L'interview de Benoît XVI par le P. Servais


Version intégrale, traduction complète (17/3/2016)

>>> Voir aussi:
¤ Une interview de Benoît XVI
¤
Benoît en soutien de François?

>>> Ci-contre, une représentation de "die Not Gottes", dont le Saint-Père parle dans l'interview.

 

La version de l'interview que j'ai traduite hier était celle publiée dans Avvenire, et elle était partielle.
L'OR a publié la version intégrale qu'on peut lire en italien sur Il Sismografo.
En voici ma traduction.


- Sainteté, la question posée cette année dans le cadre des journées d'étude (8-10 Octobre 2015) promues par la Rettoria del Gesù, à Rome, est celle de la justification par la foi. Le dernier volume de vos Œuvres complètes met en évidence votre affirmation résolue: «La foi chrétienne n'est pas une idée, mais une vie». Commentant la déclaration célèbre de Paul (Rom 3:28), vous avez parlé à ce propos d'une double transcendance: «La foi est un don aux croyants communiqué à travers la Communauté, laquelle de son côté est fruit du don de Dieu» («Glaube ist Gabe durch die Gemeinschaft, die sich selbst gegeben wird»). Pourriez-vous expliquer ce que vous entendiez par cette affirmation, en tenant compte naturellement du fait que le but de ces journées est de clarifier la théologie pastorale et de vivifier l'expérience spirituelle des fidèles



«Il s'agit de la question: qu'est-ce que la foi et comment arrive-t-on à croire. D'un côté, la foi est un contact profondément personnel avec Dieu, qui me touche dans mon tissu le plus intime et me met face au Dieu vivant dans une immédiateté absolue, pour que je puisse lui parler, l'aimer et entrer en communion avec lui. Mais en même temps, cette réalité suprêmement personnelle a un rapport inséparable avec la communauté: le fait de m'introduire dans le 'nous' des enfants de Dieu, dans la communauté pèlerine des frères et des sœurs, fait partie de l'essence de la foi. La foi dérive de l'écoute (fides ex auditu), nous enseigne saint Paul.
L'écoute à son tour, implique toujours un partenaire. La foi n'est pas un produit de la réflexion et même pas une tentative de pénétrer dans les profondeurs de mon être. Les deux choses peuvent être présentes, mais elles restent insuffisantes sans l'écoute à travers laquelle Dieu, de l'extérieur, à partir d'une histoire créée par lui, m'interpelle. Pour que je puisse croire, j'ai besoin de témoins qui ont rencontré Dieu et me le rendent accessible.
Dans mon article sur le baptême, j'ai parlé de la double transcendance de la communauté, faisant ainsi émerger une fois encore un élément important: la communauté de foi ne se crée pas toute seule. Elle n'est pas une assemblée d'hommes qui ont des idées en commun et qui décident d'oeuvrer pour la diffusion de ces idées. Alors tout serait basé sur sa propre décision et en ultime analyse sur le principe de la majorité, c'est-à-dire qu'en fin de compte, ce serait l'opinion humaine. Une Église construite de la sorte ne peut pas être pour moi garante de la vie éternelle, ni exiger de moi des décisions qui me font souffrir et qui sont contraires à mes désirs.
Non l'Eglise ne s'est pas faite elle-même, elle a été créée par Dieu et elle est continuellement formée par lui. Ceci trouve son expression dans les sacrements, surtout dans celui du baptême: j'entre dans l'Eglise non par un acte bureaucratique, mais à travers un sacrement. Et cela revient à dire que je suis accueilli dans une communauté qui ne tire pas son origine d'elle-même et qui se projette au-delà d'elle-même.
La pastorale qui entend former l'expérience spirituelle des fidèles doit procéder à partir de ces fondements. Elle doit abandonner l'idée d'une Église qui se produit elle-même et faire ressortir que l'Eglise devient communauté dans la communion du corps du Christ. Elle doit introduire à la rencontre avec Jésus-Christ et porter à sa présence dans le sacrement».


- Quand Vous étiez préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, commentant la déclaration conjointe de l'Eglise catholique et de la Fédération luthérienne mondiale sur la doctrine de la justification du 31 Octobre 1999, vous avez mis en évidence une différence de mentalité par rapport à Luther et à la question du salut et de la béatitude, comme lui la posait. L'expérience religieuse de Luther était dominée par la terreur devant la colère de Dieu, sentiment plutôt étranger à l' homme moderne, plutôt marqué par l'absence de Dieu (il suffit de lire votre article écrit pour la revue Communio en 2000). La doctrine de Paul de la justification par la foi, dans ce nouveau contexte, peut-elle rejoindre l'expérience "religieuse" ou au moins l'expérience "élémentaire" de nos contemporains?



