Andrea Gagliarducci a jusqu’ici tenté sans vraiment convaincre de résoudre la quadrature du cercle en restant le ratzingérien loyal qu’il a toujours été, tout en s’affirmant comme un un soutien inconditionnel du Pape (quel qu’il soit?). Il revient cette fois sur la récente mise au point de Benoît XVI dans la revue Herder Korrispondenz, et son ton est inhabituellement critique envers le pontificat actuel, qu’il met en garde contre l’oubli de l’essentiel (Dieu au centre) au profit de l’accessoire (l’immigration, l’écologie, les pauvres).


Le Pape François, face au Dieu en marge de l’histoire

Monday Vatican
Lundi 2 septembre 2019
Ma traduction

Benoît XVI en personne a voulu aborder certaines des questions soulevées après la publication de son essai sur la crise des abus. Il a donc écrit une brève lettre pour répondre à un commentaire du professeur Aschmann. Le commentaire et la réponse de Benoît XVI ont été publiés dans Herder Korrespondenz.
Benoît XVI a écrit: « Il me semble qu’Aschmann ne mentionne jamais le mot ‘Dieu’ dans son article de quatre pages, alors que je mets Dieu au centre de la question ».
Le Pape émérite a fait remarquer que dans son essai, il avait mis en évidence le fait qu’ « un monde sans Dieu ne peut être qu’un monde sans sens » et que « Dieu est absent de la sphère publique de la société occidentale et n’a rien à dire. C’est pour cela que la société occidentale perd de plus en plus la mesure de l’humanité. »
Benoît XVI a également souligné que « la majorité des réactions à mon essai ne touchent pas à la question de Dieu, et donc ce que je voulais souligner comme étant la question clé n’est pas abordé ».

Une fois de plus, Benoît XVI a mis le doigt sur l’essentiel et a montré en même temps une des limites du débat actuel. Son essai articulé sur la crise des abus ne portait pas sur la révolution sexuelle de 1968 et ne se voulait pas une analyse sociologique. Il s’agissait d’une réflexion approfondie sur les raisons de la crise et sur la façon dont elle a commencé.
Les différentes réactions au texte de Benoît XVI ont montré la teneur du débat, qui a aussi un impact sur le pontificat du Pape François. Si un pontificat qui se veut missionnaire se réduit à une lutte contre le cléricalisme, aux questions écologiques et à la crise migratoire, il y a un vrai problème.
Il est frappant de constater que le débat s’est éloigné de la crise de la théologie, thème central de l’essai de Benoît XVI. La théologie, et en particulier la théologie morale, n’était pas prête à relever les nouveaux défis qui ont suivi la révolution culturelle de 1968.
Jean-Paul II et Benoît XVI ont travaillé pour remettre Dieu au centre du débat. Ils n’ont pas été compris.
L’encyclique Veritatis Splendor et le Catéchisme de l’Église catholique, tous deux publiés en 1993, ont été conçus comme des outils pour mettre la vérité de la foi au centre. La décision de Benoît XVI de centrer son pontificat sur le thème de la vérité et de publier ses livres sur Jésus de Nazareth – réaffirmant la vérité historique des Evangiles – était une conséquence naturelle de cet effort.
Il s’agissait d’étapes visant à revenir à la vérité de la foi, et donc à la foi elle-même, à ramener Dieu au centre de la scène.
La question de Dieu a disparu du débat. Il y a d’autres questions sur la scène, comme l’option préférentielle pour les pauvres et l’engagement social de l’Église.
Le Pape François lui-même a cependant souvent mis en garde l’Église contre le risque de devenir une simple ONG miséricordieuse. Benoît XVI l’a souligné à maintes reprises, en particulier lors de son dernier voyage en Allemagne en 2011, quand il a fait remarquer que l’Église pouvait être riche et en même temps perdre de vue Dieu.
Aujourd’hui, en vue du Synode spécial sur la région panamazonienne, il existe une théologie allemande qui se concentre sur les questions sociales. C’est une théologie avec une perspective politique et sans la question de Dieu.

Si l’on regarde la discussion qui a suivi le Concile Vatican II, l’absence de Dieu était un leitmotiv. La théologie de la libération en est un bon exemple. Ce n’est pas par hasard que la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a publié deux instructions sur la théologie de la libération: l’une qui déplorait l’absence de Dieu dans son cadre, l’autre qui soulignait ses aspects positifs.
Une fois élu Pape, Benoît XVI a demandé que la question centrale de la conférence d’Aparecida de 2007 soit la présence de Jésus. Le thème de la conférence était initialement « Disciples et missionnaires de Jésus-Christ. Que tous puissent avoir la vie ». Benoît XVI voulut que l’autre phrase du titre – « Que tous aient la vie » – finisse par la précision: « en Lui. »

En 2014, le missionnaire de long cours Piero Gheddo a soulevé lui aussi la question de l’absence de Dieu dans la formation des prêtres, dans le débat, dans la pensée. Le P. Gheddo commentait la fermeture de l’un des magazines les plus influents sur les missions. Il a souligné que la crise de la mission était une conséquence du fait que les missions étaient devenues de simples agences sociales plutôt que des outils d’évangélisation, et que le Christ était laissé en dehors du débat.

Voilà comment le dernier texte de Benoît XVI a mis le doigt sur la question. Benoît XVI conclut par une simple déclaration : « La contribution d’Arschman, comme beaucoup des réactions que j’ai pu connaître, ne parvient pas à saisir le point central de mon argument. Ce fait montre à quel point la situation est grave, puisque le mot ‘Dieu’ semble être marginalisé de la théologie. »

C’est la question centrale. Le reste n’est que secondaire.

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