Gender: le card. Ratzinger voyait clair dès 1984


... (bien que le mot ne fût pas utilisé à l'époque). Dans le livre-interview avec Vittorio Messori "Entretien sur la foi", un chapitre entier, consacré au féminisme radical, en lien avec l'accès des femmes à la prêtrise, abordait la question (11/10/2016)

>>> La suite de ce chapitre se trouve ici: benoit-et-moi.fr/2014-II/benoit/feminisme-au-couvent.html

 

ENTRETIEN SUR LA FOI
Fayard, 2005 (la première édition en français est de 1985)
Ch 7, "Les femmes, une femme"
Pages 107 et suivantes


UN SACERDOCE EN QUESTION

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Le chapitre sur la crise de la morale est, pour le Cardinal, étroitement lié à celui (très actuel aujourd'hui dans l'Église) de la femme et de son rôle.
Le document de la Congrégation pour la doctrine de la foi confirmant le « non » catholique (partagé par toutes les Églises de l'Orthodoxie orientale, et jusqu'à tout récemment par les Anglicans) au sacerdoce des femmes, porte la signature du prédécesseur du Cardinal Ratzinger. Mais celui-ci y a contribué au titre d'expert, et, en réponse à une de mes questions précises, il le définira comme «très bien préparé, même si, comme tous les documents officiels, il présente une certaine sécheresse ; il va droit aux conclusions sans pouvoir motiver chaque pas qui y mène avec toute l'ampleur nécessaire. »
Le Préfet renvoie de toute façon à ce document pour examiner une question qui, à son avis, est souvent mal présentée.
Quand il parle du problème de la femme en général (et de ses répercussions sur l'Église, en particulier sur les religieuses), il me semble déceler chez lui un regret profond : « C'est la femme qui paie le plus durement les conséquences de la confusion et de la superficialité d'une culture, fruit de cerveaux masculins, d'idéologies masculines qui trompent la femme et l'ébranlent en profondeur en prétendant vouloir en réalité la libérer. »
Il dit alors : « A première vue, les requêtes du féminisme radical en faveur d'une égalité totale entre homme et femme semblent fort nobles, en tout cas absolument raisonnables, et il paraît logique que la requête proposant que toutes les professions soient ouvertes à la femme, sans aucune exclusive, se transforme à l'intérieur de l'Église en demande d'accéder aussi au sacerdoce. Aux yeux de beaucoup, cette demande d'ordination, cette possibilité d'avoir des prêtresses catholiques, semble non seulement justifiée, mais inoffensive : une simple adaptation indispensable de l'Église à une nouvelle situation sociale qui s'est manifestée. »

Alors, pourquoi s'obstiner dans le refus ?

« En réalité, ce type d` "émancipation" de la femme n'est pas du tout nouveau. On oublie que dans le monde antique, toutes les religions avaient également des prêtresses. Toutes, sauf une : la religion juive. Le christianisme, là encore à l'exemple "scandaleusement" original de Jésus, ouvre aux femmes une situation nouvelle, il leur accorde une place qui constitue un des éléments de nouveauté par rapport au judaïsme. Mais, de celui-ci, il garde le sacerdoce réservé aux hommes. Évidemment, l'intuition chrétienne a compris que la question n'était pas secondaire, que défendre l'Écriture (qui, ni dans l'Ancien, ni dans le Nouveau Testament, ne connaît de femmes-prêtres) signifiait encore une fois défendre la personne humaine. A commencer bien sûr par celle de sexe féminin. »



