Mercredi des Cendres


La dernière homélie publique de Benoît XVI, le mercredi 13 février 2013 (10/2/2016, mise à jour ultérieure: vidéo)




Dans son exposé de présentation de l'ouvrage de Marco Mancini "Un Papa totale", Georg Gänswein notait:

« Le choix du dernier jour de son service, fait avec une sensibilité particulière et pour qu'il puisse célébrer sa dernière messe publique le mercredi des Cendres, Benoît XVI a laissé entendre une fois de plus ce qui était le caractère central de son message: ce qui compte le plus dans la vie ecclésiale, c'est la conversion à Jésus-Christ et se tourner vers Pâques, où le christianisme trouve son sens, ou sinon disparaît».


Relisons donc la dernière homélie de Cendres de Benoît XVI comme Pape régnant, qui se trouve être aussi sa dernière homélie publique, ainsi que nous le rappelle son secrétaire. Moment chargé d'une émotion poignante, mais qui malgré les circonstances dramatiques, nous a donné l'image d'un Benoît XVI égal à lui-même jusqu'au bout: pudique, maître de lui jusqu'à l'impassibilité (certains attendaient peut-être des confidences), s'effaçant totalement derrière "le Pasteur Suprême, le Christ Seigneur", se contentant de deux allusions presque subliminales au présent. La première, il s'excuse, en quelque sorte de rompre avec la tradition: "La tradition veut que la première 'statio' [du chemin de Carême] ait lieu dans la Basilique Sainte-Sabine sur l'Aventin. Les circonstances ont suggéré de nous réunir dans la Basilique Vaticane". Et un peu plus loin "Pour moi, c'est une occasion propice pour vous remercier tous, spécialement les fidèles du diocèse de Rome, alors que je m'apprête à conclure le ministère pétrinien, et demander un souvenir particulier dans la prière".

Commentant les lectures du jour (*) Benoît XVI veut au contraire nous rappeler au vrai sens du Carême, dont le coeur est la conversion:

Commençons notre itinéraire de Carême avec confiance et joie. Que résonne fortement en nous l'invitation à la conversion, à «revenir à Dieu de tout ton cœur», en acceptant sa grâce qui fait de nous des hommes nouveaux, avec cette surprenante nouveauté qui est participation à la vie même de Jésus. Qu'aucun d'entre nous ne soit donc sourd à cet appel, qui nous est également adressé dans le rite austère, si simple et pourtant si suggestif, l'imposition des cendres, que nous accomplirons sous peu.


Voici, dans ma traduction d'alors, cette homélie du 13 février 2013, prononcée dans une Basilique Saint-Pierre archi-comble et s'achevant (sous le regard d'un Saint-Père apparemment impassible, mais en proie à une émotion intérieure profonde et maîtrisée) sur "une immense, interminable ovation, avec des gens en pleurs".

Vénérés Frères,
Chers frères et sœurs!

Aujourd'hui, Mercredi des Cendres, nous commençons un nouveau chemin de Carême, un chemin qui s'étend sur 40 jours et nous conduit à la joie de Pâques, à la victoire de la vie sur la mort.
Conformément à la très ancienne tradition romaine des stationes quarésimales, nous sommes réunis ici aujourd'hui pour la célébration de l'Eucharistie. La tradition veut que la première statio ait lieu dans la Basilique Sainte-Sabine sur l'Aventin. Les circonstances ont suggéré de nous réunir dans la Basilique Vaticane. Nous sommes nombreux autour de la tombe de l'apôtre Pierre, aussi à demander son intercession pour le chemin de l'Eglise en ce moment particulier, en renouvelant notre foi dans le Pasteur suprême, le Christ Seigneur. Pour moi, c'est une occasion propice pour vous remercier tous, spécialement les fidèles du diocèse de Rome, alors que je m'apprête à conclure le ministère pétrinien, et demander un souvenir particulier dans la prière.

