"Mon" Ratzinger (I)


Lors de la présentation de la biographie d'Elio Guerriero "Benedetto XVI, Servitore di Dio e dell’umanità", le principal orateur, le Père Lombardi, s'est vraiment surpassé. Il nous offre son témoignage (vraiment) personnel, avec des anecdotes touchantes et inédites et c'est une très belle surprise. Première partie (3/10/2016)

>>> Voir aussi
¤ Une interview de Benoît XVI (Guerriero a rencontré Benoît XVI et s'est entretenu avec lui, et l'"interview" a été jointe en annexe à son livre, et publiée en avant-première dans La Repubblica)
¤ Benoît XVI,"un honnête homme"
¤ Une biographie très opportune?



D'abord, un préambule nécessaire: à quel titre le Père Lombardi, qui fut de 2006 à 2016 directeur de la Salle de Presse du Vatican, assumant (plus ou moins, et plutôt moins que plus sous Benoît XVI) les fonctions de porte-parole du Pape, était-il invité à présenter un livre sur le Saint-Père (une présentation à laquelle, par ailleurs, Georg Gänswein était - curieusement - absent, alors que l'autre invité-vedette était le désormais incontournable fondateur de Sant-Egidio, Andrea Riccardi)?
Eh bien, depuis le 1er août 2016, Federico Lombardi est le président de la Fondation vaticane Joseph Ratzinger – Benoît XVI.
Carlota me transmet à ce sujet un article du 29 septembre publié sur le portail espagnol Religion en libertad, dans lequel l'ex-directeur de Radio Vatican explique dans quelles circonstances il a accepté cette nomination. Et c'est loin d'être inintéressant....

Le 28 septembre dernier, de passage à Madrid, Federico Lombardi, qui fut de nombreuses années directeur de Radio Vatican et aussi directeur de la Salle de Presse du Vatican, a expliqué comment il est devenu président de la Fondation Josepht Ratzinger, qui promeut la recherche théologique avec des prix importants aux chercheurs qui innovent (mais sont fidèles au Magistère), ainsi que l’étude des œuvres de Joseph Ratzinger.
«Le Pape François m’a dit: "Tu vas laisser la Salle de Presse et tu iras à la Fondation Joseph Ratzinger". Et j’ai pensé : je ne sais pas si c’est ce qui me convient, organiser des congrès et des choses de ce genre. Mais après, j’ai compris qu’avoir travaillé avec Benoît XVI a été très important pour moi, et pouvoir continuer à travailler avec lui était une opportunité, un don. J’ai ressenti comme un don de pouvoir être près du Pape émérite dans cette période fondamentale, la période de sa préparation à la rencontre avec Dieu ».
Le père Lombardi a ajouté: «Ce livre de conversations de Benoît XVI avec le journaliste Peter Seewald, "Dernières conversations", a comme valeur fondamentale sa préparation à la rencontre finale de la vie, avec une prière et une sincérité qui peut tous nous aider dans notre prière et notre spiritualité».
Lombardi a expliqué que Benoît XVI lui a bien décrit les fonctions de sa fondation. «Benoît m’a dit que c’était très important que nous aidions au développement d’une théologie dans l’Église, qu’elle soit insérée profondément dans l’Église, et que nous contribuions à cette théologie depuis l’intérieur, non pas depuis l’extérieur, c'est-à-dire pas avec des interventions disciplinaires de la part de la hiérarchie. C’est intéressant que ce soit un Pape qui a été Préfet de la Doctrine de la foi qui dise cela. Il veut qu’il y ait une recherche de la vérité, que cette réflexion grandisse, en positif. Je crois que c’est pour cela qu'il a écrit ses livres sur Jésus».

