Selon que vous serez Bertone ou Paglia


... ou bien "François ou Benoît"? Plusieurs affaires actuelles font resurgir cette question: pourquoi cette différence de traitement? Illustration par Sandro Magister et Riccardo Cascioli (3/4/2016)



Dans son billet de cette semaine sur www.chiesa, Sandro Magister, s'appuyant sur une longue interview de Mgr Fellay récemment publiée, s'interroge sur la curieuse relation, faite de méfiance et de sympathie réciproque, qui s'est installée entre François (qui ne s'intéresse pas à la liturgie, et pas davantage à la messe en latin, ... sauf contre les Franciscains de l'Immaculée) et la FSSPX.
Benoît XVI, à qui cela tenait beaucoup à coeur, avait tenté par tous les moyens, mais on le sait, sans résultat, de régler le problème de leur pleine réintégration dans la communion avec Rome. Il s'était exposé personnellement et avait payé au prix fort pour le geste courageux de la levée de l'excommunication des 4 évêques ordonnés par Mgr Lefebvre.

Mais, dit Magister:

Le pape François a également accompli un geste de grande ouverture lorsque, au mois de septembre dernier, il a autorisé tous les fidèles catholiques, pendant la durée du jubilé, à se confesser aussi, s’ils le souhaitaient, aux prêtres de la Fraternité, et à recevoir de ceux-ci une absolution "valide et licite" de leurs péchés
(...)
La différence, par rapport au pape Benoît, c’est que François n’a pas été abreuvé de critiques et de reproches par les partisans de l’œcuménisme professionnels en raison du geste d’ouverture qu’il a accompli.



Cette différence de traitement interpelle. En tout cas, m'interpelle.

Un autre symptôme de ce décalage peut être lu dans la résurgence des affaires de pédophilie dans le clergé. Quand les scandales avaient éclaté, en 2010, Benoît XVI avait été couvert de boue par les médias, NYT en tête, et impliqué personnellement, comme archevêque de Münich d'abord, et même, de façon vraiment stupéfiante, en s'en prenant à son propre frère.
Rien de tel aujourd'hui, notamment en France, où l'Eglise est dans la tourmente, particulièrement dans le diocèse de Lyon, à travers la personne du cardinal Barbarin (avec qui certains semblent régler des comptes); mais je n'ai pas vu la moindre mise en cause du Pape: c'est vraiment "l'Eglise contre François", c'est-à-dire le vilain petit jeu de division que les médias jouent depuis maintenant trois ans.

L'affaire du "luxueux appartement" du cardinal Bertone, le secrétaire d'état de Benoît XVI (affaire trés médiatisée en Italie, juste effleurée chez nous, où il est peu connu) nous met sous les yeux encore un autre symptôme.
C'est le sujet de ce billet de Riccardo Cascioli, sur la Bussola d'aujourd'hui.
Je précise que je n'ai aucune raison de partager (mais pas davantage d'arguments pour les contrer, n'ayant pas suivi l'affaire) les critiques sévères qu'il émet contre le cardinal Bertone. Mais ces critiques renforcent son argumentation, car elles prouvent qu'il n'a pas de parti-pris lié à ses sympathies personnelles.

Il est raisonnable de penser que la personne de Tarcisio Bertone n'est que du "menu fretin" - d'autant plus qu'il s'est retiré - et que ce n'est pas lui qui est visé par cet acharnement.
La question se pose donc une fois de plus: pourquoi cette différence de traitement? Pourquoi cet acharnement contre l'ère Benoît XVI, et cette indulgence pour François?

Bertone, Paglia, et transparence à éclipses


Riccardo Cascioli
3 avril 2016
www.lanuovabq.it
Ma traduction

* * *


Depuis plusieurs jours, l'attention des journaux, radios et télévisions est focalisée sur l'histoire du "luxueux" appartement du cardinal Tarcisio Bertone, ex-secrétaire d'État, dont les travaux de rénovation auraient été payés avec les fonds de l'hôpital pédiatrique Bambino Gésù. Selon ce qui a été affirmé, une enquête formelle du Vatican est en cours pour vérifier d'éventuels délits, mais plus que le contenu des accusations et la responsabilité personnelle de Bertone dans des combinaisons pour le moins inopportunes, il y a au moins deux aspects qui donnent lieu à des questions sur ce qui tourne autour de cette histoire.

