Le penseur français, grand prêtre du Nouvel Ordre Mondial et père du concept à la mode de « nouvel humanisme », (utilisé par le Pape, à l’occasion du lancement d’un « Pacte éducatif mondial » le 12 septembre, suscitant dans le milieu catholique une réaction de perplexité et de stupéfaction) était reçu par François en juin dernier. Hasard? (Luisella Scrosati).

Voir aussi:

François et Edgar Morin, 27 juin 2019
Photo ici

« Nous avons besoin d’un pacte éducatif mondial qui nous éduque à la solidarité universelle, à un nouvel humanisme. »

Pape François, message pour le lancement du Pacte éducatif, 12 septembre 2019

Veillez à ce que l’ennemi ne pénètre pas dans le champ du Seigneur pour semer l’ivraie au milieu du blé…. afin que les âmes ne soient pas séduites par un humanisme dangereux, et qu’une fausse doctrine ne soit pas introduite qui modifie la notion même de la foi.

Pie XII, Encyclique Mediator Dei, 20 novembre 1947

Il est désormais très difficile de ne pas voir, pour ceux qui ont des yeux et de ne pas comprendre pour ceux qui ont des oreilles. L’unique, le seul grand, extraordinaire, étonnement est que les évêques et les cardinaux se taisent. Mais comme me l’a dit hier un vieux prêtre qui n’a pas peur de parler, et l’a fait à plusieurs reprises : « Mais ils devront rendre compte… ». Peut-être certains d’entre eux n’y croient-ils plus.

Marco Tosatti

Nouvel humanisme: le christianisme vidé du Christ

Luisella Scrosati
16 septembre 2019
La NBQ
Ma traduction

Le projet du Nouvel Humanisme de Morin prévoit de retirer du christianisme l’affirmation que Jésus-Christ est l’unique Sauveur de l’homme, qu’il y a une seule Église, qu’il y a une seule Révélation. Ainsi, nous aurons une religion qui pourra s’intégrer dans le monde magnifique des hommes qui se reconnaissent dans l’unique horizon de la Terre-maison commune. L’universalisme authentiquement chrétien cède ainsi la place à la création d’un monde nouveau et d’un homme nouveau sans le Christ.

Nouvel humanisme: c’est l’expression que l’on retrouve depuis plusieurs jours sur les bouches et sous la plume de nombreux intellectuels, journalistes ou ‘toutologues » professionnels. Le La a été donné par le discours du Premier ministre en charge Giuseppe Conte, qui avait enfermé dans cette expression – et pas qu’une seule fois – rien de moins que « l’horizon idéal pour le Pays », notre belle et tourmentée Italie. La formule, enthousiasmante pour beaucoup, a résonné sinistrement à d’autres oreilles plus attentives, comme celles du Père Livio Fanzaga de Radio Maria, qui a identifié dans le noyau central du nouvel humanisme, articulé par le philosophe français Edgar Morin, un projet pour construire un monde nouveau, un homme nouveau sans le Christ.

Il est curieux de noter que Morin, justement lui, a été reçu en audience par le pape François le 27 juin dernier; la veille, il avait pu donner une conférence à la Villa Bonaparte, en présence de l’Ambassadrice de France auprès du Saint-Siège, Mme Élisabeth Beton-Delègue, et des membres du Corps diplomatique et de la Curie romaine. Thème? La convergence de sa propre pensée avec celle du Pontife actuel.

Comme par hasard, à peu près deux mois après cette rencontre, nous avons d’abord eu le discours de Conte, puis, le 12 septembre, François a proposé un « nouvel humanisme » avec un message vidéo, pour lancer un pacte éducatif planétaire. Le texte lu par le Souverain Pontife semble avoir été écrit par Morin lui-même, tellement on y voit revenir tous les thèmes qui lui sont chers: l’idée centrale de la Terre comme foyer commun de tous les hommes, la dénonciation de la fragmentation de la vie sociale et de la connaissance, l’importance d’un chemin éducatif pour former l’homme nouveau, qui sorte de la fausse rationalité, abstraite, sectorielle, dominante pour atteindre une rationalité supérieure, intégrée, ouverte et dialogique.

A première vue, la proposition de Morin pourrait sembler en harmonie avec l’exhortation bien connue de Benoît XVI d’élargir les horizons de la rationalité; et en fait, sur plusieurs points, l’analyse de Morin est même acceptable. Il y cependant un « mais », qui pour un chrétien n’est pas un détail mineur. Ce Pape qui voulait une raison plus ouverte à la réalité dans son ensemble, et donc aussi à la transcendance, est ce même Pape qui a mis en garde contre « les divergences profondes qui existent entre l’humanisme athée et l’humanisme chrétien; une antithèse qui traverse toute l’histoire, mais qui à la fin du second millénaire, avec le nihilisme contemporain, a atteint un point crucial » (Angelus, 9 août 2009). Par humanisme athée, il ne faut pas penser à un humanisme qui nie explicitement Dieu, qui combat les religions, mais à un humanisme qui érige « la liberté comme le seul principe de l’homme, comme une alternative à Dieu », transformant ainsi « l’homme en un dieu ». Dans ce projet, même les religions sont les bienvenues, à condition qu’elles acceptent de relativiser leur présomption d’être absolues; Dieu est aussi le bienvenu, à condition qu’il soit assis parmi les invités au banquet de cette nouvelle humanité de solidarité et ne prétende pas être l’Époux qui appelle aux noces et qui décide même de laisser dehors ceux qui ne portent pas l’habit nuptial.

