Ce que je dois à Benoît XVI


Sur Rorate Caeli, le témoignage très touchant d'un jeune prêtre "tradi" de la génération Benoît XVI. Occasion de comparer son pontificat à celui de François, et de rappeler tout ce que l'Europe - en particulier! - a perdu en 2013. (30/3/2016)


Huit ans après cette Semaine Sainte [de 2008] et, maintenant, trois ans après mon ordination, je me demande s'il aurait été aussi facile pour moi de reconnaître ma vocation à la prêtrise si François avait été pape pendant les années de jeunesse de mon discernement. Je suis convaincu que Dieu nous a donné le pape Benoît XVI pour cette raison et pour tant d'autres: il a non seulement versé une lumière de vérité, de clarté et de certitude pour beaucoup de jeunes, y compris moi-même, à suivre au cours de notre temps de discernement, mais il a aussi versé cette lumière sur une société devenue anémique et stagnante.

Dans sa bonté, Dieu nous a donné sept années d'abondance pour que nous puissions nous fortifier et nous renforcer en prévision des années de famine qui ont suivi.


Lutter pour l'âme de l'Europe


Rorate Caeli
29 mars 2016
Ma traduction
(nombreuses notes de bas de page sur la version originale en anglais, permettant de documenter chaque affirmation; je ne les ai pas reproduites ici)

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La tribune suivante a été écrite pour nous par un prêtre diocésain nouvellement ordonné, écrivant sous le nom de 'Monsieur l'Abbé' (en français dans le texte):


UNE CONVERSION
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En 2008, j'étais en dernière année à l'université. Mes vacances de printemps coïncidaient cette année-là avec la Semaine Sainte, me donnant l'occasion idéale pour passer mes vacances à Rome. À cette époque, cela faisait trois ans que j'envisageais et discernais sérieusement une vocation à la prêtrise, et j'avais l'espoir que cette visite à Rome servirait à approfondir ma conviction que Dieu m'appelait à le servir en tant que prêtre.

J'eus la chance, cette semaine-là, d'assister à toutes les liturgies du Triduum Sacré et j'étais dans la basilique Saint-Pierre, le soir de la veillée pascale quand le pape Benoît XVI a baptisé Magdi Allam, un journaliste italien d'origine égyptienne. Allam avait été élevé en tant que musulman, mais très tôt instruit dans des écoles catholiques. À l'âge de vingt ans, il est arrivé en Italie et est devenu de plus en plus critique de l'islam.

Le baptême d'Allam était un rappel des attentes que l'Europe devrait avoir pour ceux qui ont le privilège d'appeler l'Europe leur maison. Vivre en Europe signifie accepter et respecter ses origines chrétiennes et son histoire. Vivre en Europe signifie se débarrasser de la pensée culturelle rétrograde d'une secte religieuse forgée dans un désert au VIIe siècle. Être européen, c'est d'accepter ce qui est toujours ancien et toujours nouveau. Toutes ces considérations étaient implicites en ces célébrations pascales, quand Allam rejeta publiquement ses anciennes croyances et reconnut le Christ et son Eglise comme le véhicule seul et vrai pour le salut.

LE NOUVEAU MANDATUM (rite du lavement des pieds du jeudi saint)
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Le Triduum de 2008 contraste avec celui de la semaine dernière. Cette année, la cérémonie du lavement des pieds du Jeudi Saint (Mandatum), c'était François lavant les pieds d'un groupe de réfugiés catholiques et non-catholiques. En fait, avec un timing impeccable, le pape a lavé les pieds de trois réfugiés musulmans, deux jours seulement après que plus de trente personnes aient été tuées et trois cents blessées dans des attentats-suicides à Bruxelles, une municipalité où le prénom le plus populaire pour les nouveau-nés mâles est Mohammed.

Avant le Carême de cette année, le pape a promulgué un décret modifiant la pratique du Jeudi Saint qui auparavant n'admettait que des hommes au Mandatum. Désormais, le décret expliquait que les pasteurs peuvent «choisir un petit groupe de personnes qui sont représentatives de l'ensemble du peuple de Dieu». Depuis qu'il a été élu à la chaire de Pierre en 2013, chaque année, le pape a lavé les pieds d'hommes et de femmes, catholiques et non-catholiques. Ce qui est en contradiction directe avec la pratique à la dernière Cène. Le Mandatum est un rappel du Christ lavant les pieds de ces douze hommes qui étaient les plus proches de Notre Seigneur, l'ont suivi et ont cru en Lui. Même Judas, qui l'a trahi, a eu les pieds lavés, étant encore à ce moment nominalement compté parmi les Douze.