Les lectures qui ont été proclamés nous offrent des idées dont, par la grâce de Dieu, nous sommes appelés à faire des attitudes et des comportements concrets au cours de ce Carême. L'Eglise nous propose, tout d'abord, le rappel fort que le prophète Joël adresse au peuple d'Israël: «Ainsi parle le Seigneur: revenez à moi de tout votre coeur, avec le jeûne, les pleurs et les lamentations" (2,12).
On doit souligner l'expression «de tout votre cœur», ce qui signifie du centre de nos pensées et nos sentiments, des racines de nos décisions, nos choix et nos actions, avec un geste de totale et radicale liberté.
Mais est-il possible, ce retour à Dieu? Oui, parce qu'il y a une force qui ne réside pas dans nos cœurs, mais qui émane du cœur même de Dieu. C'est la force de sa miséricorde. Le prophète dit encore: «Revenez au Seigneur, votre Dieu, car il est compatissant et miséricordieux, lent à la colère, grand en amour fidèle, prompt à se repentir du mal» (v. 13). Le retour au Seigneur est possible comme «grâce», parce que c'est l'œuvre de Dieu et le fruit de la foi que nous plaçons dans sa miséricorde. Ce retour à Dieu ne devient une réalité concrète dans nos vies que si la grâce de Dieu pénètre au plus intime de nous, et le secoue en lui donnant le pouvoir de «déchirer notre cœur».
C'est encore le prophète qui fait résoner ces paroles de Dieu: «Déchirez vos cœurs et non vos vêtements» (v. 13). En fait, aujourd'hui encore, beaucoup sont prêts à se «déchirer les vêtements» face aux scandales et injustices - bien sûr faites par d'autres - mais peu semblent disposés à agir sur leur propre «cœur», sur leur propre conscience et sur leurs propres intentions, laissant le Seigneur transformer, rénover et transformer.

Ce «revenez à moi de tout votre coeur», alors, est un rappel qui implique non seulement l'individu mais la communauté. Nous avons entendu, toujours dans la première lecture: «Jouez le cor en Sion, proclamez un jeûne solennel, convoquez une réunion sacrée. Rassemblez le peuple, déclarez une assemblée solennelle, appelez les vieux, réunissez les enfants et les nourrissons à la mamelle; Que le jeune époux sorte de sa chambre et l'épouse de son thalamus »(vv.15-16). La dimension communautaire est un élément essentiel dans la foi et la vie chrétienne. Le Christ est venu «pour rassembler dans l'unité les enfants de Dieu qui étaient dispersés» (cf. Jn 11:52). Le «nous» de l'Eglise est la communauté dans laquelle Jésus nous rassemble (cf. Jn 12,32), la foi est nécessairement ecclésiale. Et il est important de se le rappeler et de le vivre en ce temps de Carême: que chacun soit conscient qu'il n'affronte pas seul le chemin de pénitence, mais avec beaucoup de frères et sœurs, dans l'Église.

Le prophète, enfin, se concentre sur les prières des prêtres, qui, les larmes aux yeux, se tournent vers Dieu, en disant: «N'expose pas ton héritage à l'opprobre et à la risée des nations. Parce que l'on dirait parmi les peuples: Où est leur Dieu?»(V.17). Cette prière nous fait réfléchir sur l'importance du témoignage de la foi et de vie chrétienne de chacun de nous et de notre communauté pour montrer le visage de l'Eglise, et comment ce visage est parfois défiguré. Je pense en particulier aux fautes contre l'unité de l'Église, aux divisions dans le corps de l'Eglise. Vivre le carême dans une plus intense et évidente communion ecclésiale, surmontant l'individualisme et la rivalité, est un signe humble et précieux pour ceux qui sont loin de la foi ou indifférents.

«Voici maintenant le temps favorable, voici maintenant le jour du salut» ( 2 Co 6:2). Les paroles de l'apôtre Paul aux chrétiens de Corinthe résonnent aussi pour nous avec une urgence qui ne tolère pas d'absences ou d'inaction. Le mot «maintenant» répété à plusieurs reprises dit que l'on ne peut pas laisser échapper ce moment, il nous est offert une occasion unique. Et le regard de l'Apôtre se concentre sur le partage par lequel le Christ a choisi de caractériser sa vie, assumant l'homme tout entier, jusqu'à prendre en charge ses péchés. La phrase de saint Paul est très forte: «Dieu l'a fait péché pour nous». Jésus, l'innocent, le Saint, «celui qui n'a point connu le péché» ( 2 Cor 5:21), se charge du poids du péché, partageant avec l'humanité l'issue de la mort, et la mort de la croix. La réconciliation qui nous est offerte a eu un prix très élevé, celui de la croix élevée sur le Golgotha, à laquelle a été cloué le Fils de Dieu fait homme. Dans cette immersion de Dieu dans la souffrance humaine, et l'abîme du mal, il y a la racine de notre justification. Le «retourner à Dieu de tout votre coeur» dans notre itinéraire de Carême, passe à travers la croix, suivre le Christ sur le chemin du Calvaire, le don total de soi. C'est un chemin où apprendre chaque jour à sortir de plus en plus de notre égoïsme et de nos fermetures, pour faire place à Dieu qui ouvre et transforme le cœur. Et saint Paul rappelle comment l'annonce de la Croix résonne en nous par la prédication de la Parole, dont l'Apôtre lui-même est un ambassadeur; un appel pour nous, afin que ce chemin du Carême soit caractérisé par une écoute plus attentive et assidue de la Parole de Dieu, lumière qui éclaire nos pas.