CONTRE LA « BANALISATION » DU SEXE
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Il faudrait expliquer davantage la chose, observé-je : il reste à voir dans quelle mesure la Bible et la Tradition qui l'a interprétée entendraient "mettre à l'abri" la femme en l'excluant du sacerdoce.
« Certainement, admet-il, mais il faudrait alors aller au fond de cette requête que formule le féminisme radical - en la tirant de la culture aujourd'hui répandue - de ne pas tenir compte de la spécificité du sexe, rendant interchangeables tous les rôles entre l'homme et la femme. En parlant de la crise de la morale traditionnelle, j'avais fait allusion à une série de ruptures fatales qui sont à la racine de cette crise : par exemple, la rupture entre sexualité et procréation. Détaché de son lien avec la fécondité, le sexe n'apparaît plus comme une caractéristique déterminée, comme une orientation radicale, originelle, de la personne. Homme ? Femme ? Ce sont des questions qui, pour certains, sont désormais "archaïques", dépourvues de sens, voire racistes. La réponse du conformisme courant est prévisible : "Que l'on soit homme ou femme n'a pas beaucoup d'importance, nous sommes tous simplement des personnes humaines." En réalité, cela est grave, même si cela semble de prime abord très beau et généreux : car cela signifie que la sexualité n'est plus considérée comme enracinée dans l'anthropologie, cela signifie que le sexe est perçu comme un simple rôle interchangeable à volonté. »

Et alors ?

« Alors, il s'ensuit logiquement que tout l'être et tout l'agir de la personne humaine sont réduits à une pure fonction, à un simple rôle par exemple, le rôle de "consommateur" ou le rôle de "travailleur" selon les régimes. Quelque chose, en tout cas, qui n'a pas de rapport direct avec la différence de sexe. Ce n'est pas un hasard si, parmi les "luttes de libération" de ces dernières années, il y a eu aussi celle visant à échapper à "l'esclavage de la nature", revendiquant le droit de devenir homme ou femme à son gré, par exemple au moyen de la chirurgie, et exigeant que l'État prenne acte dans ses registres d'état civil de cette volonté autonome de l'individu. A ce propos, il faut retenir le fait que ce prétendu changement de sexe ne modifie en rien le programme génétique de la personne concernée ; ce n'est qu'un artifice extérieur, par quoi non seulement on ne résout pas certains problèmes, mais on ne bâtit que des fictions. Et ce n'est pas un hasard si les législations se sont adaptées promptement à une telle requête.
Si tout n'est que "rôle" déterminé par la culture et l'histoire, et non une spécificité naturelle inscrite en profondeur, même la maternité devient une fonction purement occasionnelle : et, de fait, certains cercles féministes considèrent comme "injuste" que seule la femme soit contrainte d'accoucher et d'allaiter. Et la science - pas seulement la loi - accourt en renfort : en transformant un homme en femme et vice versa, comme on l'a déjà vu, ou en détachant la fécondité de la sexualité, dans le but de faire procréer à volonté au moyen de manipulations techniques. Ne sommes-nous pas tous égaux ? Donc, si nécessaire, on combat aussi contre l"'inégalité" de la nature. Or, on ne combat pas la nature sans en subir les conséquences les plus dévastatrices. La sacro-sainte égalité entre homme et femme n'exclut pas, mais exige au contraire la diversité. »


A LA DÉFENSE DE LA NATURE
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Du thème général, passons à ce qui nous intéresse davantage. Qu'arrive-t-il quand ces orientations entrent dans la dimension religieuse chrétienne ?
« Il arrive que l'interchangeabilité des sexes perçus comme de simples "rôles" davantage déterminés par l'histoire que par la nature, que le nivellement de la masculinité et de la féminité s'étendent à l'idée même de Dieu, et, de là, se propagent à toute la réalité religieuse. »

Pourtant, il semblait vraiment soutenable, même pour un catholique (un Pape l'a récemment rappelé), que Dieu est au-delà des catégories de sa Création, et donc qu'il est autant Père que Mère.

