Sur La Bussola, le témoignage d’un médecin italien qui soigne des patients définis comme « en état végétatif ».


Le Dr Guizzetti (photo La Bussola)


« Laissez-moi vous expliquer comment on soigne les vies fragiles comme Vincent. »

Ermes Dovico
16 juillet 2019
La Bussola
Ma traduction

«La mort par déshydratation et dénutrition imposée à Vincent Lambert est signe d’abandon et de mépris de la valeur de la vie». «Le problème est qu’actuellement, une élite culturelle a fait passer une loi sur l’euthanasie pour une urgence, alors qu’en réalité l’urgence est de garantir une assistance». Entretien avec le Dr Giovanni Battista Guizzetti, qui à l’Institut Don Orione de Bergame s’occupe de 24 patients ayant un déficit de conscience. Et émoigne de l’importance pour ces personnes de leur relation avec leurs proches, source de richesse cachée.

«Pendant toutes ces années, je n’ai jamais reçu, même pas de manière voilée, de demande de suspension de traitement. C’est parce que les membres de la famille sont capables d’établir une relation nouvelle et différente avec leurs proches. Je me souviens qu’une fois une mère m’a dit: « Ma Maria est dans un état sérieux, mais pour moi c’est comme si je l’avais à nouveau mise au monde ». Et nous parlons d’une maman âgée. Consciente qu’elle pouvait avoir avec sa fille une relation nouvelle».

Giovanni Battista Guizzetti, chirurgien spécialisé en gériatrie, est responsable depuis 1997 de l’équipe du Centre Don Orione de Bergame, qui prend en charge 24 patients souffrant de lésions cérébrales graves, souvent définis en « état végétatif ».

L’expérience quotidienne vécue à Don Orione nous rappelle le grand don qu’est toute vie humaine, et tranche évidemment vec la mentalité d’euthanasie qui est promue dans nos sociétés, tristement mise en pratique avec l’euthanasie d’Etat sur Vincent Lambert, qu’on a fait mourir de faim et de soif. A la base de ce contraste, il y a précisément deux visions opposées de la vie, comme l’explique à nouveau le Dr Guizzetti dans cet entretien avec la Bussola.

Dr Guizzetti, comment avez-vous réagi à la nouvelle de la mort de Vincent ?
Comme toutes les personnes qui s’occupent de patients dans cet état, en ce sens qu’il y a un grand désarroi, parce que la mort telle qu’elle a été provoquée à Vincent – et avant cela à Eluana Englaro et Terri Schiavo – est une chose qui fait peur. Cette mort par déshydratation et dénutrition apporte de la souffrance à la personne, est un signe d’abandon et de mépris pour la valeur de la vie, dont nous devons prendre soin. Je suis de plus en plus bouleversé par le renversement du cadre général auquel nous assistons aujourd’hui, où s’affirment des droits qui n’existent pas dans la nature, comme celui d' »avoir » des enfants pour deux personnes du même sexe, alors qu’en même temps, on nie les droits naturels, qui découlent de notre expérience chrétienne, comme les soins,, l’alimentation, l’hydratation des personnes vivant dans de graves conditions de précarité et de handicap.

On a dit de Vincent qu’il était « un légume », mais alors pourquoi ont-ils humidifié ses muqueuses après l’interruption de l’hydratation? Cela veut-il dire qu’il souffrait ?
Oui, et ce n’est pas seulement la cavité buccale, car la déshydratation affecte tout le corps, même le cerveau. C’est ce qui cause la souffrance. Je pense qu’ils ont fait la sédatiion à cause de cela. Terri Schiavo a également reçu un sédatif à base de morphine parce qu’elle souffrait manifestement. Le problème est déjà en amont, et concerne l’introduction du terme « état végétatif », ce qui est faux d’abord parce que l’être humain n’est pas un légume et ensuite parce que « l’état » donne l’idée d’une chose cristallisée alors que la condition dans laquelle vivent les personnes ayant un grave manque de conscience varie toujours dans le temps et même plusieurs années après un événement aigu il existe la possibilité que ces personnes retrouvent une capacité pour les relations environnementales, avec leur père, mère, mari, épouse, etc.

Vincent a résisté 9 jours, sans eau ni nourriture. Comment expliquez-vous cette résistance, alors qu’on a été jusqu’à dire qu’il était mourant ou « en phase terminale »?
Assimiler l’état végétatif à une condition de fin de vie est un mensonge total. Dans mon service, j’ai des gens qui sont hospitalisés depuis 15-20 ans. Pour Eluana, l’agonie a été de 3-4 jours, pour Terri Schiavo de 14 jours, et pour Vincent 9 jours. Entre autres choses, à en juger par les images, Vincent semblait être dans un état appelé conscience minimale, parce qu’il interagissait avec sa mère, il tournait les yeux vers elle quand il lui parlait, des capacités que dans l' »état végétatif », par définition, on n’a pas.

