Un historien polonais, spécialiste de la guerre froide vue du côté de l’Eglise, a découvert des informations troublantes en ‘épluchant’ l’agenda de Leonid Brejnev. George Weigel (repris ici par AM Valli) s’en fait l’écho.

[Original en anglais: First Things]


13 mai 1981

Cet étrange après-midi « tranquille » de Leonid Brejnev

Aldo Maria Valli
22 août 2019
Ma traduction

On parle à nouveau de l’attentat contre Jean-Paul II (13 mai 1981). George Weigel, biographe du saint pape, l’a fait avec un article dans lequel, s’inspirant des recherches les plus récentes de l’historien polonais Andrzej Grajewski, il se focalise sur les heures passées en cet après-midi dramatique par le très puissant Leonid Brejnev, alors secrétaire général du parti communiste soviétique.

« Historien polonais aux manières policées, un des plus grands experts mondiaux de la guerre froide côté Église », Grajewski a passé des années à examiner les dossiers des services secrets communistes et, bien que de nombreux documents aient été détruits en 1989, avec l’effondrement de l’Union soviétique, et que d’autres soient encore enfermés quelque part à Moscou, il a pu trouver de nouveaux documents. Parmi eux, les agendas de Brejnev, jour après jour. Et c’est précisément en analysant ces agendas que quelque chose de singulier a attiré l’attention du chercheur.

Mais d’abord, partons de ce que l’on sait.

« Nous savons – écrit Weigel – qu’à l’automne 1979, Youri Andropov, l’intelligent et impitoyable chef du KGB (les services secrets soviétiques) avait conclu que Jean-Paul II représentait une grave menace pour le système soviétique, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’empire soviétique. Nous savons aussi que le 13 novembre 1979, le Comité central du Parti communiste soviétique émit un décret autorisant l’utilisation de ‘tous les moyens disponibles’ pour prévenir les effets de la politique par laquelle Jean-Paul II dénonçait les violations des droits de l’homme par l’Union soviétique ».

« Nous savons aussi que l’assassin choisi, Mehmet Ali Agca, était un tueur à gages professionnel qui s’était évadé d’une prison militaire turque peu après la publication du décret de 1979 et avait reçu une formation complémentaire dans un camp syrien géré par les services de renseignement du bloc soviétique. Nous savons en outre qu’après avoir rencontré un officier du renseignement soviétique à Téhéran, Agca était entrée en Bulgarie avec l’aide des services de sécurité bulgares et avait vécu pendant deux mois dans un hôtel de luxe à Sofia. Enfin, nous savons que les ressources économiques d’Agca étaient gérées par un Turc, associé aux services de renseignements communistes, mort par la suite dans des circonstances inexpliquées.

« Ce que nous n’avons pas – poursuit Weigel – ce sont des documents donnant la preuve que tout cela a été fait sur ordre direct d’Andropov, ou du leader soviétique Leonid Brejnev, ou des deux. Mais nous savons que, étant donné que les services bulgares hésitaient même à changer la marque de savon dans les toilettes de leurs bureaux sans l’autorisation de Moscou, ils n’auraient certainement pas pu mener une opération contre Jean-Paul II seuls ».

Et aujourd’ui, grâce à Andrzej Grajewski, qui a concentré ses recherches sur les activités de Brejnev d’avril à mai 1981, nous savons quelque chose de plus.

« Au cours de son règne en tant que chef de facto de l’Union soviétique de 1964 à 1982, Brejnev n’a pas rencontré très souvent Andropov, le chef du KGB. Mais la fréquence de leurs rencontres a augmenté considérablement en avril et mai 1981, tout comme la fréquence de leurs conversations téléphoniques. Pourquoi cette intensification soudaine des contacts entre le leader soviétique et Andropov à ce moment précis ?

Se concentrant ensuite sur le jour de l’attentat, qui a eu lieu à 17 h 17 le 13 mai 1981, Grajewski a découvert qu’à cette date, après une réunion matinale avec une délégation du Congo pour signer divers accords, Brejnev s’est rendu vers 13 heures à son bureau au Kremlin, mais l’agenda ne dit pas si l’après-midi et le soir, il a rencontré quelqu’un ou a passé ou reçu des appels: vide complet.

Vous direz: qu’y a-t-il d’étrange ? Eh bien, ce qui est étrange, c’est qu’il s’agit d’un cas unique. Comme l’explique Grajewski, en fait, jamais, en presque dix-huit ans passés au sommet du système soviétique, Brejnev n’a eu des heures aussi tranquilles et vides, sans réunions, rendez-vous, coups de téléphone ou visites. D’où la question: attendait-il quelque chose ?

Mais il y a une autre circonstance significative. Et c’est qu’ « après 18 heures, c’est-à-dire immédiatement après qu’Agca ait tiré sur la place Saint-Pierre et que le pape ait été emmené à la polyclinique Gemelli, Brejnev a quitté le Kremlin et s’est rendu à sa résidence dans la banlieue de Moscou ». Puis le lendemain, le 14 mai, il a eu une réunion au Kremlin avec le ministre soviétique des Affaires étrangères, Andrei Gromyko, et le lendemain, le 15 mai, il a reçu Yuri Andropov ».

« Une telle séquence d’événements montre-t-elle que Brejnev a été informé de l’attentat? » Nous ne savons pas, répond Grajewski. Il n’en demeure pas moins que cet étrange après-midi du 13 mai 1981 est signalé comme un cas non seulement rare, mais unique.

Pour les historiens, il y a encore beaucoup à découvrir, mais en attendant, une nouvelle pièce a été ajoutée à une mosaïque qui attend toujours d’être complétée.

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