« En effet, répond-il. Ceci est correct si nous nous plaçons d'un point de vue philosophique et abstrait. Mais le christianisme n'est pas une spéculation philosophique, il n'est pas une construction de notre esprit. Le christianisme n'est pas "de nous", c'est une révélation, c'est un message qui nous a été confié en dépôt et que nous n'avons pas le droit de reconstruire selon notre bon plaisir. Par conséquent, nous ne sommes pas autorisés à transformer le Notre Père en un Notre Mère : le symbolisme utilisé par Jésus est irréversible, il est fondé sur la relation même entre l'homme et Dieu, qu'Il est venu nous révéler. Il nous est encore moins permis de remplacer le Christ par quelque autre figure. Mais ce que le féminisme radical - parfois même celui qui se réclame du christianisme - n'est pas prêt à accepter, c'est précisément cela : le caractère exemplaire, universel, non modifiable de la relation entre le Christ et le Père. »

Si les positions sont tellement contradictoires, le dialogue semble sans issue ?

« Je suis effectivement convaincu que ce à quoi mène le féminisme dans sa forme radicale n'est plus le christianisme que nous connaissons, mais une religion différente. Et je suis tout autant convaincu (nous commençons à percevoir les raisons profondes de la position de la Bible) que l'Église catholique et les Églises orientales, en défendant leur foi et leur conception du sacerdoce, défendent en réalité aussi bien les hommes que les femmes dans leur totalité, dans leur distinction irréversible comme homme et comme femme, et donc dans leur identité irréductible à une simple fonction, à un simple rôle.»
« D'ailleurs, poursuit-il, ce que je ne me lasse pas de répéter vaut encore ici : pour l'Église, le langage de la nature (dans le cas présent, deux sexes complémentaires et en même temps bien distincts) est aussi le langage de la morale (homme et femme appelés à des destins également nobles, tous deux éternels, mais en même temps différents). C'est au nom de la nature - on sait que la tradition protestante, et à sa suite les Lumières, se méfièrent en revanche de ce concept - que l'Église élève la voix contre la tentation de prédéterminer les personnes et leur destin selon de purs projets humains, de leur ôter leur caractère individuel et par conséquent leur dignité. Respecter la biologie, c'est respecter Dieu lui-même et, partant, sauvegarder ses créatures. »

Fruit lui aussi, pour Ratzinger, « de l'Occident opulent et de son establishment intellectuel, le féminisme radical proclame une libération, c'est-à-dire un salut différent du salut chrétien, voire opposé à lui ». Et il avertit : « Il appartient aux hommes et surtout aux femmes qui font l'expérience des fruits de ce supposé salut post-chrétien de se demander de façon réaliste si ce salut signifie vraiment davantage de bonheur, un meilleur équilibre, une synthèse vitale plus riche que celle qui a été abandonnée après avoir été jugée dépassée. »

Donc, dis-je, à votre avis, les apparences seraient trompeuses : plus que bénéficiaires, les femmes seraient victimes de cette "révolution" en cours ?

« Oui, insiste-t-il, c'est la femme qui paie le plus lourd tribut. Maternité et virginité (les deux plus hautes valeurs dans lesquelles elle réalisait sa vocation la plus profonde) sont devenues opposées aux valeurs dominantes. La femme, créatrice par excellence, donnant la vie, ne "produit" cependant pas au sens technique qui est le seul à être valorisé par une société plus masculine que jamais dans son culte de l'efficacité. On la convainc donc qu'on veut la "libérer", l"`émanciper" en l'amenant à se masculiniser, en la, rendant ainsi homogène à la culture de production, en la faisant entrer sous le contrôle de la société masculine des techniciens, des vendeurs, des politiciens qui cherchent profit et pouvoir, organisant tout, vendant tout, instrumentalisant tout à leurs fins. En affirmant que la spécificité sexuelle est en réalité secondaire (et en niant ainsi le corps lui-même comme incarnation de l'Esprit dans un être sexué), la femme est dépossédée non seulement de la maternité, mais aussi du libre choix de la virginité ; et, pourtant, de même que l'homme ne peut sans elle procréer, de même il ne peut être vierge sinon en "imitant" la femme. Par cette voie aussi, celle-ci avait pour l'autre part de l'humanité une très haute valeur de "signe", d"`exemple". »