Un pape relativement catholique


Une critique au vitriol du Pape, par le directeur de la revue culturelle allemande "Cicero", Alexander Kissler (21/6/2016)

 

Interviewé ces jours-ci par Die Tagepost (traduction ici: La limite du supportable), le Professeur Spaemann, évoquant un article d'un autre intellectuel allemand, Alexander Kissler, tout en concédant la justesse des propos, déplorait que sa critique du Pape fût trop irrespectueuse, et manquât trop de nuances pour atteindre vraiment sa cible.

Si ce que le Saint-Père affirme correspond aussi peu à ce que je lis dans les Écritures et qui me vient des Évangiles, ce n'est pas encore une raison suffisante pour parler d'une "rupture", et pas non plus un motif pour faire du Pape un objet de polémique et d'ironie, comme malheureusement l'a fait Alexander Kissler ... En écrivant sur le Pape, Kissler aurait dû modérer le ton, même si le contenu de sa critique est en partie justifié. À cause du ton sarcastique de sa polémique, l'efficacité de son intervention s'est trouvée limitée.


Le statut du Professeur Spaemann, comme théologien catholique allemand prestigieux et surtout ami de Benoît XVI, rend son jugement compréhensible. Réserve mentale ou auto-censure, il peut difficilement en dire plus que ce qu'il a déjà dit.
A l'évidence, Alexander Kissler (qui appartient à une autre génération…) n'a pas les mêmes contraintes, et il n'a rien à perdre, ce qui explique sa liberté de ton.
Selon wikipedia (en anglais) , Cicero est un mensuel culturel allemand fondé en 1984, "de tendance libérale_conservatrice", basé à Berlin, dont le public-cible est constitué par "les intellectuels à la recherche d'une plus large gamme de points de vue sur les sujets politiques".

Quant à Kissler, je n'ai trouvé qu'une notice wikipedia en allemand, dont il ressort qu'il collabore à la revue Vatican Magazin, et qu'il est l'auteur de deux ouvrages sur Benoît XVI (dont il est un admirateur évident), Der deutsche Papst. Benedikt XVI. und seine schwierige Heimat (Le Pape allemand, Benoît XVI, et son difficile pays natal) en 2005, et Papst im Widerspruch. Benedikt XVI. und seine Kirche 2005–2013 (Le Pape dans la contradiction, Benoît XVI et son Eglise, 2005-2013) en 2013.
Dans ce dernier ouvrage, Kissler décrit le Pape émérite comme "un mystique de conviction et un anti-conformiste radical".
Il avait également pris position lors de l'affaire de l'ancien évêque de Limbourg, Franz-PeterTebartz, parlant de "chasse à l'homme", et y voyant "une action concertée des contradicteurs à l'intérieur de l'Eglise, des anticléricaux hors de l'Eglise, et des médias".

Il est également l'auteur de pamphlets, "Dummgeglotzt. Wie das Fernsehen uns verblödet" (Regarder bêtement. Comment la télévision nous rend idiots), "Der aufgeklärte Gott. Wie die Religion zur Vernunft kam" (Le Dieu éclairé. Comment la religion arriva à la raison) et "Keine Toleranz den Intoleranten. Warum der Westen seine Werte verteidigen muss" (Pas de tolérance pour les intolérants. Pourquoi l'Occident doit défendre ses valeurs).

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Pour se faire sa propre opinion, voici l'article en question, dans la traduction d'Isabelle.

 

Un pape relativement catholique


Alexander Kissler
19 mai 2016
www.cicero.de
Traduction d'Isabelle

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Kissler contre-attaque : Le pape François pratique un relativisme verbeux. Sa dernière interview l’a encore une fois mis en lumière. Il fait ainsi du tort à l’Eglise et plonge le monde dans la confusion.


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Peut-être s’agit-il de tout autre chose. Peut-être le pontificat de François est-il effectivement une comédie, comme le perçoivent entre-temps même les observateurs bienveillants. Peut-être un #Popefake a-t-il succédé au #Varoufake et au #Verafake, et peut-être Jan Böhmermann (humoriste allemend, ndt) a-t-il introduit en fraude au Vatican un « stand-up-comedian » d’Argentine. A moins qu’il faille y voir la main de Roberto Benigni ?

Mais non ! Il y a tout à parier qu’il en en va autrement et que les choses sont plus simples. Selon toute apparence, Jorge Mario Bergoglio est un relativiste en tout point aussi ambitieux, verbeux et aussi peu intéressé à la chose catholique que le pape François s’avère l’être de plus en plus.

Au début, c’était drôle. On vit monter sur la scène pontificale un charmeur corpulent qui souhaitait « Bonsoir » ou, tout aussi volontiers, « Bon appétit ». Il avait toujours une plaisanterie à la bouche. Comme nous avons ri, en entendant Bergoglio expliquer qu’il voulait défendre par des coups de poing l’honneur de sa mère ; quand il faisait l’éloge des fessées administrées par les parents ; quand il recommandait aux catholiques de ne pas se reproduire comme des lapins. C’était une musique non conventionnelle, après les considérations finement ciselées de son prédécesseur, le pape théologien anti-relativiste Benoît XVI.