«Tout d' abord je tiens à souligner une fois de plus ce que j'écrivais sur Communio en 2000 sur la problématique de la justification. Pour l'homme d'aujourd'hui, par rapport à l'époque de Luther et à la perspective classique de la foi chrétienne, les choses se sont dans un certain sens inversées, autrement dit ce n'est plus l'homme qui croit qu'il a besoin de la justification devant Dieu, mais il est plutôt de l'avis que c'est Dieu qui doit se justifier à cause de toutes les choses horribles présentes dans le monde, et face à la misère de l'être humain, toutes choses qui en dernière analyse dépendraient de lui.
A ce propos, je trouve qu'il est isignificatif qu'un théologien catholique assume de manière même directe et formelle une telle inversion: le Christ n'aurait pas souffert pour les péchés des hommes, mais il aurait même, pour ainsi dire, effacé les fautes de Dieu. Encore que pour l'instant, la plupart des chrétiens ne partagent pas une inversion aussi drastique de notre foi, on peut dire que tout cela révèle une tendance sous-jacente de notre temps.

Quand Johann Baptist Metz soutient que la théologie d'aujourd'hui doit être «sensible à la théodicée» (theodizeeempfindlich), cela met en évidence le même problème d'une manière positive. Même en faisant abstraction d'une contestation aussi radicale de la vision ecclésiale de la relation entre Dieu et l'homme, l'homme d'aujourd'hui a de manière générale la sensation que Dieu ne peut pas laisser aller en perdition la plus grande partie de l'humanité. En ce sens, la préoccupation pour le salut, typique d'une époque, a en grande partie disparu.
Cependant, à mon avis, il continue d'exister, d'une autre façon, la perception que nous avons besoin de la grâce et du pardon. Pour moi, le fait que l'idée de la miséricorde de Dieu devienne de plus en plus centrale et dominante - à partir de Sœur Faustina, dont les visions, à bien des égards, reflètent profondément l'image de Dieu propre à l'homme d'aujourd'hui et son désir de la bonté divine - est un "signe des temps". Le Pape Jean-Paul II était profondément imprégné par cette impulsion, même si cela n'émergeait pas toujours explicitement.
Mais ce n'est certainement pas par hasard que son dernier livre, qui a vu le jour immédiatement avant sa mort, parle de la miséricorde Dieu. A partir des expériences dans lesquelles, dès les premières années de s vie, il put constater toute la cruauté des hommes, il affirme que la miséricorde est l'unique vraie et ultime réaction efficace contre la puissance du mal.

Seulement là où est la miséricorde finit la cruauté, finissent le mal et la violence. Le Pape François est totalement en accord avec cette ligne. Sa pratique pastorale s'exprime justement dans le fait qu'il nous parle continuellement de la miséricorde de Dieu. C'est la miséricorde qui nous pousse vers Dieu, tandis que la justice nous fait peur devant lui. À mon avis, cela met en évidence que sous la patine de la sûreté de soi et de sa propre justice, l'homme d'aujourd'hui cache une profonde connaissance de ses blessures et de son indignité face à Dieu. Il est en attente de la miséricorde.

Ce n'est certainement pas un hasard si la parabole du bon Samaritain est particulièrement attrayante pour nos contemporains. Et pas seulement parce qu'elle souligne fortement la dimension sociale de l'existence chrétienne, ni seulement parce qu'en elle, le Samaritain, l'homme non religieux opposé aux représentants de la religion, apparaît, pour ainsi dire, comme celui qui agit de manière vraiment conforme à Dieu, tandis que les représentants officiels de la religion se sont rendus, pour ainsi dire, immunisés contre Dieu.

Il est clair que cela plaît à l'homme moderne. Mais il me semble tout aussi important, cependant, que les hommes, au fond d'eux-mêmes, attendent que le Samaritain vienne à leur aide, qu'il se penche sur eux, verse de l'huile sur leurs blessures, prenne soin d'eux et les emmène à l'abri. En fin de compte, ils savent qu'ils ont besoin de la miséricorde de Dieu et de sa délicatesse.

