Un pape qui divise


JH Newman (1801-1890)

Une question qui n'est plus inédite depuis longtemps, et qui est posée à nouveau sur ce blog italien (Libertà e persona): a-t-on le droit de le critiquer? (8/7/2016)

 

Un pape qui divise? Un pape est-il critiquable?


6 Juillet 2016
www.libertaepersona.org
Ma traduction

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La prudence est une vertu chrétienne, et impose de pondérer ses jugements, en particulier s'ils se réfèrent à un pontife. Mais aucun pape n'est, en tant que tel, à l'abri du jugement .
Parce qu'aucun pontife ne jouit d'un pouvoir à lui, autocratique, il est un 'vicaire' (ndt: du latin 'vicarius', suppléant, assistant) auquel est confié un depositum fidei, c'est-à-dire quelque chose qui existe déjà, qui peut être développé et mieux compris, mais jamais changé.
Le bienheureux Cardinal John Henry Newman nous a enseigné, entre autre, l'importance d'écouter sa propre conscience, si elle est correctement formée («je porte d'abord un toast à la conscience, et ensuite au pape») et dans le même temps nous a rappelé, justement en commentant le dogme de l'infaillibilité papale, combien elle est limitée à des actions et des circonstances déterminées.

«Sans aucun doute, il y a des actions des papes auxquelles personne n'aimerait être associé» , écrivait-il, ajoutant que l'Eglise enseignante n'a pas toujours été, dans l'histoire, «l'instrument le plus actif de l'infaillibilité: voir le cas de la crise arienne». Et encore: «Pierre était-il infaillible, quand à Antioche Paul s'opposa ouvertement à lui? Ou saint Victor était-il infaillible quand il sépara de sa communion les Églises d'Asie, ou Libère quand il excommuna saint Athanase? ...».

Avec ces arguments, Newman rappelait qu'il ne disait rien de nouveau, et citait des théologiens éminents comme le cardinal Torquemada, ou saint Bellarmin (cf. benoit-et-moi.fr/2015-I-1/actualites/un-pape-peut-il-etre-heretique).

Pour le premier «si le pape ordonnait quelque chose contre l'Écriture sainte, les articles de foi, la vérité des sacrements, les commandements de la loi naturelle ou divine, il ne doit pas être obéi et on ne doit pas se soucier de ses ordres».
Pour le second «pour résister et pour se défendre, il n'est pas nécessaire d'avoir une autorité ... ainsi de même qu'il est licite de résister au pape s'il assaille une personne, il est également licite de lui résister s'il assaille les âmes ... et d'autant plus s'il tente de détruire l'Église. J'affirme qu'il est licite de lui résister, en ne faisant pas ce qu'il ordonne et en empêchant l'exécution de ses projets» (cit. dans JH Newman, "Lettre au duc de Norfolk").

Enfin Newman rappelait l'importance des laïcs dans l'histoire de l'Eglise, afin de maintenir le navire de Pierre ferme dans les différentes circonstances de l'histoire.

Eh bien, il arrive qu'aujourd'hui, alors qu'il est tellement question des laïcs et leur rôle; alors qu'on fait l'éloge de Luther (qui considérait la papauté comme une institution diabolique à abattre); alors qu'on prêche la décentralisation de Rome; alors qu'on parle à tout bout de champ de collégialité et de synodalité ... il semble que tout débat au sein de l'Eglise soit devenu impossible.

Quiconque ose murmurer ses doutes face à certaines actions
(comme l'éloge fait par François de Napolitano, Bonino et Pannella) ou certaines déclarations doctrinales, devient automatiquement un réprouvé, un schismatique, un ennemi du pape. Luther, Pannella, Scalfari deviennent les amis de l'Eglise et du pape ... et des cardinaux tenus jusqu'à hier en haute estime par les deux papes précédents en deviennent les ennemis. Le courage de parler, désormais, est réservé à quelques laïcs, en l'espèce des vaticanistes comme Tosatti, Valli, Socci, Magister ...

Il n'est pas rare de voir autour de François, comme une garde prétorienne, ceux qui, jusqu'à hier, rabaissaient et combattaient le magistère de Pie XII, Jean-Paul II et Benoît XVI.
Il souffle ainsi sur l'Eglise, comme jamais auparavant, un vent mauvais; un triomphalisme vide; une rhétorique alimentée par les grands quotidiens laïques, ne correspondant à aucun "effet Bergoglio": [il n'y a] pas plus de confessions (qu'avant), pas plus de gens dans les églises, pas plus de vocations ... comme certains thuriféraires ont cherché à nous le faire centendre depuis désormais deux ans.
Seulement une grande confusion, un grand désarroi, face à un pape qui parle beaucoup de politique (Trump, Pannella, affaires argentines, immigration ...), mais jamais quand les lois s'en prennent à la famille et à la vie; qui parle beaucoup sur les pauvres, mais est choyé par les journaux de la riche bourgeoisie; qui accueille les Benigni, Di Caprio, Scalfari ... mais refuse les audiences à des prêtres et des fondateurs qui l'implorent depuis des années ...

