La splendeur de la paix de saint François


Reprise. Un texte écrit par le Cardinal Ratzinger en janvier 2002, après "Assise III", pour la revue 30 Giorni. Ma traduction exclusive (19/9/2016)

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Assise contre Gênes




J'ai publié ce texte en janvier 2011, au moment précis où la Salle de presse du Saint-Siège venait d'annoncer la visite que Benoît XVI devait faire
à Assise le 27 octobre suivant, 25e anniversaire de celle "historique" et controversée de Jean Paul II en 1986.

Voici ce que j'écrivais alors:

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Lorsqu'on parle d'Assise et de ses "excès", et qu'on souligne la désapprobation du Cardinal Ratzinger, on oublie généralement que Jean-Paul II s'est rendu trois fois à Assise: en 1986, certes, mais aussi en 1993, et en janvier 2002, après le 11 septembre.
La dernière fois, le cardinal Ratzinger était du voyage. Dans "Il Foglio" daté du 14 janvier 2011, Paolo Rodari raconte cette anecdote: "Le nom du préfet de la CDF ne figurait pas dans la liste des participants diffusée la veille par la salle de presse, et pas davantage dans celle publiée le lendemain de l'évènement par l'OR. La veille au soir, un coup de téléphone de Mgr Dziwisz lui avait exprimé le désir du Pape de l'avoir à ses côtés".

Il a fait peu de temps après le récit de son expérience pour le magazine 30 Giorni.
Je n'ai pas trouvé de version française.

Voici donc ma traduction.

La splendeur de la paix de François


Cardinal Joseph Ratzinger
Janvier 2002
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Le jeudi 24 Janvier, quand, sous un ciel lourd de pluie, le train qui devait amener à Assise les représentants d'un grand nombre d'églises chrétiennes et communautés ecclésiales ainsi que des représentants de nombreuses religions du monde pour témoigner et prier pour la paix, s'est mis en route, ce train m'a paru comme un symbole de notre pèlerinage dans l'histoire. Ne sommes-nous pas, en effet, tous passagers sur le même train? Le fait que le train ait choisi comme destination la paix et la justice, la réconciliation des peuples et des religions, n'est-il pas une grande ambition et, en même temps, un splendide signe d'espérance?

Partout, en traversant les gares, une foule nombreuse était accourue pour saluer les pèlerins de la paix. Dans les rues d'Assise et dans la grande tente, lieu du témoignage commun, nous avons de nouveau été entourés par l'enthousiasme et la joie pleine de gratitude, en particulier d'un groupe important de jeunes. Le salut des gens s'adressait principalement au vieil homme vêtu de blanc qui était dans le train. Hommes et femmes qui trop souvent dans la vie quotidienne s'affrontent l'un l'autre avec hostilité et semblent séparés par des barrières insurmontables, saluaient le pape, qui, par la force de sa personnalité, la profondeur de sa foi, la passion qui en dérive pour la paix et la réconciliation, a comme "tiré" l'impossible, par le charisme de son office: réunir dans un pèlerinage pour la paix des représentants de la chrétienté divisée et des représentants de diverses religions. Mais les applaudissements, adressés d'abord au pape, exprimaient aussi un consensus spontané de tous ceux qui comme lui cherchent la paix et la justice, et c'était un signe du désir profond de paix éprouvé par les individus devant les dévastation qui nous entourent, causées par la haine et la violence.
Même si parfois la haine peut sembler invincible et se multiplie sans trêve dans la spirale de la violence, ici, pendant un moment, on a pu percevoir la présence de la force de Dieu, de la force de la paix. Il m'est venu à l'esprit les paroles du psaume: "Avec mon Dieu, je peux escalader les murs" ( Ps. 18, 30). Dieu ne nous dresse jamais les uns contre les autres, mais au contraire Lui qui est Un, qui est le Père de tous, il nous a aidés, au moins pour un moment, à escalader les murs qui nous séparent, nous faisant reconnaître qu'il est la paix et que nous ne pouvons être près de Dieu, si nous sommes loin de la paix.

