Mon patron, le cardinal Ratzinger


Mgr Zygmunt Zimowski, président depuis 2009 du Conseil pontifical pour la pastorale de la santé, qui fut pendant 19 ans collaborateur du card. Ratzinger à la CDF, vient de mourir "des suites d'une longue malaladie". Reprise d'une interview de 2006, à la veille du voyage de Benoît XVI en Pologne (14/7/2016)

>>> Cf.
www.la-croix.com/Urbi-et-Orbi



Mai 2003; le Cardinal Ratzinger était le représentant de JPII pour le 750e anniversaire de la mort de saint Stanislas.
Mgr Zimowski (à gauche, et en vignette)

Merci à Teresa, grâce à qui j'ai trouvé l'information.
L'article ci-dessous est ma traduction en 2009 de la traduction en anglais (reprise sur le site de Teresa, justement) d'un article paru en mai 2006 dans la revue polonaise Gosc Niedzielny, à la veille du voyage de Benoît XVI en Pologne.
C'est l'un des plus beaux témoignages que je connaisse sur la personnalité du pape Benoît, par quelqu'un qui l'a connu personnellement et de près, pendant de nombreuses années.
Reposez en paix, Mgr Zimowski. Dans son monastère, Benoît prie pour vous.

Mgr Zimowski se souvient: Mon patron, le cardinal



- Votre Excellence est sans doute le seul polonais, qui connaisse aussi bien Benoît XVI. Pendant combien de temps avez-vous travaillé ensemble à la CDF?
- Dix-neuf ans, trois mois et quinze jours. C'est ce que l'État de la Cité du Vatican a calculé pour ma pension de retraite, que je vais recevoir après mon 75ème anniversaire. J'espère vivre assez longtemps (rires).

- Quand l'avez-vous rencontré pour la première fois?
- En automne 1975. L'évêque d'Innsbruck célébrait le 30e anniversaire de son ordination épiscopale et a invité le Cardinal Ratzinger, alors archevêque de Munich, pour tenir de l'homélie. Je me souviens de ses gestes, je me rappelle combien son homélie coulait. Les gens l'écoutaient bouche bée. J'ai remarqué alors que Joseph Ratzinger est non seulement un théologien, mais un pasteur aussi. J'ai vu son humilité. Et cette première impression restera avec moi pour toujours.
Après la messe je me suis approché de lui et je lui dit: "Je viens de Pologne , je suis étudiant ici". Il a souri: "Bien, c'est une bonne chose d'étudier!". Je n'avais jamais imaginé que je deviendrai un de ses plus proches collaborateurs.
J'ai commencé à travailler à la CDF en 1983. Il y a un proverbe qui dit: "Le sort tomba sur Matthias". J'ai d'abord refusé, en disant que je n'avais pas étudié à Rome, que la Curie romaine m'était inconnue, mais l'archevêque Mgr Ablewicz a souri: «C'est encore mieux - qu'il n'y ait pas de bagages (du passé)."
Après quoi ce fut la routine, le travail quotidien aux côtés de ce grand homme. Les membres de la Congrégation ont toujours pensé que Ratzinger était un grand homme de l'Eglise. Nous avons été fascinés par sa simplicité, sa bonté, son ouverture.

- Ceci contredit l'image dans les médias: le Panzer-Cardinal Ratzinger si réservé, miraculeusement transformé en un souriant Benoît XVI?
- Oui, j'ai lu ces opinions. C'est un gros malentendu. Le cardinal a toujours été un homme souriant, joyeux, doux. Il était timide, mais quand il finissait de se rapprocher de quelqu'un après avoir surmonté ce premier obstacle, alors il s'engageait lui-même - comme l'un de nos bienheureux a l'habitude de dire, " à fond" -to the ruin - (rires).

- Était-il un Panzer-cardinal?
- Oui, quand il s'agissait de la foi. Saint-Paul écrit que nous devons porter une armure de foi. Il a été ferme et homme de décision, parce que pendant ces 23 ans en tant que préfet, il avait à décider en matière de foi et de morale. Mais il a toujours été aux côtés de Jean-Paul II. J'ai remarqué que les médias, qui avaient peur d'attaquer directement le pape, très souvent attaquaient le Cardinal Ratzinger à sa place.

- Tout cela le gênait-il?
- Plus il y avait de critiques, plus il était calme. Paradoxalement. C'est un homme de prière. Tout le temps il a souligné que c'est la vérité, la plénitude de la foi, qui importent.