Dans la dureté du monde dominé par la technique, où les sentiments ne sont plus rien, l'attente d'un amour qui est donné gratuitement augmente pourtant. Il me semble que dans le thème de la miséricorde divine s'exprime d'une manière nouvelle ce que signifie la justification par la foi. A partir de la miséricorde de Dieu, que tout le monde recherche, il est possible encore aujourd'hui d'interpréter depuis le début le noyau fondamental de la doctrine de la justification et de le faire apparaître encore dans toute son importance».


- Quand Anselme dit que le Christ devait mourir sur la croix pour réparer l'offense infinie faite à Dieu, et ainsi rétablir l'ordre brisé, il utilise un langage difficilement acceptable par l'homme moderne. En parlant de cette façon, on risque de projeter [dans] sur Dieu, l'image d'un Dieu de colère, saisi, devant le péché de l'homme, de sentiments de violence et d'agressivités comparables à ce que nous-mêmes pouvons expérimenter. Comment est-il possible de parler de la justice de Dieu sans risquer de d'enfreindre la certitude désormais établie parmi les fidèles, que le Dieu des chrétiens est un Dieu «riche en miséricorde» (Ephésiens 2: 4)?



«La conceptualité de saint Anselme est certainement devenue incompréhensible pour nous aujourd'hui. C'est notre devoir de tenter de comprendre de manière nouvelle la vérité qui se cache derrière cette manière de s'exprimer. Pour ma part, je propose trois points de vue à ce sujet:

a) L'opposition entre le Père, qui insiste de manière absolue sur la justice, et le Fils qui obéit au Père et, en obéissant, accepte les exigences cruelles de la justice, est non seulement incompréhensible aujourd'hui, mais, en partant de la théologie trinitaire, est en elle-même totaleement erronée. Le Père et le Fils sont un, et donc leur volonté est ab intrinseco, une seule. Quand le Fils dans le Jardin des Oliviers, lutte avec la volonté du Père, il ne s'agit pas du fait qu'il devrait accepter pour lui-même une disposition cruelle de Dieu, mais plutôt du fait d'attirer l'humanité à l'intérieur de la volonté de Dieu. Nous devrons revenir à nouveau, plus tard, sur la relation entre les deux volontés du Père et du Fils.

b) Mais alors, pourquoi la croix et l'expiation? D'une certaine manière aujourd'hui, dans les contorsions de la pensée moderne dont nous avons parlé plus haut, la réponse à ces questions peut être formulée d'une manière nouvelle. Plaçons-nous devant la quantité incroyable et sale de mal, de violence, de mensonge, de haine, de cruauté et d'arrogance qui infectent et ruinent le monde entier. Cette masse du mal ne peut pas simplement être déclarée inexistante, même par Dieu. Elle doit être épurée, réélaborée, et surmontée. L'ancien Israël était convaincu que le sacrifice quotidien pour les péchés et surtout la grande liturgie du jour de l'Expiation (Yom-Kippour) étaient nécessaires pour faire contrepoids à la masse du mal présent dans le monde et que seulement par un tel rééquilibrage, le monde pourrait, pour ainsi dire, rester supportable. Une fois disparus les sacrifices dans le temple, il a fallu se demander ce qui pouvait être opposé aux puissances supérieures du mal, comment trouver en quelque sorte un contrepoids. Les chrétiens savaient que le temple détruit avait été remplacé par le corps ressuscité du Seigneur crucifié, et que dans son amour radical et incommensurable, avait été créé un contrepoids à la présence incommensurable du mal. Et même ils savaient que les offrandes présentées jusqu'à présent ne pouvaient être conçues que comme un geste de désir d'un véritable contrepoids. Ils savaient aussi que devant la toute-puissance du mal, seul un amour infini povait suffire, seule une expiation infinie. Ils savaient que le Christ crucifié et ressuscité est une puissance qui peut contrer le mal et sauver le monde.
Et sur ces bases, ils pouvaient aussi comprendre le sens de leurs propres souffrances comme insérées dans l'amour souffrant du Christ et comme partie de la puissance rédemptrice d'un tel amour. Plus haut, je citais ce théologien pour lequel Dieu a dû souffrir pour ses fautes envers le monde; à présent, étant donné ce renversement de perspective, émerge la vérité suivante: Dieu ne peut tout simplement pas laisser telle quelle la masse du mal qui dérive de la liberté que lui-même a accordée. Lui seul, en venant faire partie de la souffrance du monde, peut racheter le monde.