FRANÇOIS COMPARE L’IS AVEC LES DISCIPLES DE JÉSUS
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On avait désormais à sa place quelqu’un qui avait été élu pour être le suprême Faiseur de ponts, qui avouait, sur un ton semi-ironique, être gratifié « de peu de lumières théologiques », qui enfilait à la chaîne des anecdotes populaires de son Argentine natale et avait toujours en réserve une bonne blague, une phrase sans prédicat, puis une question oratoire et un point d’exclamation, suivi d’un autre, puis d’un autre encore : « Cela ne compte pas ! (…) Se respecter ! se respecter ! » Les plaisanteries et les phrases inachevées sont toujours là, mais elles sont devenues usées et blessantes.

Le pontificat menace de nuire à l’Eglise et de plaire à un monde qui demeure sceptique à l’égard de tout ce qui concerne l’Eglise. François heurte de front les catholiques, sans qu’il recrute des croyants parmi les non-catholiques. Les chiffres des défections restent élevés, les contingents de nouveaux prêtres modestes et l’année extraordinaire de la miséricorde proclamée par François n’attire à Rome que peu de monde.

Bergoglio aime donner des interviews ; il aime parler et il aime rire. Les interviews avec le pape étaient, jadis, des exclusivités planétaires ; elles sont devenues monnaie courante pour les journalistes. De cette manière aussi se trouve relativisée la spécificité du ministère. L’interview que François vient de donner au journal français « La Croix », balaie tous les doutes : ce pape n’épargne à sa propre Eglise aucune niaiserie et aucun affront. Avec son maigre savoir, il recherche les applaudissements des tribunes du monde qui n’attendent rien de lui.

De la terreur meurtrière de l’IS et de sa « guerre de conquête », il jette un pont direct vers l’envoi en mission des disciples par Jésus, qui, d’après lui, peut s’interpréter dans le sens « de la même idée de conquête ». L’Eglise comme organisation terroriste potentielle – une bévue ou plus que cela ? Que doivent penser de ce ramassis de contre-vérités les chrétiens qui fuient pour sauver leurs vies devant des musulmans fanatisés ? Se sentent-ils consolés, compris, réconfortés – ou bien cyniquement abandonnés par leur pasteur suprême ? Celui qui rend tout comparable à tout, perd tout appui, sabote sa propre position. Que dit d’une l’Eglise le fait que son chef a du mal à confesser la nécessité du salut apporté par le Christ ?


UN ANTI-CAPITALISME IRRÉFLÉCHI
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L’équivalence établie par François dans « La Croix » entre la croix et le foulard – pièce vestimentaire d’un côté, instrument de supplice et un symbole religieux de l’autre, – comme sa modification relativisante des « racines chrétiennes » de l’Europe en « racines aussi chrétiennes » de l’Europe rendent vide, elles aussi, le discours pontifical. François n’a pas été pour autant plus précis dans la question des racines ; le vague est la marque d’authenticité de tous les bavardages. Conformément à l’adage : « On ne connaît rien de précis ».

Naïve à tout le moins, pour ne pas dire absurde, est la thèse pontificale selon laquelle il y a des guerres « parce qu’il y a des fabricants d’armes ». Comme si on n’avait pas déjà fait la guerre à mains nues et avec des pierres, comme si bidon d’essence, bâton et lance n’avaient pas suffi, presque à eux seuls, pour que soit perpétré le génocide des Hutus sur les Tutsi, etc. L’anti-capitalisme irréfléchi conduit le pape à l’erreur.

Au bavard, tout est égal. Il vit dans une situation donnée et chaque nouvelle situation requiert de nouvelles techniques pour attirer l’attention. Ce qui vient ensuite est emporté par le vent. François se révèle partisan d’une « pure éthique de la situation » (R. Spaemann) C’est à ce titre qu’il a déclenché, lors d’une réunion de religieuses, un débat sur la possibilité, dans l’Eglise catholique romaine, d’admettre des diaconesses. Il s’est montré une nouvelle fois incompétent en théologie et a suggéré, pour suppléer à sa propre ignorance, une commission chargée d’élucider ce qu’il en était des diaconesses « dans les premiers temps de l’Eglise ». Un pape devrait tout de même savoir que cette question a été largement traitée en 2002 par la Commission théologique internationale du Vatican, sous le titre : « Le diaconat: développement et perspectives ». François veut-il imposer sa volonté de réévalution à l’encontre des conclusions d’alors ? Ou bien tout cela n’a-t-il été dit que parce que cela passait bien auprès des religieuses ? Ne le sait-il pas lui-même ?


