justement elles, celles qui jusqu'à hier devenaient rouge violacé quand on leur parlait de polygamie, en pensant aux femmes réduites à être les concubines d'un seul mari. La polygamie est en réalité un excellent symbole de l'inégalité entre les hommes et les femmes, tellement honnie par les suffragettes d'hier et d'aujourd'hui. Mais les musulmans de Mayotte ont trouvé chez elles un rivage accueillant pour la reconnaissance de la polygamie: "La définition du mariage est malléable" a déclaré la leader féministe Jillian Keenan. "Tout comme le mariage homosexuel n'est ni meilleur ni pire que celui hétérosexuel, l'union de deux adultes n'est intrinsèquement ni plus ni moins correcte que celle entre trois (ou quatre, ou six) adultes consentants. Les polygames sont une minorité, la liberté n'a aucune valeur si elle ne s'étend pas aux petits groupes ou à ceux qui sont les plus marginaux".

Nous y revoilà. Si nous acceptons des prémisses erronées - love is love - nous devons inévitablement en accepter aussi les conséquences logiques: oui à la polygamie. Si le seul élément nécessaire pour qu'il y ait mariage est le consentement libre des fiancés et l'affection, le nombre de conjoints ne devrait pas être problème, ce n'est qu'un aspect accessoire. Si on accepte le "mariage" gay, il faut accepter la polygamie. Et même, à y regarder d'un peu plus près, d'un point de vue purement quantitatif, le mariage polygame vaut plus que celui, un peu triste, à deux. En outre, il est plus efficace: il y a plus de personnes prêtes à résoudre les problèmes de la famille et à soigner les enfants, il y a plus de solidarité. Non?

Il est clair que les polygames, à leur tour, ne pourront pas s'opposer à d'autres extensions de cette chose informe qu'autrefois on appelait "mariage". Et ainsi, bientôt, on pourra épouser sa sœur, son neveu, un défunt (peut-être une célébrité), ou l'ami qui restera, cependant, un ami. Il va sans dire que nous pouvons convoler en justes noces même avec notre labrador bien-aimé, et dans un avenir proche avec des robots humanoïdes. Ne sont-ils pas eux aussi des êtres intelligents?
Fantasmes? Il y en a déjà qui proposent le mariage inter-espèce, ou transhumain.

Tout comme la polygamie apparaissait jusqu'à récemment comme une provocation, mais aujourd'hui frappe à la porte du Parlement français, sous peu, il arrivera la même chose à ces nouvelles formes de lien nuptial: bizarreries aujourd'hui, demain droits civils.
En bref, aujourd'hui, ne refusons le mariage à personne, qu'il soit hétérosexuel, homosexuel, bisexuel, célibataire, polygame ou polyandre. Marié avec quelqu'un ou quelque chose, il suffit qu'il y ait beaucoup, mais vraiment beaucoup d'amour.