Dans son discours, le Pape a cité une autre pierre angulaire de la Bible, les paroles de l'Épître aux Éphésiens: "Le Christ est notre paix. Il a fait des deux un seul peuple, détruisant le mur qui les séparait, l'inimitié »( Ep 2, 14). Paix et justice sont les noms du Christ dans le Nouveau Testament (pour "le Christ, notre justice", voir par exemple 1 Co 1, 30). En tant que chrétiens nous ne devons pas cacher cette conviction: de la part du Pape et du Patriarche œcuménique, la confession du Christ notre paix, a été claire et solennelle. Mais précisément pour cette raison, il y a quelque chose qui nous unit par-delà les frontières: le pèlerinage pour la paix et de justice. Les paroles que le chrétien doit dire à celui qui se met en chemin vers ces objectifs sont les mêmes utilisées par le Seigneur en réponse au scribe qui avait reconnu dans le double commandement qui nous appelle à l'amour de Dieu et du prochain la synthèse du message de l'Ancien Testament: «Tu n'es pas loin du royaume de Dieu »( Mc 12, 34).
Pour une juste compréhension de l'événement d'Assise, il est important de considérer qu'il ne s'est pas agi d'une auto-représentation de religions qui seraient interchangeables entre elles. Il ne s'agissait d'affirmer une égalité des religions, qui n'existe pas. Assise a été plutôt l'expression d'un chemin, d'une recherche, du pèlerinage pour la paix qui ne l'est que si elle est unie à la justice. En fait, là où manque la justice, où les individus sont privés de leurs droits, l'absence de guerre peut être seulement un voile derrière lequel se cachent l'injustice et l'oppression.

Avec leur témoignage en faveur de la paix, avec leur engagement pour la paix dans la justice, les représentants des religions ont entrepris dans la limite de leurs possibilités, un voyage qui doit être pour tous un chemin de purification.
Cela vaut également pour nous chrétiens. Nous n'atteignons le Christ que si nous sommes vraiment arrivés à sa paix et à sa justice. Assise, la ville de Saint-François, peut-être le meilleur interprète de cette pensée. Même avant sa conversion, François était un chrétien, tout comme ses compatriotes. Et l'armée victorieuse de Pérouse, qui le jeta en prison était composée de chrétiens. C'est alors seulement, battu, emprisonné, souffrant, qu'il commença à penser au christianisme de façon nouvelle. Et c'est seulement après cette expérience, qu'il a pu entendre et comprendre la voix du Crucifié qui lui parlait dans la petite église en ruines de San Damiano laquelle, pour cette raison, est devenue l'image même de l'Eglise de son temps, profondément détériorée et en décomposition. Seulement alors, il vit combien la nudité du Crucifié, sa pauvreté et son humiliation extrême, contrastaient avec le luxe et la violence qui auparavant lui avaient paru normaux. Et c'est seulement alors qu'il connut vraiment le Christ et qu'il comprit aussi que les croisades ne sont pas la bonne façon de défendre les droits des chrétiens en Terre Sainte, mais qu'il fallait prendre à la lettre le message d'imitation du Crucifié.

De cet homme, de François, qui a pleinement répondu à l'appel du Christ crucifié, émane encore la splendeur d'une paix qui a convaincu le sultan et qui peut vraiment abattre les murs. Si nous, chrétiens, nous entreprenons le chemin de la paix en suivant l'exemple de saint François, nous ne devons pas craindre de perdre notre identité: c'est justement alors que nous la trouvons. Et si d'autres nous rejoignent dans la recherche de la paix et de la justice, ni eux ni nous n'avons à craindre que la vérité puisse être piétinée par de belles phrases. Non, si nous nous dirigeons sérieusement vers la paix, alors nous sommes sur le juste chemin, parce que nous sommes sur le chemin du Dieu de la paix (Rom 15, 32) dont le visage s'est rendu visible pour nous chrétiens par la foi dans le Christ.