IL NE VEUT PAS DE COMMÉRAGES – ET POURTANT IL NE CESSE D’EN FAIRE
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Bergoglio connaît ses points faibles, mais ne les maîtrise pas. Une note de tragique l’entoure. Il n’est aucun sujet sur lequel il ait davantage attiré l’attention, dès les premiers jours du pontificat, que la mise en garde contre les bavardages et les commérages. « Combien de commérages y a-t-t-il dans l’Eglise ! Combien pouvons-nous faire de commérages, nous, les chrétiens ! Ces commérages - c’est comme si on s’écorchait l’un l’autre, n’est-ce pas? » (18 mai 2013) ; « les racontars divisent la communauté, les commérages détruisent la communauté. Ce sont les armes du diable » (23 janvier 2014) ; « commérages et ragots sont du terrorisme, car celui qui colporte ragots et commérages est un terroriste qui lance une bombe et s’en va, il détruit : il détruit avec la langue » (4 septembre 2015) ; « et ces commérages tuent !» (21 janvier 2016) ; « nous voulons prier pour la grâce de l’unité de tous les chrétiens (…) et pour la grâce de nous mordre la langue », a dit François le 12 mai 2016 au matin à Sainte-Marthe, avant de se rendre à la réunion avec les congrégations féminines. Tout homme est un abîme.

Il y a un seul cas où François n’est pas relativiste, mais absolu : dans ses réprimandes aux prêtres. Il ne fait pas bon être prêtre sous ce pontificat. Pour les prêtres, l’évêque de Rome a toujours en réserve un bâton devant, un bâton derrière. « Cléricalisme » est sa plus grosse injure, jusque dans l’interview à « La Croix ». Les prêtres, selon la perception qu’en a le pape, sont à peu près des sadiques : parmi eux règnent l’index levé et le geste de menace, le goût du pouvoir et une « salle de torture » potentielle, qui porte le nom le confessionnal. La réalité pastorale, en Occident tout au moins, où domine une confortable pastorale qui est, pour les fidèles, comme une berceuse, ne pourrait être décrite d’une manière plus décalée et plus inadéquate. On ne s’étonnera pas que sur le territoire du Vatican et au sein de la Conférence épiscopale italienne, l’ambiance soit mauvaise, comme elle ne l’a plus été depuis l’époque du Risorgimento. Il n’est presque personne qui ne se sente brusqué ou ne soupire quand de nouvelles surprises jaillissent du régiment des humeurs pontificales.


UN SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L’ONU AVEC UNE CROIX PECTORALE
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La critique que fait Robert Spaemann de la « pure éthique de situation » concerne l’exhortation post-synodale « Amoris laetitia », récemment publiée. Avec ce texte, dit le philosophe allemand, François rompt avec la tradition magistérielle dans les domaines du mariage, de la famille et du divorce. Les conséquences de cette rupture sont prévisibles : « Incertitude et confusion, depuis les conférences épiscopales jusqu’au curé de la plus petite paroisse de la forêt vierge. (..) Le chaos, d’un trait de plume, a été érigé en principe. Le pape aurait dû savoir qu’avec un seul pas comme celui-là, il déchire et conduit au schisme. » Si l’on suit François, toujours selon l’interprétation de Spaemann, la ligne de partage entre comportements « objectivement peccamineux » et « agréables à Dieu » n’est plus absolue. Or, un pape qui rend tout liquide n’est pas un roc.

Le pape, objet de tels reproches, fit, le 24 avril dernier, une apparition comme « invité surprise » à une « manifestation pour la justice sociale et l’environnement » à l’occasion de la « Journée internationale de la Terre », dans le parc de la Villa Borghese ; il y déclara de manière spontanée, liée à ce contexte : « Que l’on soit de « cette religion-ci » ou de « cette religion-là », cela n’a « pas d’importance ! Aller de l’avant tous ensemble pour travailler ensemble. Se respecter, se respecter ! »

Le problème n’est pas que quelqu’un parle comme François le fait, mais bien que ce soit un pape qui parle ainsi. Et que, de ce fait, un pape, à qui rien ne devrait être plus cher que la foi des apôtres, se fonde indistinctement dans le groupe des leaders du monde. Si le « prêtre suprême de l’Eglise universelle » veut être un dalaï-lama de blanc vêtu, un secrétaire général de l’ONU avec une croix pectorale, alors les missions essentielles du pape (faire paître le troupeau, conduire les hommes au Christ) sont réduites à des contingences, à des surplus facultatifs, auxquels, selon les situations, on peut tenir ou non.

Dans ce « core-business » spirituel (le salut des âmes), il ne faut attendre, de François, aucune avancée : persévérance, humilité, fiabilité et transmission de la foi ne l’intéressent guère. Son successeur héritera d’une Eglise spirituellement consumée et insécurisée. Ce tragique survivra au pontificat de l’homme venu du bout du monde.