Dans l'Evangile de Matthieu, qui appartient à ce que l'on appelle le Sermon sur la Montagne, Jésus se réfère à trois pratiques fondamentales requises par la loi mosaïque: l'aumône, la prière et le jeûne; ce sont également des indications traditionnelles dans le chemin de Carême pour répondre à l'invitation du «revenir à Dieu de tout son cœur». Mais Jésus souligne ce qu'est la qualité et la vérité de notre relation avec Dieu, ce qui qualifie l'authenticité de tout acte religieux.
C'est pourquoi il dénonce l'hypocrisie religieuse, le comportement qui veut avoir l'air, les attitudes cherchant les applaudissements ou l''approbation. Le vrai disciple ne sert pas lui-même ou le «public», mais son Seigneur, dans la simplicité et la générosité: «Et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra» ( Mt 6,4.6.18). Notre témoignage, alors, sera d'autant plus efficace que nous chercherons moins notre propre gloire et serons conscients que la récompense des justes est Dieu lui-même, être unis à Lui, ici-bas, dans le chemin de la foi, et à la fin de la vie, dans la paix et la la lumière de la rencontre face à face avec Lui pour l'éternité (cf. 1 Co 13:12).

Chers frères et sœurs, commençons notre itinéraire de Carême avec confiance et joie. Que résonne fortement en nous l'invitation à la conversion, à «revenir à Dieu de tout ton cœur», en acceptant sa grâce qui fait de nous des hommes nouveaux, avec cette surprenante nouveauté qui est participation à la vie même de Jésus. Qu'aucun d'entre nous ne soit donc sourd à cet appel, qui nous est également adressé dans le rite austère, si simple et pourtant si suggestif, l'imposition des cendres, que nous accomplirons sous peu. Que nous accompagne en ce moment la Vierge Marie, Mère de l'Eglise et modèle de tout vrai disciple du Seigneur.
Amen!

Annexe

Lectures du jour

Livre de Joël 2,12-18.
Maintenant – oracle du Seigneur – revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les larmes et le deuil !
Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements, et revenez au Seigneur votre Dieu, car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour, renonçant au châtiment.
Qui sait ? Il pourrait revenir, il pourrait renoncer au châtiment, et laisser derrière lui sa bénédiction : alors, vous pourrez présenter offrandes et libations au Seigneur votre Dieu.
Sonnez du cor dans Sion : prescrivez un jeûne sacré, annoncez une fête solennelle,
réunissez le peuple, tenez une assemblée sainte, rassemblez les anciens, réunissez petits enfants et nourrissons ! Que le jeune époux sorte de sa maison, que la jeune mariée quitte sa chambre !
Entre le portail et l’autel, les prêtres, serviteurs du Seigneur, iront pleurer et diront : « Pitié, Seigneur, pour ton peuple, n’expose pas ceux qui t’appartiennent à l’insulte et aux moqueries des païens ! Faudra-t-il qu’on dise : “Où donc est leur Dieu ?” »
Et le Seigneur s’est ému en faveur de son pays, il a eu pitié de son peuple.

* * *

Deuxième lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 5,20-21.6,1-2.
Frères, nous sommes les ambassadeurs du Christ, et par nous c’est Dieu lui-même qui lance un appel : nous le demandons au nom du Christ, laissez-vous réconcilier avec Dieu.
Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché, afin qu’en lui nous devenions justes de la justice même de Dieu.
En tant que coopérateurs de Dieu, nous vous exhortons encore à ne pas laisser sans effet la grâce reçue de lui.
Car il dit dans l’Écriture : Au moment favorable je t’ai exaucé, au jour du salut je t’ai secouru. Le voici maintenant le moment favorable, le voici maintenant le jour du salut.

* * *

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 6,1-6.16-18.
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer. Sinon, il n’y a pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux.
Ainsi, quand tu fais l’aumône, ne fais pas sonner la trompette devant toi, comme les hypocrites qui se donnent en spectacle dans les synagogues et dans les rues, pour obtenir la gloire qui vient des hommes. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense.
Mais toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite,
afin que ton aumône reste dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.
Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites : ils aiment à se tenir debout dans les synagogues et aux carrefours pour bien se montrer aux hommes quand ils prient. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense.
Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.
Et quand vous jeûnez, ne prenez pas un air abattu, comme les hypocrites : ils prennent une mine défaite pour bien montrer aux hommes qu’ils jeûnent. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense.
Mais toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage ;
ainsi, ton jeûne ne sera pas connu des hommes, mais seulement de ton Père qui est présent au plus secret ; ton Père qui voit au plus secret te le rendra. »

(levangileauquotidien.org)

Mise à jour

La procession de fin:

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