Joseph Ratzinger progressiste?


C'est l'une des questions, entre autre, éclaircies dans cette recension des "Dernières conversations" de Benoît XVI sur le site <Campari & de Maistre>. (21/9/2016)

>>> Ci-contre
Joseph de Maistre (1753-1821), l'un des maîtres de la pensée contre-révolutionnaire

 

Dans "Dernières Conversations", Peter Seewald interroge au moins à deux reprises Benoît XVI sur son orientation théologique:

page 100:
- Nous étions progressistes. Nous voulions renouveler entièrement la théologie, et donner à l'Eglise une forme plus nouvelle, plus vivante. (..) Nous voulions faire avancer l'Eglise, nous étions convaincus qu'il serait ainsi possible de la rajeunir.

page 154
- A quel camp apparteniez-vous alors, au camp progressiste?
- Je dirais que oui. A l'époque, cependant, être progressiste ne s'inscrivait pas dans une rupture avec la foi, on cherchait à mieux la comprendre, à mieux la vivre, en se rattachant aux origines.


C'est un des aspects (par le seul) du livre, abordé ici par l'un des contributeurs du blog <Campari & de Maistre>. Et la précision apportée, en plus de celle du Saint-Père en personne, est importante, car elle éclaire un malentendu sémantique. En fait, le "progressisme" de Joseph Ratzinger a déjà fait couler des fleuves d'encre: des progressistes, justement, qui, après l'avoir chargé de tous les péchés, aujourd'hui qu'il s'est retiré, sont prêts à tout lui pardonner, et exultent "au fond, il est des nôtres"; et certains conservateurs, pour des raisons opposés, "nous le savions bien!".

Mais tout dépend évidemment du sens que l'on veut donner au mot.

"Dernières Conversations": quelques pistes de réflexion

Francesco Filipazzi
www.campariedemaistre.com
19 septembre 2016
Ma traduction

* * *

Le livre "Dernières Conversations", le long entretien avec Benoît XVI qui vient de sortir sous la signature de Peter Seewald, a enflammé le débat dans le monde catholique, à propos de ce qui y serait écrit sur les motivations de la démission du pape allemand. En réalité, en dehors de quelques tentatives spasmodiques de rechercher entre les lignes des messages codés, sur les sujets les plus chauds qui ces dernières années empêchent les catholiques de dormir, il n'y a pas grand chose d'écrit et, à cet égard, il était prévisible que le livre ne contiendrait pas de coups de théâtre. Mais on peut trouver des éléments intéressants, particulièrement sur la personne de Joseph Ratzinger .

Le livre raconte l'histoire d'un jeune prêtre qui, après le séminaire, choisit la voie de l'enseignement, totalement ignorant de ce que la vie allait lui réserver, mais toujours prêt à obéir aux appels qui lui venaient d'en haut. L'intelligence brillante et la méthode avec laquelle il s'y appliqua, amenèrent le théologien à devenir très vite une sorte de célébrité dans le monde universitaire allemand et la nouveauté du langage Ratzingérien l'amena bientôt à être considéré comme un «progressiste». Mais l'adjectif, pour ceux qui connaissent ses écrits et à la lumière de ce qu'a dit Benoît en rappelant sa vie, n'apparaît pas exact. Un point central du livre est probablement cette distinction qui, si on ne la prend pas en compte, risque d'induire en erreur dans l'évaluation de l'homme et du prêtre. Le progressisme du jeune Ratzinger est en effet une méthode d'exposition rénouvelée, une nouvelle approche de la théologie, une langage du XXe siècle appliqué à la doctrine de toujours. Ce n'est pas le progressisme délétère de ceux qui veulent aujourd'hui encore veulent nier la vérité de la foi et relire le catholicisme dans une perspective mondaine.

L'approche théologique nouvelle fut portée par Ratzinger au Concile Vatican II et a d'abord été explosive, mais elle céda bientôt la place à ceux qui, avec l'excuse d'un nouveau langage cherchaient vraiment à faire de l'Eglise une structure vidée et «moderne» au sens strict du terme. L'opération moderniste a échoué, mais les graines du mal ont été plantées.

Ratzinger lui-même admet s'être interrogé peu après, avec ses interlocuteurs, sur l'issue du Concile. Déjà en 1966, il dénonça la mauvaise tournure des événements. Même dans le domaine liturgique, le futur pape n'était pas accord avec la mise à la retraite anticipée de l'ancienne liturgie, considérant qu'un rite millénaire ne pouvait pas être liquidé en si peu de temps. C'est justement pour reconstruire un lien qu'il considérait comme brisé, qu'il écrivit durantt son pontificat, le Motu Proprio "Summorum Pontificum".

Les critiques et les réflexions post-conciliaires valurent au professeur Ratzinger beaucoup de tourments, au point que son ami Küng commença à le détester et le déteste encore.

Ratzinger, cependant, n'était pas seulement un théologien de renom. Son activité de professeur l'amena à être en contact avec de nombreux étudiants dont il prenait également soin de l'âme. Un aspect peu connu de l'histoire de Benoît est sa relation avec les jeunes, dont il semble avoir été très aimé et recherché. À un degré différent, mais un peu similaire, un autre grand «pasteurs» de jeunes fut Karol Wojitila et ce n'est pas un hasard si tous deux au cours de leurs pontificats ont su toucher la corde des coeurs des jeunes et des enfants du monde entier.

En dehors de ces aspects, il n'y a pas grand chose dans le livre, et ceux qui ont déjà eu l'occasion de lire son autobiographie pourront reparcourir brièvement la vie et l'œuvres de Joseph Ratzinger, dont le rôle historique et spirituel sera probablement clair dans les années à venir.

Joseph de Maistre a écrit que l'Ordre, après la révolution, ne pourra pas être identique à celui pré-révolutionnaire. Cette révolution - écrit le comte - ne peut pas se terminer avec un retour à l'ancien état de choses, qui semble impossible, mais avec la correction de l'état dans lequel nous sommes tombés». Cela signifie qu'on ne peut pas reculer les aiguilles de l'horloge, mais que quelque chose de nouveau naîtra sous le signe de la tradition chrétienne millénaire, lavée des hérésies d'aujourd'hui.
Qu'on me permette un jugement tout à fait personnel, la «correction» se basera sur les écrits d'un doux théologien allemand qui est devenu pape par accident. Joseph Ratzinger a fourni les fondements pour permettre aux nouvelles générations de reconstruire l'Église. Dans les années à venir, ce sera évident.