c) Sur ces bases, la relation entre le Père et le Fils devient plus évidente. Je reproduis sur le sujet un passage du livre de de Lubac sur Origène, qui me paraît très clair:
«Le Rédempteur est entré dans le monde par compassion pour le genre humain. Il a pris sur lui nos passiones avant d'être crucifié, voire même avant de s'abaisser et d'assumer notre chair: s'il ne les avait pas éprouvées avant, il ne serait pas venu prendre part à notre vie humaine. Mais quelle fut cette souffrance qu'il a endurée par anticipation pour nous? Ce fut la passion de l'amour. Mais le Père lui-même, le Dieu de l'univers, lui qui surabonde en longaminité, patience, miséricorde et compassion, ne souffre-t-il pas, lui aussi, dans un certain sens? "Le Seigneur ton Dieu, en effet, a pris sur lui tes coutumes comme celui qui prend sur lui son fils" (Deutéronome 1, 31). Dieu prend donc sur lui nos coutumes comme le Fils de Dieu prend sur lui nos souffrances. Le Père lui-même n'est pas sans passion! Si on l'invoque, alors il connaît la miséricorde et la compassion. Il perçoit une souffrance d'amour (Homélies sur Ezéchiel 6: 6)».

Dans certaines parties de l'Allemagne il y avait une dévotion très émouvante qui contemplait die Not Gottes ("l'indigence de Dieu"). Pour ma part, cela fait passer devant mes yeux une image impressionnante représentant le Père souffrant, qui, comme Père, partage intérieurement la souffrance du Fils. Et l'image du "trône de la grâce" fait aussi partie de cette dévotion: le Père soutient la croix et le crucifié, se penche avec amour sur lui et d'autre part, il est avec, sur la croix. Ainsi, de manière grandiose et pure, on perçoit là ce que signifie la miséricorde de Dieu et la participation de Dieu à la souffrance de l'homme. Il ne s'agit pas d'une justice cruelle, pas du fanatisme du Père, mais de la vérité et de la réalité de la création: du vrai et intimedépassement du mal, qui en ultime analyse, peut seulement se réaliser dans la souffrance de l'amour.


 

- Dans les Exercices Spirituels, Ignace de Loyola n'utilise pas les images vétérotestamentaires de la vengeance, contrairement à Paul (comme on le voit dans la deuxième lettre aux Thessaloniciens); néanmoins , il nous invite à contempler comment les hommes, jusqu'à l'Incarnation, «descendaient en enfer» et à considérer l'exemple «des innombrables autres qui y ont fini pour bien moins de péchés que je n'en ai commis». C'est dans cet esprit que saint François Xavier a vécu sa propre activité pastorale, convaincu de devoir tenter de sauver du sort terrible de la damnation éternelle autant d' «infidèles» que possible. Peut-on dire que sur ce point, au cours des dernières décennies, il y a eu une sorte de «développement du dogme» dont le Catéchisme doit absolument tenir compte?



«Il ne fait aucun doute qu'à ce point, nous sommes confrontés à une évolution profonde du dogme. Les Pères et les théologiens du Moyen Age pouvaient encore être d'avis qu'en substance, tout le genre humain était devenu catholique et que le paganisme existait désormais uniquement aux marges, la découverte du Nouveau Monde au début de l'ère moderne a radicalement changé les perspectives.

Dans la seconde moitié du siècle dernier, la conscience que Dieu ne peut pas laisser aller en perdition tous les non baptisés et que même une félicité purement naturelle n'est pas pour eux une vraie réponse à la question de l'existence humaine - cette conscience a été pleinement affirmée.
S'il est vrai que les grands missionnaires du XVIe siècle étaient encore convaincus que ceux qui ne sont pas baptisés sont à jamais perdus, ce qui explique leur engagement missionnaire, dans l'Eglise catholique d'après Vatican II, une telle conviction a été définitivement abandonnée.
De là découle une double crise profonde.
D'un côté, cela semble enlever toute motivation à un futur engagement missionnaire. Pourquoi devrait-on essayer de convaincre les gens d'accepter la foi chrétienne quand ils peuvent se sauver aussi sans elle? Mais un problème émergea, même pour les chrétiens: le caractère obligatoire de la foi et de sa forme de vie devint incertain et problématique.
S'il y en a qui peuvent se sauver aussi par d'autres moyens, finalement, la raison pour laquelle le chrétien est lié aux exigences de la foi chrétienne et à sa morale n'est plus évidente. Mais si la foi et le salut ne sont plus interdépendants, même la foi devient non motivée.
Ces derniers temps, plusieurs tentatives ont été formulées en vue de concilier la nécessité universelle de la foi chrétienne avec la possibilité de se sauver sans elle.

