L'abolition du péché


Et si Scalfari avait vu juste? Le Père James V. Schall, SJ, après une première lecture rapide (et plutôt positive!) de l'exhortation, pose la question cruciale de la "négation" du péché (11/4/2016)

 

Si ma mémoire est bonne, le premier à avoir dit que François avait aboli le péché, c’est Scalfari. Tout le monde s’était alors gaussé, criant à la forfaiture et à l’incompréhension, et invoquant le grand âge du confident du Pape, pour ne pas dire sa sénilité.
Deux ans après, pourtant, on peut se demander avec quelque raison si le vieil homme n’avait pas vu juste…

En effet, au lendemain de la publication d'Evangeli Gaudium, Scalfari en livrait sa lecture personnelle, et écrivait ces mots, qui pourraient bien trouver une justification ultérieure dans Amoris laetitia:


[François] est révolutionnaire dans de nombreux aspects de son encore bref pontificat, mais surtout sur un point fondamental: de fait, il a aboli le péché.
(...)
Un pape qui abolisse le péché, on ne l'avait pas encore vu. Un pape qui fasse de la prédication évangélique le seul point fixe de sa révolution, n'était pas encore apparu dans l'histoire du christianisme.
C'est la révolution de François et celle-ci doit être examinée soigneusement, surtout après la publication de l'Exhortation apostolique Evangelii Gaudium, où l'abolition du péché est la partie la plus bouleversante de ce tout récent document.
François abolit le péché en se servant de deux instruments: en identifiant le Dieu chrétien révélée par le Christ avec l'amour, la miséricorde et le pardon. Et ensuite en attribuant à la personne humaine une pleine liberté de conscience.
(cf. benoit-et-moi.fr/2013-III/actualites/la-revolution-de-francois-a-aboli-le-peche)

Dans Amoris Lætitia, qui admoneste qui?


James V. Schall, S.J.
www.catholicworldreport.com
8 avril 2016
Traduction d'Anna


Dans un document où beaucoup est à recommander, l’effet final est néanmoins de nous amener à conclure qu’aucun péché ne s’est jamais produit. Tout a une excuse.

* * *

En anticipant la publication des réflexions du Saint Père sur les synodes, j'étais préparé au pire, quelque chose qui aurait bien pu toucher aux questions d'infaillibilité. En terminant une première lecture pas trop approfondie, j'ai pensé que l'exposé papal était en fait généralement plutôt bon, profond aussi à de nombreux endroits. J'étais bien sûr amusé par le titre - Amoris Lætitia - car il ressemblait à un titre provenant bien plus probablement d'Ovide ou de Catulle que même d'un pape Borgia. Il y avait le même titre dans la lumière des Quatre Amours de C.S. Lewis et une considération similaire dans le Deus Caritas Est de Benoît sur les différentes significations d'"amour" - agape, phila, erhos et storgê (le mot grec qui signifie "amour familial"). Mais la plupart de ces importantes distinctions se retrouvent dans le présent document, pas uniquement celle de l'eros (amor), bien qu'elle y soit aussi mais avec beaucoup de précaution.

La réflexion du Pape occupe quelque 262 pages. Elles traitent évidemment de nombreuses questions, mais presque tout ce qui est présenté tourne autour de la famille et de sa réalité - de la conception à la mort et au-delà. Des inquiètudes ont été exprimées qu'un document de cette longueur puisse inévitablement conduire à des myriades d' "interprétations" et controverses. Combien de gens liront un tel "livre"? Mais l'encyclique de Jean-Paul II sur les missions était longue de 124 pages et Deus caritas est faisait 102 pages. Évidemment, le Pape François était décidé à présenter un aperçu clair et complet des différentes discussions de deux ans de synode. La contribution de personne ne devait être omise.

Tous les aspects de la vie familiale sont traités, d'une manière ou d'une autre, de façon ordonnée, systématique et scientifique. Cette présentation ne veut pas être un "travail définitif", mais en est un d'assez pénétrant et complet. Il contient évidemment des données de nombreuses sources du monde entier, en particulier des conférences des évêques. Il est aussi familier qu'érudit. Le travail sur la famille des papes précédents - Pie XI, Paul VI, Jean-Paul II, Benoît, ainsi que de l'Aquinate – est clairement évident. Le refrain est récurrent: la tradition établie de l'Église sur le mariage ne peut être ni ne sera changée.

On peut ergoter sur différents points. Au n. 25, le Pape parle du chômage et de ses conséquences sur la famille, un thème qui apparaît plus loin. On a toujours l'impression que le Pape pense que l'emploi provient du gouvernement, qui est le plus souvent un générateur de non-emploi. Dans la section suivante, apparaît la question du péché. Il semble que le "péché" principal soit en rapport avec l'environnement, comme à dire qu'extraire du charbon, ou quelque chose du genre, était le gros problème moral. Mais ce document n'aborde pas vraiment ces questions. Je ne me souviens même pas que le mot "périphérie" ait été jamais mentionné.