Bien que ce nouveau décret concernant le Mandatum permette au Pape, en toute bonne conscience, de continuer à laver les pieds des femmes, il parvient encore à désobéir à son propre décret en lavant les pieds de ceux qui ne croient même pas au Christ. En fait, tout en utilisant le plus libéral des termes («Peuple de Dieu») pour décrire ceux qui sont admissibles au Mandatum, même le Concile Vatican II (Lumen Gentium n.9) et le Catéchisme de l'Eglise catholique expliquent clairement que les musulmans ne peuvent pas revendiquer cette appellation: «On devient membre de ce peuple non pas par une naissance physique, mais en étant "né à nouveau", une naissance "par l'eau et l'Esprit", c'est-à-dire par la foi dans le Christ, et le baptême».

Mais pour François ces considérations ne sont rien de plus que sémantiques. «Nous tous ensemble: musulmans, hindous, catholiques, coptes, évangélique [nous sommes] frères, enfants du même Dieu» a-t-il dit en ce jeudi saint. On a raconté que «plusieurs des migrants dont les pieds ont été lavés par le Pape avaient les larmes qui coulaient sur leurs visages». On peut se demander si un tel moment d'émotion a conduit l'un des non-catholiques qui ont eu leurs pieds lavés au cours des trois dernières années à se convertir. Probablement pas. Même si c'était le cas, sur la base des déclarations passées du Pape, on peut se demander si c'est quelque chose qu'il aurait même approuvé.

UNE JUXTAPOSITION RADICALE
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Au cœur de la juxtaposition de la Veillée pascale de 2008 et du Jeudi Saint de cette année, il y a la différence radicale entre les deux approches possibles au problème de l'Islam en Europe. En 2008, Benoît XVI personnifiait une Eglise qui avait confiance en son identité. Pour lui, l'Eglise est la seule force qui peut offrir la transcendance à une Europe laïque: «[L'Eglise] doit d'abord faire de manière décisive ce qui est son essence même , elle doit remplir la tâche sur laquelle son identité est basée: faire connaître Dieu et proclamer son Royaume ». Elle est aussi la seule force suffisament affirmée et confiante pour éclairer l'irrationalité de l'Islam: «l'Islam doit clarifier deux questions en ce qui concerne le dialogue public, les questions relatives à sa relation avec la violence et sa relation avec la raison». Malheureusement, il semble que François ne possède pas la même perspicacité, ou la même acuité intellectuelle quand il s'agit de comprendre les défis auxquels doivent faire face les relations de l'Église avec l'Europe et l'Islam.

Déjà avant son élection à la papauté, Joseph Ratzinger avait une compréhension exceptionnelle de l'Europe et de sa relation à l'Islam. Ayant au cours de sa vie expérimenté l'extrémisme du national-socialisme et du communisme en Europe, Ratzinger savait ce qui était en jeu dans la lutte pour le cœur de l'Europe. L'invasion de l'islamisme est la prochaine bataille que l'Europe doit mener, et Ratzinger a offert une perspective unique sur la façon dont la bataille pourrait être gagnée.

Pour qu'elle puisse survivre, a fait valoir Ratzinger, l'Europe doit reconnaître et valoriser ses origines chrétiennes. C'est seulement dans le Christ et son Eglise que l'Europe peut trouver son identité, et si cette identité est perdue, l'Europe reste vulnérable à l'assaut d'un certain nombre d'idéologies extrémistes. L'Europe ne peut être l'Europe que lorsqu'elle embrasse l'histoire de son art, son passé, sa musique, sa culture: «Le bannissement des racines chrétiennes ne se révèle pas comme l'expression d'une plus grande tolérance. . . mais plutôt comme l'absolutisation d'un mode de pensée et de vie qui est radicalement opposé, entre autres choses, aux autres cultures historiques de l'humanité».
L'Europe ne peut être elle-même qu'en revenant à la religion traditionnelle qui l'a relevée des ruines de l'Empire romain et l'a nourrie tout au long des siècles. C'est l'une des raisons pour lesquelles, en tant que pape, il a tant fait pour encourager et promouvoir la célébration de la messe traditionnelle latine: «Il nous incombe à tous de conserver les richesses qui ont grandi dans la foi et la prière de l'Eglise, et de leur donner leur juste place».

Contrastant avec l'immersion de Ratzinger dans la culture européenne, Jorge Borgoglio a grandi dans l'Argentine péroniste, dans un milieu qui se considérait comme indépendant des intérêts européens, et plus civilisé que le reste de l'Amérique latine. Depuis son élection en 2013, la préférence du pape pour le ministère des «périphéries» et des marginaux a laissé l'Europe sans défense, comme une pensée après coup. Si nous devions examiner les trois premières années de leur pontificats respectifs nous remarquons aussi une différence dans le ton de leurs visites pastorales. Dans ses trois premières années en tant que pape, Benoît XVI a fait cinq visites dans des pays européens en dehors de l'Italie (deux visites pour l'Allemagne et une visite pour la Pologne, l'Espagne et l'Autriche). Dans le même laps de temps, François s'est rendu à Strasbourg (quatre heures) et fait des voyages séparés en Albanie et en Bosnie (qui ne sont ni l'une ni l'autre membres de l'Union européenne).