J'en mentionne ici deux: d'abord, la thèse bien connue des chrétiens anonymes de Karl Rahner. On y soutient que l'acte de base essentiel de l'existence chrétienne, qui s'avère décisif pour le salut, dans la structure transcendantale de notre conscience consiste dans l'ouverture au 'tout autre', vers l'unité avec Dieu. La foi chrétienne aurait fait émerger à la conscience ce qui est structurel dans l'homme en tant que tel. Donc, quand l'homme s'accepte dans son 'être' essentiel, il accomplit l'essentiel de l''être chrétien' même sans le savoir de manière conceptuelle.
Le chrétien coïncide donc avec l'humain et dans ce sens, est chrétien tout homme qui s'accepte lui-même, même s'il ne sait pas. Il est vrai que cette théorie est fascinante, mais elle réduit le christianisme lui-même à une pure présentation consciente de ce que l'être humain est en soi et donc néglige le drame du changement et du renouvellement, qui est central dans le christianisme.

Encore moins acceptable est la solution proposée par les théories pluralistes de la religion, pour lesquelle toutes les religions, chacune à sa manière, seraient des moyens de salut et en ce sens doivent être considérés comme équivalentes dans leurs effets. La critique de la religion, du type de celle exercée par l'Ancien Testament, par le Nouveau Testament et par l'Église primitive est dans son essence plus réaliste, plus concrète et plus vraie, dans son examen minutieux des diverses religions. Une réception aussi simpliste n'est pas proportionnelle à la grandeur de la question.

Rappelons récemment en particulier Henri de Lubac et avec lui d'autres théologiens qui ont mis l'accent sur le concept de substitution vicaire (sostituzione vicaria). Pour eux la proexistence du Christ serait une expression de la figure fondamentale de l'existence chrétienne et de l'Eglise en tant que telle.
Il est vrai que de cette façon, le problème n'est pas complètement résolu, mais il me semble que c'est en réalité l'intuition essentielle qui touche l'existence du chrétien individuel.

Le Christ, en tant qu'unique, a été et est, pour tous, et les chrétiens, qui dans l'image grandiose de Paul constituent son corps dans ce monde, participent à cet "être-pour". Chrétiens, pour ainsi dire, on ne l'est pas pour soi-même, mais plutôt, avec Lui, pour les autres. Cela ne signifie pas une sorte de billet spécial pour entrer dans la béatitude éternelle, mais la vocation de construire l'ensemble, le tout.

Ce dont la personne humaine a besoin pour le salut, c'est l'ouverture intime à Dieu, l'attente intime et l'adhésion à Lui, et cela signifie, vice versa que nous, avec le Seigneur que nous avons rencontré, allons les autres et essayons de leur rendre visible l'avènement de Dieu dans le Christ. Il est clair que nous devons réfléchir à l'ensemble de la question».


- Aux yeux de nombreux «laïcs», marqués par l'athéisme des XIXe et XXe siècles, avez-vous fait noter, c'est Dieu - s'il existe - plutôt que l'homme, qui devrait répondre des injustices, de la souffrance des innocents, du cynisme du pouvoir, auxquels nous assistons, impuissants, dans le monde et dans l'histoire du monde (cf. "Spe Salvi", n.42..) ... Dans votre livre "Jésus de Nazareth", vous faites écho à ce qui pour eux - et pour nous - est un scandale: «la réalité de l'injustice, du mal, ne peut pas être simplement ignorée, simplement mise de côté. Elle doit absolument être surmontée et vaincue. C'est seulement ainsi qu'existe vraiment la miséricorde» ("Jésus de Nazareth", II 153, citant 2 Timothée 2: 13). Le sacrement de la confession est-il, et dans quel sens, l'un des endroits où il peut y avoir une «réparation» du mal commis?



«J'ai déjà essayé d'exposer dans leur ensemble les principaux points liés à ce problème en répondant à la troisième question. Le contrepoids à la dominations du mal peut consister en premier lieu seulement dans l'amour divin et humain de Jésus-Christ qui est toujours plus grand que toute la puissance possible du mal. Mais il est nécessaire que nous nous insérions dans cette réponse que Dieu nous donne par Jésus-Christ. Même si l'individu est responsable d'un fragment du mal, et donc complice de son pouvoir, avec le Christ, il peut toutefois «compléter ce qui manque encore à ses souffrances» (cf. Colossiens 1, 24).
Le sacrement de pénitence a certainement un rôle important dans ce domaine. Il signifie que nous nous laissons toujours façonner et transformer par le Christ et que nous passons constamment du côté de ceux qui détruisent à celui qui sauve».