L'exposé du Père Lombardi

Rome, 27 septembre 2016
www.fondazioneratzinger.va


VALEUR ET CARACTÉRISTIQUE D'UNE BIOGRAPHIE


L'oeuvre d'Elio Guerriero que nous présentons ce soir est vraiment la bienvenue. Je pense qu'on peut dire en toute sérénité que c'est la première vraie biographie de Joseph Ratzinger-Benoît XVI, qui couvre la totalité de sa vie, de la naissance à aujourd'hui. Une vie qui est en cours et qui est encore en mesure d'offrir des surprises et des dons - comme le récent livre de conversations avec Peter Seewald - mais qui est dans l'ensemble accomplie en ce qui concerne les activités publiques, les publications et l'enseignement.
Nous avons déjà eu des présentations intéressantes de périodes spécifiques de la vie du pape émérite, comme sa propre "Autobiographie", qui reste une référence essentielle sur la première partie de sa vie, jusqu'à 50 ans, soit la nomination comme archevêque de Münich. Nous avons un livre intéressant de Gianni Valente sur le "Professeur Ratzinger", un grand recueil de témoignages sur la période d'enseignement de Ratzinger dans les différentes universités allemandes. Il y a un grand livre en allemand sur la période du gouvernement de l'archidiocèse de Münich. Il y a quatre livres d'interviews, aujourd'hui devenus cinq, de Messori et Seewald sur la période de service en tant que préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et plus tard comme Souverain Pontife. Il y a plusieurs autres contributions, naturellement de profondeurs variées, sur la période d Pontificat, comme le récent livre de Roberto Regoli (Oltre la crisi della Chiesa) ...
Mais personne n'avait encore tenté le dessein global et unitaire de rendre compte de l'extraordinaire aventure humaine, culturelle, spirituelle, ecclésiale de Joseph Ratzinger.
C'est ce que fait aujourd'hui Elio Guerriero, bien équipé pour le réaliser par une connaissance personnelle depuis des décennies de l'objet de sa biographie et une lecture constante et approfondie de son oeuvre, ayant longtemps été Directeur de l'édition italienne de la revue théologique Communio, née justement d'un projet dont Ratzinger fut un protagoniste. Guerriero a traduit et supervisé un grand nombre des écrits de Ratzinger publiés en italien.
La compétence théologique de Guerriero et sa connaissance de la pensée de Ratzinger affleurent constamment dans le gros volume que nous avons entre les mains et en expliquent aisément une caractéristique évidente et importante. Cette biographie est non seulement l'histoire d'une succession d'événements à travers lesquels le protagoniste se déplace à partir de sa Bavière natale, en passant par différentes étapes dans les villes universitaires allemandes, jusqu'à Münich et enfin Rome, mais c'est aussi, et à certains égards encore plus, le récit d'une histoire spirituelle et culturelle caractérisée par une vocation à la recherche et à l'enseignement de la théologie, donc une biographie d'une richesse exceptionnelle de contenu de pensée, ce qui rend la lecture quelque peu difficile pour ceux qui n'ont pas un certain goût pour la réflexion théologique et une certaine familiarité avec elle.
En somme, on ne peut pas raconter la vie de Ratzinger en faisant abstraction du fait que c'est la vie d'un théologien, d'un «homme de pensée», qui le reste encore en tant que Pape. Si on la raconte, il faut nécessairement raconter les thèmes qu'elle affronte et la façon dont elle les affronte, quels sont les problèmes qu'elle voit face à elle et à l'Eglise dans le développement de la recherche et plus largement dans le débat culturel, quels sont les défis et les risques pour la foi du croyant et de la communauté, quelle est l'expérience et l'attitude spirituelle qui accompagne sa réflexion intellectuelle.

ASPECTS ET MESSAGES D'UNE VIE D'ENGAGEMENT THÉOLOGIQUE POUR L'EGLISE


Dans ce contexte, je veux souligner trois aspects, pour lesquels je crois que la biographie de Guerriero nous aide à prendre conscience des événements et des étapes fondamentales dans l'histoire récente de l'Eglise tels qu'ils sont vécus par Ratzinger.


Le Concile Vatican II.