Combien de patients avez-vous dans votre service aujourd’hui ?
Il y en a 24. Ils sont d’âge variable, maintenant nous avons un très jeune garçon et des personnes très âgées. Chacun est différent des autres. Il y en a qui ont un déficit de conscience très grave, et d’autres plus léger. Mais avec chacun, on peut construire une relation de soin et une relation personnelle avec les membres de la famille, qui sont très souvent présents, voire quotidiennement présents pour leurs proches. Ils les promènent en fauteuils roulants, ils leur parlent et sont en relation permanente avec eux.

Vous parlez beaucoup de « relation ».
La relation est fondamentale. Ce n’est pas facile à faire comprendre de l’extérieur, mais c’est comme si entre eux – maris, femmes, mères, pères, enfants – ils parvenaient à construire un dialogue, une communication à laquelle moi, par exemple, avec les personnes dont je moccupe, je ne parviens pas. Il y a toujours une relation très forte à la base. Les proches nous disent des choses qui nous paraissent impossibles d’un point de vue personnel: par exemple, que leur proche répond quand ils lui disent quelque chose, que parfois même ils prononcent quelques mots, que quand ils leur disent de leur serrer la main, ils la serrent, des choses qu’ils ne font peut-être pas avec moi. J’accorde toujours du crédit aux choses que les membres de ma famille me disent.

C’est comme une richesse cachée ?
Voyez-vous, nous avons aussi été témoins de rétablissements extraordinaire sde l’état de conscience de personne, sans avoir eu recours à un médicament ou à une thérapie médicale en particulier. Je suis convaincu que l’acte de mettre en relation – la compassion qui existe littéralement entre ces personnes – est lui-même un acte thérapeutique. Pour de nombreuses situations de récupération, il n’y a pas d’autres explications.

Dans un livre que vous avez écrit sur le cas de Terri Schiavo, vous avez souligné la dimension de mystère qui existe dans ces situations, non?
Oui, aujourd’hui nous faisons trop de déclarations sur l’état végétatif, l’absence de conscience, l’absence de capacité à percevoir la douleur, qui ne sont absolument pas démontrables, car la conscience est une dimension de l’expérience humaine qui n’est pas quantifiable. Je peux dire qu’une telle personne n’est pas capable de communiquer, mais je ne peux pas dire à quel point elle est ou n’est pas capable de percevoir le stimulus que je lui donne. Elle ne communique peut-être pas avec les canaux verbaux et gestuels que nous utilisons, mais elle a une capacité de compréhension – d’elle-même et de l’environnement qui l’entoure – que nous ne pouvons mesurer. C’est pourquoi je dis que c’est un mystère.

Vous l’avez déjà mentionné, mais quelle est l’espérance de vie habituelle de ces patients ?
Longue. Aujourd’hui, les techniques de soins se sont beaucoup améliorées. Le fait qu’une personne, en 10-15 ans, ne développe jamais d’escarres, soit nourrie, hydratée, mobilisée et transportée dans un fauteuil roulant – et donc stimulée sur le plan sensoriel – signifie que le confort de vie qui peut être donné à ces personnes est grandement amélioré. D’ailleurs, cette aide n’est même pas coûteuse. Le problème est qu’un jugement de valeur sur la vie est en jeu et qu’une partie de la société moderne rejette ces vies parce qu’elle les considère inutiles.

Tout à l’heure, vous avez parlé de rétablissement.
Oui, j’ai vu des patients qui se sont rétablis. Dernièrement, nous avons même dû laisser sortir deux personnes parce qu’elles n’étaient plus considérées dans un état de conscience végétative ou minimale, et dans notre département, les lits ne sont dédiés qu’à des personnes ayant une déficience très grave. Parce que ces personnes avaient beaucoup récupéré et ont maintenant la capacité de comprendre, de parler, de se nourrir, d’être nourris. Ils ont un tableau clinique de handicap sérieux, qui leur permet malgré tout de vivre une vie de couple.

En Italie, nous sommes pris entre la loi sur les DAT (directives anticipées) et l’ordonnance de la Cour constitutionnelle qui pousse à ouvrir la porte au suicide assisté.
Nous ne pouvons pas assimiler, comme le fait au contraire la loi, l’hydratation et la nutrition à un traitement thérapeutique; la tentative de les identifier comme traitement thérapeutique sert à pouvoir dire que l’eau et la nourriture sont futiles et disproportionnées. Mais elles ne sont certainement pas futiles parce qu’elles servent le but pour lequel elles sont garanties, à savoir permettre à la personne de continuer à vivre, et elles ne sont même pas disproportionnées car il s’agit tout au plus de placer un PEG (sonde gastrique percutanée). Il ne me semble pas que le fait de priver une personne handicapée de nourriture et de boisson soit la solution au problème : 2 000 ans d’histoire et de civilisation ne nous ont pas appris ces choses. Le fait est que, dans le moment historique actuel, une élite culturelle a fait de l’élaboration d’une loi sur l’euthanasie une urgence, alors qu’en réalité, l’urgence est de fournir une assistance.

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