- Quels sont les documents qui ont déclenché les critiques les plus furieuses?
- Par exemple, les deux documents sans équivoque - sur la théologie de la libération, et Dominus Iesus, en 2000. Je me rappelle que j'ai eu un dîner en tête-à-tête avec Jean-Paul II - Mgr Dziwisz était en déplacement quelque part - et le Saint-Père m'a parlé de ces documents.
Il a dit que la théologie de la libération avait seulement une dimension horizontale, qu'elle n'avait pas de référence à Dieu. Il a ajouté: "Je sais pourquoi les communistes me haïssent tant." Il déboutonné trois boutons de sa soutane blanche et souri: "Parce que je connais la doublure."

- Et Dominus Iesus? Les médias ont souvent écrit qu'il s'agissait d'un document écrit en opposition à Jean-Paul II ...
- Rien de la sorte! Le Pape attendait vraiment ce document. Il lui a consacré quelques-unes de ses méditations d'Angelus. Certaines personnes voulaient obstinément prouver que le cardinal Ratzinger avait essayé de "pousser" le document. Pourtant, chaque document de la CDF a quelque chose d'un credo, il est ratifié par le pape.
Les médias ont voulu mettre le Cardinal Ratzinger en conflit avec le Pape. Mais je les vois encore ensemble. Il ont toujours suivi une route commune. En outre dans l'interview que Benoît XVI a accordée à la télévision (un fait sans précédent!), Il a dit: "Je sens encore la présence du Pape, un homme qui est allé vers le Seigneur, mais qui n'est pas lointain ...". Ils ont toujours été proches l'un de l'autre.
A l'occasion de Dominus Iesus, certains voulaient également mettre deux cardinaux allemands en conflit: Joseph Ratzinger et Walter Kasper, qui est responsable de (la Congrégation pour) l'unité des chrétiens. Mais ils n'ont pas réussi (ndt: sans doute parce que le premier ne le voulait pas!!).

(Anecdotes personnelles)
- Votre Excellence, vous avez insisté sur la simplicité de votre supérieur. Votre conversation au sujet de votre ordination épiscopale est presque devenu une anecdote.
- Quand j'ai accepté ma nomination par écrit comme évêque de Radom , je suis allé chez le Cardinal Ratzinger. Au cours de la conversation, je me suis soudain levé, il m'a regardé d'un air perplexe, et j'ai dit: "Pendant tous ces jours, je n'ai jamais demandé quoi que ce soit, mais maintenant, je vous demande, Monsieur le Cardinal, de m'ordonner évêque". Il a été surpris. Il m'a regardé et m'a répondu: "Je ne suis pas digne".
Et j'ai dit: "Non, c'est moi qui ne suis pas digne".
"Si aucun de nous n'est digne, alors faisons-le", a-t-il souri. Et puis, il a demandé: "Mais dans quelle langue? Je ne sais pas le polonais ".
J'ai proposé le latin. Et il a répondu: "Qu'est-ce que les gens de Radom vont dire? Ils doivent nous comprendre". "Nous allons préparer des livrets avec la traduction" ai-je répondu.

- C'était une preuve de sa grande intuition sacerdotale.
- Oui! Je connais beaucoup d'autres exemples de l'humilité du cardinal. Vingt collaborateurs de la CDF ont pris le même avion vers Radom, pour mon ordination. Quand j'ai proposé au Cardinal une place en classe affaires, il a refusé. "e vais m'asseoir avec les autres", a t-il répondu.
Ensuite, dans l'avion, on lui a offert une place en classe affaires, mais là encore, il a refusé. Le vol a été retardé d'une heure mais il était debout à attendre humblement. C'était très édifiant pour nous.
Une autre histoire. L'épiscopat américain avait invité le cardinal Ratzinger aux États-Unis . Il ne vint pas à l'esprit du Père Thomas, l'américain qui organisait ce voyage, de se procurer un visa pour le Cardinal. Ils atterrirent à New York. Le Père Thomas est passé par la sortie pour les citoyens américains, et le Cardinal est resté patiemment debout dans une file d'attente pour les étrangers. Le Père Thomas a été à la recherche des bagages, et le Cardinal attendait. Un quart d'heure, une demi-heure, voire plus. A la fin, il s'est approché du bureau d'immigration. Il a remis à l'agent d'immigration son passeport de l'État de la Cité du Vatican.
L'agent l'a dévisagé et lui a demandé quel était le motif de sa visite: était-ce un voyage d'affaires ou de loisirs (tourisme)? Surpris, il a souri: "Je ne sais pas ...". L'agent d'immigration a déclaré: "Je ne peux pas vous laisser passer, mon père. Vous n'avez pas de visa ". Il a pris son passeport allemand, mais elle a répondu: "Vous avez quand même besoin d'un visa". Le Cardinal attendait humblement devant le bureau. Le Père Thomas a vu de loin qu'il y avait une sorte de problème et il a crié: "Savez-vous que cet homme est le Cardinal Ratzinger?" Et elle a répondu: "Mais il n'a pas de visa!"
Le Père Thomas a houspillé les responsables de l'aéroport et le Cardinal a obtenu un visa de 30 jours. Il a visité différents diocèses, fait des prédications. Au cours de sa dernière réunion en Philadelphie il a relaté cette histoire. À la fin, il a ajouté: "Maintenant, je sais la raison de ma visite: il s'agissait d'un voyage d'affaires et de loisir". Tout le monde s'est mis à rire.

