La théologie de Joseph Ratzinger


vue par un théologien orthodoxe, Ioannis Kourempeles, l'un des deux lauréats du prix Ratzinger 2016. Interview par le Père Lombardi (28/11/2016)

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Remise du Prix Ratzinger 2016

 

Le Père Lombardi s'entretient avec Ioannis Kourempeles


www.fondazioneratzinger.va
23/11/16
Ma traduction

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A l'approche de la cérémonie de remise du Prix Ratzinger, le père Federico Lombardi, président de la Fondation vaticane Joseph Ratzinger-Benoît XVI, a posé quelques questions à l'un des lauréats, le Professeur Ioannis Kourempeles



- Professeur Kourempeles, dans quelques jours, on vous remettra le «Prix Ratzinger», une reconnaissance importante dans le milieu de la recherche théologique. Pouvez-vous décrire brièvement les thèmes et les grandes lignes de vos activités dans le domaine de la théologie?
- Actuellement j'enseigne la «Théologie dogmatique et symbolique» à la Faculté de théologie de l'Université «Aristote» de Thessalonique. Par «théologie symbolique», on entend la théologie concernant les affirmations doctrinales de l'Eglise de type dogmatique, donc tous les symboles et les sources de la foi. Dans le domaine de la «théologie symbolique» je m'occupe non seulement de la réalité dogmatique de la spiritualité orthodoxe, mais aussi des points communs et des différences qui, dans le cadre des expressions dogmatiques, en Orient et en Occident chrétien ont émergé à travers l'histoire. C'est seulement à travers une compréhension profonde de la théologie elle-même, de la doctrine de la continuité ecclésiale que peuvent être discutés les différents courants théologiques à travers l'histoire, et dans les temps plus récents. En ce sens, je considère mon activité - en particulier celle à l'université - comme celle d'un chercheur académique et d'un professeur qui, concernant les étudiants et les chercheurs, laisse ouverte la porte de la compréhension théologico-scientifique qui introduit à son arrière-plan ontologique.

- Vous avez approfondi depuis longtemps la pensée théologique de Joseph Ratzinger. Pouvez-vous nous expliquer quels sont les aspects et les thèmes de la pensée de Ratzinger qui vous ont le plus profondément impressionné et que vous avez trouvé les plus stimulants pour votre travail?
- J'ai prêté attention à la théologie de Joseph Ratzinger depuis mes années d'études à Heidelberg. Plus tard, à mon retour en Grèce, j'ai eu la possibilité d'approfondir sa réflexion théologique à travers l'étude de plusieurs de ses œuvres.
Puis j'ai repris à nouveau contact avec la théologie de Joseph Ratzinger quand j'ai été nommé professeur de la Faculté de théologie à l'Université «Aristote» de Thessalonique, en Novembre 2001. En fait, plusieurs séminaires que j'ai dirigés m'ont permis de rentrer en contact avec la théologie de Joseph Ratzinger, d'approfondir sa pensée théologique: comme par exemple le séminaire sur «Ecclésiologie et dialogue» qui mettait au centre la déclaration "Dominus Iesus" signée en 2000 par le préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, Joseph Ratzinger, en même temps que d'autres documents relatifs aux courants théologiques du XXe siècle. Une occasion particulièrement propice de me confronter avec sa théologie se présenta quand le Dr Stefanos Athanasiou, assistant scientifique à la Faculté de théologie de l'Université de Berne, dans son travail de conclusion d'un 'master' traita le thème «La christologie de Joseph Ratzinger». A cette époque, je m'occupais intensément des travaux théologiques de Joseph Ratzinger, et maintenant se présentait à moi l'occasion de faire dialoguer profondément l'expression christologique de sa théologie avec mes propres connaissances historico-dogmatiques. A cette époque, je fus particulièrement impressionné par son «Discours de Ratisbonne» qui est un hymne au Dieu-Logos et un chant aux capacités de notre logos humain dès que nous nous ouvrons au Dieu-Logos qui aime. J'ai trouvé profondément regrettable la façon injuste dont ce discours a été traité et même la critique, souvent peu théologique, de cette expression de la théologie de Joseph Ratzinger que les médias ont tenté de présenter sans considérer de critères théologiques. Je considérai celle-ci comme une autre, grande opportunité de construire des ponts, au moyen de la christologie de Joseph Ratzinger, entre la théologie occidentale et celle occidentale, parce que la théologie du logos de Ratzinger est indissolublement liée à la recherche de la vérité du dogme de Chalcédoine. De cette façon, on pourrait le qualifier de néo-chalcédonien qui présente l'oecuménicité de la condition chrétienne en l'insérant dans un débat théologique authentique. Sur ce point, à l'époque j'ai écrit un ample essai, paru entre autre, en grec (contenu dans mon livre Logos der Theologie, vol. 1) dans lequel j'approfondissais cette position.