Confusion, et division. Alimentées par des choix centralistes; par des nominations décidées en passant par-dessus les Congrégations; par des déclarations souvent très acides, contre les religieuses «vieilles filles», les prêtres mondains, les catholiques «durs de cœur»; par un enseignement, qui, en substance est le suivant: «Dans l'Église tout le monde a tort... sauf moi ... Dans l'Église, j'ai découvert la miséricorde, la tendresse... Avant moi, [il n'y avait] rien». Tant et si bien que certains parlent aujourd'hui non pas d'«Église catholique», ou d'«Eglise du Christ», mais, avec insistance, d'«Église de François»!

Prenons les dernières déclarations du pape dans l'une des innombrables interviews en roue libre, qui réalisent une inflation de sa personne.
Voici la question de l'intervieweur: «Quelle est votre relation avec les ultra-conservateurs de l'Église?».
A cette question, «on pouvait répondre de bien des façons, même diplomatiquement parlant» (cf. Le Pape devrait être plus prudent). On pouvait avant tout rectifier la polémique contenue dans la définition «ultra conservateurs» qui ne fait rien d'autre que diviser l'Église entre les «bons» et «mauvais».

Au lieu de cela, François, a répondu durement: «Ils font leur travail et je fais le mien. Je veux une église ouverte, compréhensive, qui accompagne les familles blessées. Ils disent non à tout. Je continue mon chemin sans regarder sur le côté. Je ne coupe pas de têtes. Je n'ai jamais aimé le faire. Je vous le répète: je refuse le conflit. Les clous, on les élimine en faisant pression vers le haut. Ou on les met au repos, sur le côté, quand arrive l'âge de la retraite» (*).

Qui seraient ces ultra-conservateurs? Il est facile de donner des noms: les cardinaux qui n'ont été d'accord ni avec la méthode (imposée) , ni avec le contenu de certains passages d'Amoris laetitia - les cardinaux Pell, Müller, Caffara Burke ... les Pères synodaux Américains, beaucoup des Pères africains ou de l'Est ... Un chef peut-il parler avec une telle dureté de ses cardinaux, de ceux à qui revient la tâche, de conseiller le pape? Peut-il se moquer d'eux publiquement et les considérer comme de la "vieille ferraille"? Peut-il se définir depuis des mois uniquement comme "évêque de Rome", écrire à Hans Kung qu'on peut remettre en cause le primat pétrinien, planifier des voyages pour rappeler l'homme qui a détruit la papauté et l'Eglise en Europe du Nord, tout en déclarant, quand il veut décider quelque chose contre une majorité (voir au Synode), que tout doit être fait «cum Petro et sub Petro»?

Et ce «ils disent non à tout», à quoi se réfère-t-il?
Ces cardinaux disent non à l'avortement, au divorce, au mariage gay ... et ce faisant, ils ne disent rien de nouveau, rien d'étrange, ils répètent juste ce que l'Église et tous les papes ont toujours enseigné. Sur les dix commandements, 8 contiennent un "non", et l'Eglise a toujours enseigné que ce "non" est, en vérité, un "oui", un "oui" à l'amour vrai.

Pour mesurer la distance entre ce discours et celui de Benoît, on peut souligner deux choses: jamais Benoît n'aurait utilisé des expressions aussi dures envers les cardinaux progressistes qui s'opposaient à lui (et qu'il n'a jamais écartés, comme l'a fait François avec Burke et autres); il n'aurait jamais alimenté la rhétorique laïciste selon laquelle ceux qui défendent la doctrine, les "docteurs de la loi" au cœur dur, seraient des personnes qui «disent non à tout».

C'est justement Benoît qui dans Caritas in veritate, expliquait que ceux qui ne voient dans les "non" de l'Église que de simples interdictions, ne comprenaient pas la morale de l'Evangile. Benoît commençait ainsi:

« Le philosophe allemand [Friedrich Nietzsche] exprimait de la sorte une perception très répandue : l’Église, avec ses commandements et ses interdits, ne nous rend-elle pas amère la plus belle chose de la vie ? N’élève-t-elle pas des panneaux d’interdiction justement là où la joie prévue pour nous par le Créateur nous offre un bonheur qui nous fait goûter par avance quelque chose du Divin?... En est-il vraiment ainsi ?»

Et Jean - Paul II? Evangelium Vitae, Familiaris Consortio etc ... disent des choses différentes de ce que fit François, avec des mots différents.

Si les papes se contredisent, si François déclare publiquement qu'après le Synode sur la famille, des choses ont «changé», des laïcs peuvent-ils s'interroger, discuter, essayer de comprendre, si nécessaire faire des objection?

Ils le peuvent, et ils le doivent.

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NDT
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(*) La version fournie par Radio Vatican en français a été comme d'habitude expurgée , et c'est elle qui donne le ton des médias français. Il faut consulter la presse italienne pour une version plus complète, par ex. des sites insoupçonnables comme www.famigliacristiana.it ou zenit.org (ou encore www.lanuovabq.it)