Et en fait, c’est exactement le point de vue de Morin; le papillon du nouveau monde qui naîtra de la chenille actuelle (une image chère à Morin), à travers une métamorphose improbable mais possible, fera bien de ne pas se débarrasser de Dieu, car sinon « d’autres mythes seront toujours créés pour le remplacer », comme on l’a vu dans une interview au Monde des religions en 2012. L’important est de « prendre conscience de cet univers noologique, de sa force, de son énergie. Un mythe ne sait pas qu’il est un mythe, il pense qu’il est la réalité ». Nous devons donc être conscients que les formes religieuses sont des mythes, des créations de la pensée et des aspirations humaines, et donc respectables, à condition que nous commencions à « dialoguer avec ces mythes, en leur disant: ‘Ne me demande pas trop, ne sois pas despotique…’. Nous pouvons nous-mêmes leur demander, tant que nous les gardons, de ne pas nous étouffer ».

Dans un débat avec Tariq Ramadan, Morin s’était demandé pourquoi deux religions, l’Islam et le Christianisme, qui, selon lui, auraient le même Dieu, sont en conflit mutuel. « L’universalisme du message du Christ, c’est la fraternité, c’est la compréhension et la compassion, c’est le dieu miséricordieux capable de pardonner. Où est le mal? Dans la folie de l’absolu et de la vérité, dans la fin de l’espérance ». N’est-ce pas clair? La prétention d’absolu, de vérité, est le motif de l’opposition (exactement le contraire de ce qu’enseignait Benoît XVI); retirez du christianisme l’affirmation que Jésus Christ est le seul Sauveur de l’homme, qu’il y a une seule Église, une seule Révélation, etc. et enfin nous aurons une religion qui s’intégrera dans le monde magnifique des hommes qui se reconnaissent dans l’unique horizon de l Terre-maison commune.

Il ne faut pas être naïf au point de penser que Morin se limite à vaticiner ou à émettre quelque désir pieux, devant une tasse de thé et des biscuits. Le vieil intellectuel français n’est pas emmené dans le monde entier pour parler de complexité et de métamorphose par simple érudition; cette réalisation d’un monde nouveau, à travers une nouvelle éducation planétaire (c’est à ce thème qu’il a consacré les deux grands ouvrages pédagogiques « Une tête bien faite: réforme de l’enseignement et réforme de la pensée’ et « Les sept connaissances nécessaires à l’éducation du futur »), DOIT se produire et a besoin, à cette fin, d’un gouvernement.

Morin écrivait avec pas mal de toupet en 2002 (« Émergence de la société-monde ») : « Un gouvernement mondial démocratique, aujourd’hui, est hors de portée; toutefois, les sociétés démocratiques se préparent par des moyens non démocratiques, autrement dit par des réformes imposées ».

N’est-ce pas (là aussi) très clair? La difficulté de la création de ce gouvernement mondial est sous les yeux de tous: « L’exemple de l’Europe nous montre la lenteur d’un chemin qui nécessite l’accord de tous les partenaires ». Zut. Mais la solution est vite trouvée : « Il faudrait une augmentation soudaine et terrible des dangers, l’avènement d’une catastrophe pour constituer l’électrochoc nécessaire à la sensibilisation et à la prise de décision. A travers la régression, la dislocation, le chaos, les désastres, la Terre-Patrie pourrait naître d’un civisme planétaire, d’une urgence de la société civile planétaire, d’une amplification des Nations Unies, qui ne remplace pas les patries, mais les englobe« . (dans « Au-delà de l’abîme »).

En d’autres termes: les nouvelles générations devront être rééduquées, mais pour surmonter toutes les résistances, il faut accélérer le processus, générant l’anxiété de la catastrophe, économique, environnementale, sociale ou même la provoquant. De cette façon, il sera plus facile pour le monde d’invoquer la venue d’un rédempteur, qui sauve l’homme non pas du péché (qui n’est pas considéré comme un problème), mais de la faim, de la guerre, du réchauffement planétaire, de la maladie. Réelles ou de propagande: peu importe.

Il s’agit évidemment d’un projet anti-christique, vers la réalisation duquel nous avançons à grands pas. La rencontre annoncée par le Pape François pour le 14 mai 2020 entend-elle s’inscrire dans ce cadre?

Il est certain que la référence dans le Document sur la Fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune, signé le 4 février dernier à Abu Dhabi, semble la plus appropriée pour satisfaire le projet de Morin, en particulier la déclaration très contestée – laissée telle quelle – selon laquelle « le pluralisme et la diversité des religions, des couleurs, des sexes, des races et des langues sont une sage volonté divine avec laquelle Dieu créa les êtres humains ». Le prochain Synode sur l’Amazonie a déjà révélé dans son Instrumentum Laboris un idéal assez inquiétant, magnifiant les religions naturelles, sans dogmes et sans absolus (rappelons, en passant, que pour Morin les religions polythéistes sont meilleures car plus tolérantes et humaines) et en harmonie avec la Mère Terre.

En un peu plus d’un siècle, nous sommes passés de la relance de l’idéal de saint Paul instaurare omnia in Christo, par saint Pie X, à l’idéal d’un monde où Dieu n’est pas là et, au cas où il serait là, il est prié de contribuer à la cause de la maison commune, selon les règles que nous nous sommes données.

Le monde est-il prêt à accueillir la venue de celui qui apportera la paix et la prospérité au prix de l’apostasie ?

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