- Nous savons que ces dernières années, vous avez participé à une importante rencontre du «Neuer Ratzinger Schuelerkreis», c'est-à-dire le nouveau Cercle d'universitaires et de chercheurs qui s'est constitué autour de l'intérêt commun pour l'oeuvre de Joseph Ratzinger. Pouvez-vous nous dire si vous cultivez, ou si vous prévoyez de cultiver de nouvelles recherches - personnelles ou en collaboration avec d'autres chercheurs - qui sont inspirées ou enrichies par la pensée de Joseph Ratzinger?
- J'ai un très beau souvenir de la rencontre avec le «Neuer Ratzinger Schülerkreis» au cours de laquelle j'ai eu l'occasion de travailler avec les théologiens qui en sont membres. Notre rencontre au Séminaire théologique sur l'île de Halki, mais aussi celle au Phanar, au Patriarcat œcuménique de Constantinople avec le Patriarche œcuménique de Constantinople Bartholomée - se sont avérées être des rencontres d'extraordinaire valeur scientifique à tous égards. Le fait d'avoir eu la grande opportunité d'écouter la réplique positive du très "pointu" cardinal Kurt Koch à mon discours, a une grande signification pour moi
J'ai profondément goûté le débat avec les théologiens et les théologiennes du «Neuer Schülerkreis» présents, tous unis par un très haut niveau scientifique qu'ils expriment à la fois dans la recherche et dans le dialogue théologique. Le «Neuer Schülerkreis» possède une dynamique orientée vers l'avenir qui peut grandement contribuer au dialogue théologique. Je considère particulièrement important du fait que le «Neuer Schülerkreis» compte également parmi ses membres deux théologiens orthodoxes, parce que cela, entre autres choses, reflète l'animus de l'oeuvre théologique de Joseph Ratzinger et sa nature dialogique particulière. Les discussions dogmatico-théologiques qui se déroulent dans l'amitié, mais aussi dans la transparence et l'acceptation mutuelle, sont un exemple de vrai dialogue qui doit se développer sur le plan de la théologie scientifique (et de la science théologique), mais aussi sur celui des rapports humains.
Un des théologiens orthodoxes du «Schülerkreis» est le Dr Stefanos Athanasiou. J'étais le rapporteur de sa thèse de doctorat. Aujourd'hui, avec moi, il est responsable d'un projet qu'il a l'intention de présenter comme travail post-doctoral à la Faculté de théologie de Thessalonique. Le thème du travail est: La critique du relativisme chez Joseph Ratzinger. C'est un projet qui me donne encore une fois la possibilité de rester en contact avec la théologie de Ratzinger. Mais au-delà de cela, je suis très curieux de voir quels autres projets vont se développer à l'avenir concernant sa théologie. En ce sens, je suis tout à fait ouvert et disponible à tout type de coopération théologique, afin que la musique du «Mozart de la théologie» ne soit pas entendues seulement dans des salles fermées, parce que c'est une théologie qui célèbre la liturgie de l'écoute comme participation à la "Theo-logia" toujours vivante.

- Joseph Ratzinger a toujours nourri sa réflexion avec une connaissance profonde de la pensée des Pères de l'Église. Même ses homélies et ses catéchèses pour le peuple ont grandement contribué à la diffusion de la connaissance des Pères parmi les fidèles. Pensez-vous que cela soit une des raisons de l'intérêt pour la théologie Ratzinger de la part des Orientaux, qui ont toujours eu une très grande appréciation pour les Pères?
- Je pense en tout cas que cela a un poids. Ratzinger, avec son amour pour les Pères grecs en particulier, a souvent utilisé un langage qui est très familier aux cercles théologiques orthodoxes. Mais on ne doit pas oublier que, grâce à ses «contacts orthodoxes» présents depuis l'époque de l'Université, il a souvent eu l'occasion de se confronter à des théologiens orthodoxes sur la théologie des Pères et d'intégrer les différentes perspectives des axiomes des Pères dans sa critique des courants théologiques d'aujourd'hui.
Ratzinger, donc, a souligné l'importance de la théologie des Pères pour notre temps; et cela à un moment où dans le monde idéologique grec, il y a une "théologie" sans nerf, qui a en particulier essayé d'exercer une influence relativiste et, sans succès, de propager une théologie post-patristique sans véritables arguments théologiques.
Je crois que la théologie des Pères de l'Église représente aujourd'hui la source de la théologie actuelle et de notre riche patrimoine chrétien. Elle montre la vie des saints à l'intérieur de la vie du Christ, comme authentique exemple du 'vivre' dans l'amour de Dieu, et non pas dans le pseudo-amour de l'homme relativisant et divisé. Sur ce point, j'ai trouvé en Ratzinger/Benoît XVI un allié de spiritualité chrétienne, qui se distancie de la théologie dé-spiritualisation d'une postmodernité qui n'est qu'en apparence progressiste, une théologie qui ne saisit pas «l'unique vraie révolution» du 'devenir' un homme de Dieu et la signification sotériologique [relatif à la doctrine du salut] de celle-ci dans l'ordre humain dans son ensemble; négligeant ainsi la véritable œcuménicité et son ontologie.
Nous, tant en Occident qu'en Orient, nous devrions reconnaître et saisir théologiquement «l'opportunité Ratzinger». Je pense que le théologien Joseph Ratzinger a trouvé le nerf principal de la théologie; mais pas pour le blesser, plutôt pour le protéger, comme un élément significatif pour les temps modernes. Ainsi, les jeunes générations, les amoureux de la théologie, trouveront un lieu et un espace pour le débat théologique, dans lesquels ils ne se laisseront pas marquer de façon pessimiste par une limitation de la théologie dans les temps modernes.