Mais tout d'abord, une prémisse est nécessaire: rétrospectivement, il ne fait aucun doute que la nomination de Bertone comme secrétaire d'Etat a été le choix le plus malheureux du pontificat de Benoît XVI, mais pas principalement pour les aspects disons, économiques ou de correction morale. Le Pape Ratzinger, dans son projet de réforme, avait décidé de contourner les diplomates de carrière au profit d'une personne de confiance qui aurait dû aussi mettre le travail diplomatique au service de l'évangélisation. Bertone, qui n'était pas un diplomate, avait été collaborateur de Ratzinger pendant de nombreuses années à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, et il semblait la juste personne pour incarner le projet du pape Benoît XVI. Malheureusement, les choses sont allées différemment, et la faute la plus grave qui puisse être imputée à Bertone est certainement celle d'avoir trahi la tâche évangélisatrice qui lui avait été confiée: que ce soit par incompétence, par ambition personnelle, à cause d'amitiés dangereuses, de mauvais conseillers ou pour toutes ces choses ensemble, le fait est qu'on se souviendra de l'«administratione Bertone» pour des choix incompréhensibles, des gaffes, des conflits avec diverses Conférences épiscopales, des tentations politiques, des scandales, etc..

La situation s'était tellement détériorée et était devenue si embarrassante qu'à plusieurs reprises, différents cardinaux et évêques ont demandé au Pape Benoît XVI de démettre le cardinal Bertone du poste de secrétaire d'Etat. En vain. Puis vint Vatileaks, et le reste est l'histoire récente.

Des ennemis, donc, le cardinal Bertone s'en était fait beaucoup, mais en dépit de cela - et c'est le premier aspect qui semble suspect - il y a quelque chose d'inhabituel dans cet acharnement contre lui. Il n'est pas question de contester la légitimité et la nécessité d'enquêtes là où il y a des motifs, mais toute cette floraison d'enquêtes journalistiques et de documents qui sortent du Vatican et finissent sur les bureaux des journalistes «idoines», pour faire du cardinal Bertone le symbole même de la pourriture au Vatican, fait naître quelque soupçon. A l'évidence, parmi ses nombreux ennemis, il y en a qui ne se contentent pas de le voir désormais hors-jeu, mais veulent le faire payer jusqu'à la dernière goutte. Il serait vraiment intéressant de pouvoir mettre un visage sur ces «justiciers» et comprendre les raisons de tant d'intérêt.

A ces questions - sans réponse pour l'instant - se connecte le second aspect à souligner, qui concerne la narration de l'histoire.
Ces jours-ci dans les médias, la lecture la plus commune relie l'affaire Bertone au processus de réforme de la Curie poursuivi par François. Ainsi, Bertone devient le symbole de l'ancien et du pourri, contre lesquels se bat un pape qui a décidé de faire le ménage. Hier, GR1 (le journal de la radio RAI 1) convoquait même la comparaison historique avec la glasnost soviétique pour expliquer l'oeuvre de transparence en cours, donnant bien sûr comme acquis que jusqu'à il y a peu, l'Église était une grande association de délinquants, et Bertone son prophète. Il s'agit d'un narration en accord avec l'image qu'une certaine partie de l'Eglise et du monde laïc qui détient les principaux organes d'information veulent donner de ce pontificat. Ainsi, dans les bulletins d'information et dans les commentaires des experts habituels, on entend parler avec insistance de «nouvelle Église», l'«Église de Bergoglio» et ainsi de suite, pour creuser un fossé entre le présumé ancien et le présumé nouveau né en mars 2013.

Non seulement cette vision est fausse et idéologique, mais dans l'histoire dont nous parlons, elle serait même contradictoire. En fait, nous ne savons pas si François a vraiment quelque chose à voir avec les enquêtes en cours sur l'appartement du cardinal Bertone, et si ces dernières répondent vraiment à la nécessité de faire le ménage.

Mais il est étrange que personne n'ait remarqué que, pendant qu'on fait la chasse à un ancien secrétaire d'État (qui, par ailleurs, ne l'oublions pas, n'a même pas encore été mis en examen), un évêque responsable de la faillite du diocèse qu'il dirigeait continue de rester paisiblement à la tête d'un dicastère du Vatican.
Nous nous référons bien sûr à Mgr Vincenzo Paglia, depuis juin 2012 Président du Conseil Pontifical pour la famille, qui a laissé au petit diocèse de Terni une dette monstrueuse (on parle de 35 millions d'euros), en plus d'une série de souvenirs, en termes de désinvolture en affaires, pas vraiment édifiants.
Il y aurait évidemment beaucoup à ajouter, mais cela devrait être suffisant pour inciter à la prudence, et déconseiller les charges délicates et prestigieuses pour un évêque depuis longtemps dans le collimateur de la magistrature. Pourtant , il ne se passe rien, et les questions sur cette contradiction (le besoin de transparence s'applique-t-il seulement aux évêques et cardinaux retraités?) sont pour le moment destinées à rester sans réponse.
Mais elles déconseillent sans aucun doute de prendre certaines histoires comme argent comptant.