L'interview censurée


Pourquoi l'interview de Benoît XVI par un théologien jésuite rencontre-t-elle aussi peu d'écho - du moins en France? (18/3/2016)

>>> Voir aussi:
¤ Benoît en soutien de François?
¤ L'interview de Benoît XVI par le P. Servais

 

L'interview censurée


On m'autorisera ici, sous forme de questions, quelques remarques personnelles.

Je m'attendais (naïvement) à ce que le long entretien de Benoît XVI avec un théologien jésuite soit considérée comme un grand évènement, et fasse les titres non pas de la 'grande' presse, mais au moins des blogs catholiques. Bref, après m'être ruée sur le texte pour le traduire afin de permettre aux gens de savoir de quoi il était question sans passer par le filtre déformant des médias, je m'attendais à être confrontée dès le lendemain au débat cornélien du choix parmi une masse de commentaires.
Or, il n'en a rien été.
L'écho a été plutôt maigre, en particulier en France, et ceux qui en ont parlé, quand ils n'ont pas souligné, comme La Croix, la "parfaite syntonie avec son successeur" (c'était prévisible, et c'était probablement le but recherché par ceux qui ont décidé de publier l'interview juste MAINTENANT) l'ont fait souvent de manière étonamment critique.
Que ce soit du côté "conservateur non-conciliaire" (Christopher Ferrara, The Remnant), où l'on en finit pas de régler des comptes avec lui, en l'accusant d'être un "moderniste", et où l'on prétend savoir plus de théologie que lui (!!) ou "conservateur (ex-)ratzingérien", où, quand on ne l'ignore pas purement et simplement, on l'accuse plus ou moins ouvertement de semer la confusion. C'est le cas, par exemple, de La Bussola, qui dans un éditorial très décevant de Stefano Fontana apparu hier furtivement, au milieu de la journée, sur la page d'accueil et disparu aujourd'hui, titrait "BENOÎT REDEVIENT THÉOLOGIEN, ET DÉROUTE".

Je pose la question: pourquoi ce demi-silence, ou ce qu'il faut bien appeler un boycott?

Benoît XVI est-il "oublié", voire archivé à ce point, que ce qu'il dit n'intéresse presque plus personne?
Ou bien dérange-t-il, parce que le simple fait qu'il soit encore en vie, et "dans l'enclos de Pierre", empêche de tourner définitivement la page de son Pontificat, et d'une certaine façon "lie" les mains de son successeur?
Ou encore une intervention de sa part est-elle "gênante", parce qu'il avait promis de demeurer caché au monde, et qu'il lui arrive de (paraître) rompre sa promesse? Ou parce que son statut de pape émérite n'est pas tout à fait clair pour tout le monde, et que dans la confusion actuelle, une intervention de sa part, bien que n'ayant à l'évidence, dans son intention, aucun caractère magistériel, garde un statut ambigu, entre la simple opinion d'un théologien privé et le magistère d'un Pape, fût-il "émérite"?
Plus simplement, la réflexion du Pape émérite était-elle trop "technique" (un débat théologique assez ardu) pour se prêter à l'expolitation médiatique?
Ou y a-t-il d'autres raisons encore - tenant au contenu même, ou à la personne de son interlocuteur (qu'il connaissait apparemment de longue date) - qui m'échappent, faute de compétences?

Il y a peut-être un peu de tout cela. Je ne sais pas dans quelles proportions, je pose juste la question.

Mais au final, il reste l'impression déplaisante que Benoît XVI n'existe que par rapport à son successeur. Que ce soit pour les opposer (pour l'un, contre l'autre) ou pour les associer (dans la continuité, ou dans un commun anathème). On admettra que c'est un peu réducteur sur le long terme, et surtout s'agissant d'une personnalité de cette grandeur.

Je tiens par ailleurs à (re)préciser un point.
Il est regrettable qu'un site anglophone très fréquenté par les milieux conservateurs (www.lifesitenews.com), qui avait lu superficiellement l'en-tête d'Avvenire, ait annoncé urbi et orbi que Benoît XVI venait d'accorder une interview à Avvenire. Une erreur qui a été reprise par pas mal de sites, d'autant plus grave qu'elle donnait à l'évènement un éclairage bien différent de sa réalité; une interview accordée délibérément à un journal hyper-bergoglien (fût-il celui des évêques italiens... en l'occurrence sous influence d'un certain Galantino), et publiée dans la foulée, aurait assumé une toute autre signification, spécialement à la veille de la publication de l'exhortation post-synodale: un appui explicite à François (qu'elle n'est en aucun cas, comme en convient l'OR lui-même, merci à Antonio Socci de l'avoir rappelé).
Or la genèse de l'interview est bien différente, comme cela a été expliqué ici: Benoît en soutien de François?. Je préfère d'ailleurs parler d'entretien (on ne sait pas s'il s'est déroulé en tête-à-tête, ou sous forme écrite), et au moment où il a eu lieu, Benoît XVI ne pensait pas forcément spécialement à son successur, qu'il ne mentionne qu'une fois, dans un seul paragraphe d'un texte assez long

Concluons: la démarche du Pape émérite (et surtout à travers une réflexion aussi complexe) ne peut pas être appréciée "à la volée" et nécessite du recul pour être comprise. Mais pour la comprendre, justement, il faut au moins savoir qu'elle existe. Donc, ne pas commenter à tort et à travers, avec une intention malveillante a priori, mais ne pas non plus archiver, quand ce n'est pas boycotter.
Vaut ici ce que Benoît XVI écrivait déjà en 2007, dans la préface de son "Jésus de Nazareth" (T. I):

« Il est clair que je n'ai pas besoin de dire expressément que ceci n'est en aucune manière un acte de magistère (..). Aussi chacun est-il libre de me contredire. Je prie simplement les lecteurs et les lectrices de me faire le crédit de bienveillance sans lequel il n'y a pas de compréhension possible».


Alors, une occasion manquée? Une de plus...

(BB)