Le fait que le Concile ait eu lieu il y a désormais cinquante ans a conduit beaucoup d'entre nous à ne pas savoir ou à oublier le rôle important du jeune professeur Ratzinger dans les événements de la préparation et de la conduite du Concile, auquel il a participé en tant qu'expert du cardinal Frings. Ses interventions ont été multiples, mais Guerriero nous aide à bien comprendre, et en profondeur, sa contribution principale et décisive dans le débat crucial sur le «Schéma sur les sources de la Révélation», et ensuite sur le thème central de la relation entre Écriture, Tradition et Magistère; et il met bien en relief comment justement dans ce débat, et dans la perspective qu'à la fin le Concile adoptera, Ratzinger met à profit les grandes intuitions sur le thème de la Révélation de Dieu qu'il avait conçues dans sa célèbre et douloureuse thèse sur saint Bonaventure et sa théologie de l'histoire.
Et pas que cela: Guerriero nous aide à comprendre comment cette même ligne de réflexion se poursuivra et se retrouvera dans le travail du Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (en particulier sur la théologie et l'interprétation de l'Écriture, auxquelles seront consacrés les importants documents de la Commission théologique internationale et de la Commission biblique), et enfin inspirera toute sa grande oeuvre sur Jésus, véritable point culminant du pontificat et de la vie toute entière de Ratzinger, croyant, théologien et pasteur de l'Eglise universelle.
À cet égard, qu'il me soit permis de souligner que, dans quelques mois sera publié dans la version italienne le premier des deux volumes des Opera Omnia dédiés au Concile Vatican II, et pour l'année prochaine la sortie du tome des Opera Omnia dédié à saint Bonaventure est programmée, accompagnée par une importante conférence à l'Université grégorienne pour le huitième centenaire de la naissance du saint. L'occasion ne manquera donc pas d'approfondir et de mettre en pleine lumière ces contributions fondamentales de Ratzinger à la théologie et à la doctrine de l'Eglise.

Qu'est-ce que la théologie dans l'Église?


Dans la vie de Joseph Ratzinger un aspect évident est la distance croissante entre lui et d'autres théologiens allemands (dont Küng deviendra l'exemple le plus éclatant) dans la période post-conciliaire.
Je pense qu'il est important de comprendre que la racine de la divergence n'est pas superficielle, mais concerne la nature même et la finalité de la théologie dans l'Eglise.
Dans une réponse contenue dans ses «Dernières Conversations», Benoît l'explique simplement ainsi: «Je vis que la théologie n'était plus l'interprétation de la foi de l'Eglise catholique, mais établissait elle-même ce qu'elle pouvait et devait être. Et pour un théologien catholique, comme je l'étais, ce n'était pas compatible avec la théologie» (p.149).
Ailleurs, il a mis en lumière qu' «une Église sans théologie s'appauvrit et devient aveugle, une théologie sans Église se dissout dans l'arbitraire» (Guerriero page 238), ou encore: la théologie présuppose la foi, «elle vit du paradoxe de l'union de la foi et de la science» (G page 239).
Selon une expression célèbre de Balthasar la théologie se fait «à genoux», la théologie devient «prière». Ainsi croît l'harmonie avec de Lubac et Balthasar et naît la revue Communio, comme une alternative à la revue Concilium. De Communio Ratzinger est l'un des principaux inspirateurs et il y publiera de nombreuses contributions. Sur tout cela Guerriero peut parler avec ûreté et autorité, ayant été pendant des décennies contributeur et directeur de l'édition italienne de Communio.

Très intéressant, ce qu'il écrit sur la façon dont Ratzinger, qui vit et ressent son identité de théologien, accepte et interprète la nouvelle difficile tâche de Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, normalement considérée comme celle de «gardien de l'Orthodoxie», et s'emploie à la vivre selon l'esprit de la réforme de Paul VI, qui voyait la Congrégation non seulement dans une fonction de correction des erreurs, mais encore plus dans une fonction de proposition, pour promouvoir la doctrine de la foi, soulignant ses aspects positifs. C'était très difficile, comme il ressort des différentes situations et cas très débattus, que Guerriero rapporte de façon objective, rappelant des affaires comme les cas Curran et Schillebeeckx, et l'Instruction Donum veritatis, qui visait justement à apaiser le climat en présentant de manière équilibrée la relation entre magistère et théologie: «Le magistère et les théologiens ont des fonctions différentes, mais le même objectif: préserver le peuple de Dieu dans la vérité et en faire ainsi la lumière des nations» (G p. 243).