Chaque fois que François s'aventure vers les périphéries, il laisse la porte vers le monde occidental ouverte et vulnérable aux attaques. Tandis que cela ne le distingue pas des autres dirigeants et des "élites" de l'Union européenne, le Pape devrait mieux savoir, et reprocher aux apparatchiks de l'Europe de mener leurs peuples comme des agneaux à l'abattoir au nom du politiquement correct et du multiculturalisme. Même en 2016, les paroles et les actions du pape ont eu une grande et réelle valeur symbolique dans le monde entier. Une série bien enfilée de platitudes, émises chaque fois que la Tour Eiffel est illuminée dans une combinaison tricolore différente, ne tempère pas l'enthousiasme avec lequel François a fait écho à la politique d'apaisement, d'accomodement, et de capitulation envers les migrants musulmans en Europe.

Moins d'une semaine après l'inauguration de François, le 19 Mars, 2013, Magdi Allam a annoncé qu'il quittait l'Eglise «pour protester contre la mollesse de sa position contre l'islam».
Ce n'est pas par hasard que cet acte a coïncidé avec l'élection de François. «La 'papolâtrie' qui a enflammé l'euphorie pour François et a rapidement archivé Benoît XVI a été la goutte d'eau de trop dans un cadre général d'incertitude et de doutes à propos de l'Eglise», écrivait-il.
Il est toujours triste de voir quelqu'un, en particulier un converti, abandonner l'Eglise, mais la fragilité de sa foi nouvellement découverte est compréhensible, surtout avec l'élection choquante d'un pape qui n'a semé que le chaos, la confusion et le désordre dans ses trois années de pontificat.

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Au moment où la veillée pascale s'achevait, en ce samedi saint de 2008, le métro romain était fermé - ce qui ne m'a pas dérangé, j'étais heureux de marcher le long de la Via Aurelia vers mon hôtel en cette froide soirée de mars. Cela m'a donné beaucoup de temps pour réfléchir à tout ce que j'avais vécu au cours de cette Semaine Sainte, culminant avec la veillée pascale et la conversion d'un journaliste musulman né à la foi du Christ.
Six mois plus tard, j'étais au séminaire, enthousiaste et encouragé par le Pontificat de Benoît XVI, convaincu qu'il était encore possible pour l'Eglise de revivifier un monde occidental fatigué et insipide.

Huit ans après cette Semaine Sainte et, maintenant, trois ans après mon ordination, je me demande s'il aurait été aussi facile pour moi de reconnaître ma vocation à la prêtrise si François avait été pape pendant les années de jeunesse de mon discernement. Heureusement, c'est une pensée sur laquelle je ne m'arrête jamais trop longtemps. Je suis convaincu que Dieu nous a donné le pape Benoît XVI pour cette raison et pour tant d'autres: il a non seulement versé une lumière de vérité, de clarté et de certitude pour beaucoup de jeunes, y compris moi-même, à suivre au cours de notre temps de discernement, mais il a aussi versé cette lumière sur une société qui est devenue anémique et stagnante.

Dans sa bonté, Dieu nous a donné sept années d'abondance pour que nous puissions nous fortifier et nous renforcer en prévision des années de famine qui ont suivi. Nous ne savons pas combien de temps ces années de famine vont durer, mais la force pour ce voyage nous a été donnée. Cette force existe dans le patrimoine que l'Europe et l'Eglise nous ont légué tout au long des siècles. Cette force existe dans les messes que Mozart a écrites et dans la poésie de Dante. Elle existe dans les pièces de Shakespeare et les peintures de Bruegel. On la trouve de Saint Jacques de Compostelle, à l'ouest, jusqu'à la Basilique Saint-Marc à l'est. Mais surtout, on la trouve partout, à chaque fois que la messe traditionnelle est offerte. C'est cette messe qui nous unit à tous ceux qui ont fait face aux mêmes défis et aux mêmes obstacles auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui. C'est cette messe qui sauvera et sanctifiera un monde mourant; et chaque fois que les Paroles de l'Institution sont murmurées et l'Hostie élevée, comme les cloches du sanctuaire sonnent et que nous contemplons avec émerveillement d'innombrables générations, prions et faisons nôtres les antiques paroles: In hoc signo vinces (Dans ce signe tu vaincras).