L'accent est sur la famille - c'est à dire ce qui la fait marcher ou pas, comment elle est liée au Christ. Elle contient de nombreuses réflexions tendres et émouvantes sur la famille et la vie conjugale. Nous aurions pu espérer un document plus bref avec des points plus succincts, mais tel que je le lis, dans un document plus bref nous aurions perdu quelque chose provenant évidemment du synode au sujet des vrais problèmes de la vie familiale. Le document fournit une lecture agréable dans laquelle chaque point peut être apprécié et médité.

Une chose est tout à fait claire. Il n'y a pas de place pour une définition du "mariage" comprenant les "couples" de même sexe. Cet arrangement est heureusement tout simplement rejeté d'emblée comme si son désordre était trop évident pour avoir besoin d'une analyse détaillée. Ce qui sera sans doute souligné dans les médias, ce seront les questions du divorce, du remariage, et les unions libres. Je peux me tromper mais je ne pense pas que ce document nécessitera les habituelles "explications" de ce que le Pape a "vraiment" voulu dire par ce commentaire ou autre ( !!). Ces questions plus controversées ne sont abordées que tard dans la lettre après que toutes les questions centrales des bons mariages aient été traitées. Le Pape prend soin de souligner sa préoccupation pour les gens engagés dans ce qu’on appelait habituellement les "mauvais" mariages, et n’omet pas l'importance de 'comment' les mariages devraient être. Cette même préoccupation vaut aussi pour les discussions sur les problèmes contenus dans Humanæ Vitæ. L’important n'était pas de comment les contourner, mais d'enseigner et connaître des façons sensées de les mettre en oeuvre. Jean-Paul II, plus que tout autre, avait montré comment cela peut être fait.

Le souci de la discussion finale du Pape sur les problèmes conjugaux - tels le divorce, la vie commune, et l'infidélité - est de représenter l'Église non pas comme un juge ou une organisation bureaucratique, mais comme une mère compatissante qui veut écouter et être avec quelqu'un dans ses épreuves. Il serait difficile de savoir comment appeler autrement cette section qu'un exercice de casuistique sophistiquée. Tous les efforts sont déployés pour excuser ou comprendre comment celui qui est dans une telle situation n'en est vraiment pas responsable. Il y avait ignorance, ou passion, ou confusion. Nous somme exhortés à ne juger personne. Nous devons accueillir n’importe qui et tout faire pour qu'il se sente chez lui à l'Église et comme un proche. Les victimes du divorce qui sont traitées injustement, surtout les enfants, sont l’objet d’attention. Mais l'intérêt premier est la miséricorde et la compassion. Déjà Dieu pardonne tout et ainsi le devrions-nous. La précision intellectuelle (?) que le Saint Père utilise pour excuser ou amoindrir la culpabilité est motif pour quelques réflexions. La loi ne peut pas changer mais le processus "graduel" qui mène à la compréhension de ce non-respect de la loi nécessite de la patience et du temps.

En additionnant tout cela, il semble souvent que l'effet de cette approche est de nous porter à conclure qu'aucun "péché" n'a jamais été commis. Tout a une cause qui l’excuse. Si cette conclusion est correcte, nous n'avons pas vraiment besoin de miséricorde, qui n'a pas de signification en dehors du péché réel et de sa libre reconnaissance. On sort de cette approche non pas en étant désolé pour ses propres péchés, mais soulagé, comprenant qu'on n'a en réalité jamais péché. Il n'y a donc aucun besoin urgent de nous inquiéter avec ces situations.

En réfléchissant à cette approche innovante, on se demande parfois si le Christ lui-même ou Saint Paul ont vraiment voulu dire quelque chose avec leurs jugements et réprimandes souvent directs sur nos actions. Si l'amour et la miséricorde sont comprises de telle façon qu'ils nous font croire que rien de vraiment grave n’a jamais été commis, comment devons-nous lire un passage comme le suivant: "Car Dieu n'a pas envoyé le Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. Mais celui qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu'il n'a pas cru au nom du Fils unique de Dieu" (Jean, 3, 17-18).
Nous retrouvons beaucoup de passages aussi directs dans les Écritures.

Dans la 1ère Lettre aux Thessaloniciens nous lisons: "Nous vous prions aussi, frères, d'avoir de la considération pour ceux dont la tâche est de vous gouverner dans le Seigneur et qui vous donnent des avis… (5, 12).

La question principale qui est laissée à celui qui lit ce vaste document est: qui admoneste qui et pourquoi?