- Avez-vous passé des vacances ensemble?
- Oui. Une fois que nous avons passé une semaine dans le sud-Tyrol (Bressanone, ndt) . Nous avons fait des randonnées en montagne. Ces marches ne sont pas très difficiles, mais nous avons beaucoup marché. La grand-mère du cardinal venait du sud-Tyrol, ainsi, il s'est repu du paysage, et l'a admiré.
Une autre fois, nous sommes allés faire un voyage dans les Abruzzes. Je m'en souviens bien, nous avons rencontré un berger, là. Un homme simple, pas rasé, avec son troupeau. Il s'est approché de lui. Ils ont commencé à parler. Et puis j'ai eu une idée lumineuse: je dois prendre une photo, car il s'agit d'une réunion de deux bergers!

- Et comment le Cardinal Ratzinger priait-il?
- C'est un homme de profonde prière. J'ai remarqué qu'il aimait surtout la prière des Psaumes. Il s'arrêtait souvent, absorbé dans la prière du bréviaire.
Il disait la messe chaque matin. La seule personne qui y participait (au début) était sa sœur: une femme simple, modeste. Je me souviens combien il prenait soin d'elle, la guidant dans Rome . Sa mort soudaine a été un grand choc pour lui. Elle s'était rendue sur les tombes familiales, et est décédée subitement (le 2 novembre 1991, ndt). Il l'a supporté avec une grande foi - il avait écrit un livre sur l'eschatologie, après tout - mais vous avez pu voir combien il a souffert.
Moi aussi, je disais la messe tous les jours, et tous les jeudis le Cardinal venait à la fin de la messe. Il a toujours été à l'heure pour la bénédiction. Il rangeait son bréviaire et faisait un signe de la croix.
Au début cela m'intimidait: moi, un simple prêtre, bénir le Préfet de la Congrégation en personne. Mais maintenant je suis fier du fait que, pendant une dizaine d'années, une fois par semaine, j'ai béni le futur pape.

- Votre Excellence, vous avez bien fait ...
- Oui, une bénédiction de "prise"! (Rires)

- Votre Excellence, vous avez dit que le pèlerinage à Cologne a réveillé l'Allemagne. Y a t-il eu des suites?
- Je pense que oui. Sur la place Saint-Pierre, il y a des foules de plus en plus nombreuses en provenance de Bavière, d'Allemagne. Par exemple, parmi les 60.000 pèlerins, il pourrait y en avoir 10.000 venant d'Allemagne .

- Et comment Benoît XVI - un intellectuel timide, un pilier de bibliothèque - s'arrange t'il avec la foule?
- Je l'ai vu à l'oeuvre à Cologne. J'ai été ému. Je me suis dit: "Oh, Monsieur le Cardinal, où en êtes-vous arrivé?" J'ai été touché, quand je l'ai vu, un homme d'une grande délicatesse, prêcher à plus d'un million de pèlerins.
Il s'agit d'une situation nouvelle: le cardinal, alors qu'il était préfet, ne pouvait pas caresser les enfants sur la Place Saint-Pierre, car il se disait qu'il ferait concurrence au Pape. Il a juste fait fidèlement ce qu'il était censé faire.
Mais à Cologne, j'ai vu la puissance de l'Esprit Saint. Comme il y a 2000 ans, où il a "secoué" les Apôtres à la Pentecôte, aujourd'hui, il secoue ce théologien modeste.
Ce qui est intéressant, c'est que Benoît XVI a parlé à chaque nation, sur ses problèmes: aux Français, il a parlé de la messe dominicale, aux Italiens du Catéchisme de l'Eglise, il a remercié les Polonais pour leur attachement à la foi. A Cologne, je n'ai pas vu un intellectuel modeste. J'ai vu un prophète.