Ce souci du rapport correct entre foi et raison, entre théologie et magistère, accompagne toute la vie de Ratzinger et explique, comme nous l'avons déjà mentionné plus haut, ses raisons de se consacrer avec passion à l'œuvre sur Jésus.
L'œuvre sur Jésus est un témoignage du pape théologien qui accompagne et guide de l'intérieur et non de l'extérieur le chemin de la théologie. Il y a quelques semaines, parlant avec lui au monastère Mater Ecclesiae, l'une des choses qu'il m'a dites et qui reste gravée dans mon esprit, et que je rapporte avec mes propres mots, est ceci: il faut aider le chemin de la théologie d'une manière positive, pour qu'elle continue à se développer dans l'Eglise, et cela doit se produire à partir de l'intérieur de la théologie elle-même, parce que de l'extérieur, avec des interventions de l'extérieur, on ne peut pas faire grand chose ... De là son désir permanent de favoriser une théologie intimement nourrie par la foi et le sensus Ecclesiae.

Ne pas oublier les questions ultimes.


A la page 159, Guerriero écrit: «L'eschatologie est l'une des grandes problématiques théologiques dans lesquelles, entre la fin du deuxième millénaire et le début du troisième, la voix de la Ratzinger s'est élevée non seulement en autonomie, mais presque dans la solitude. Là où la théologie et encore plus la prédication catholique semblent avoir remisé dans un coin cet argument auquel on réserve une allusion en passant, plus ou moins embarrassée, Ratzinger consacre à la réflexion sur les réalités dernières une attention qui n'est ni sporadique ni transitoire».
Ratzinger a longuement réfléchi depuis 1957 sur l'idée de l'âme, tenant son premier cours sur l'eschatologie à Freising, et vingt ans plus tard, alors qu'il enseigne à Ratisbonne, il publie dans la collection «Petite dogmatique catholique» un livre sur l'eschatologie, qu'il a toujours considéré comme son «oeuvre la plus élaborée et la plus précise», dans lequel, avec les écrits de christologie, «il a la conviction de dire quelque chose de nouveau et d'original dans le panorama de la théologie contemporaine» (p.162).
Il peut être opportun de rappeler également un document important de la Commission théologique internationale sur «Les problèmes actuels de l'eschatologie» (1990) auquel Ratzinger peut difficilement être considéré comme totalement étranger, bien qu'il ait toujours insisté sur la distinction entre les écrits signés par lui et les documents des organismes qu'il présidait.
Mais ici, je voudrais plutôt observer combien dans les «Dernières conversations» avec Seewald, la partie selon moi de loin la plus significative est son propre témoignage de croyant qui se prépare à la rencontre avec Dieu, et qui porte avec lui, dans sa méditation devant le mystère, également le fruit de sa longue réflexion sur les choses dernières. Je me réjouis donc que le prochain congrès théologique promu par la Fondation Ratzinger en collaboration avec la faculté de théologie de l'Université de la Sainte-Croix, au mois de Novembre, soit expressément dédié au thème de l'eschatologie et prévoit différentes interventions sur la contribution de Ratzinger dans ce domaine. Il me semble juste de rappeler avec une grande force l'importance permanente et inévitable des chose dernières, les 'novissimi' - la mort, le jugement, l'enfer, le ciel - si nous ne voulons pas tromper nos contemporains avec l'abandon des points vitaux de la foi chrétienne. Ratzinger, avec son courage d'aller souvent à contre-courant nous aide avec sa théologie et aujourd'hui avec son témoignage de vie face à la mort.


à suivre...