Certaines tribus indigènes pratiquent encore l’infanticide, bien que le cardinal péruvien Barreto (un jésuite), vice président du fameux REPAM et président-délégué du Synode ait renâclé à l’admettre. Entre-temps, un article opposé au projet de loi brésilien contre l’infanticide des indigènes a mystérieusement disparu d’un site lié à la conférence épiscopale brésilienne. Enfin, pas complètement: il a laissé des traces… gênantes. Les explications détaillées de Giuseppe Rusconi, qui couvre le Synode comme vaticaniste (et qui a transmis ses infos à Sandro Magister).

Voir aussi, de Giuseppe Rusconi, sur le Synode:

L’infanticide chez les indiens d’Amazone n’est pas vraiment inconnue; j’ai trouvé par hasard (en fançais) un article d’avril 2018 sur un site insoupçonnable, intitulé INFANTICIDE DANS LES TRIBUS AMAZONIENNES: JUSQU’OÙ FAUT-IL RESPECTER LES CULTURES AUTOCHTONES? (www.slate.fr)

 La tribu isolée des MashcoPiro
(JEAN-PAUL VAN BELLE)

Synode, infanticide dans certaines tribus indiennes

Réponse au cardinal Barreto

Giuseppe Rusconi
Rosso Porpora
9 octobre 2019
Ma traduction

Dans le briefing synodal d’hier, mardi 8 octobre 2019, le Cardinal Pedro Barreto a dit, en réponse à une question de notre part, qu’il n’avait jamais entendu dire qu’une vingtaine de peuples amazoniens pratiquent encore l’infanticide. Nous essayons ici de combler ses lacunes en matière de connaissances. Pendant ce temps, aux premières heures de la journée, la contribution citée de l’anthropologue Segato contre la loi anti-infanticide a disparu du site web de la Cimi, lié à la Conférence épiscopale du Brésil.

Qui est Pedro Ricardo Barreto Jimeno? Né à Lima en 1944, c’est un jésuite péruvien qui a reçu la consécration épiscopale en 2001 et a été nommé archevêque métropolitain de Huancayo en 2004 (toujours par Jean-Paul II). Jorge Mario Bergoglio l’a créé cardinal le 28 juin 2018. Il est vice-président de la Conférence épiscopale péruvienne, mais surtout vice-président du Réseau ecclésial panamazzonien (REPAM). Pas étonnant qu’il ait été nommé parmi les trois présidents-délégués de l’actuel Synode.

A ce titre, le Cardinal Barreto s’est présenté hier à une heure et demie au Bureau de presse du Saint-Siège, pour le briefing synodal habituel avec la Philippine Victoria Lucia Tauli-Corpuz (rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des peuples indigènes) et la Brésilienne Moema Maria Marques de Miranda (assesseur du REPAM, syndicaliste fervente).

Nous avons eu l’opportunité de pouvoir poser notre question – adressée au cardinal et à la représentante de l’ONU – qui ressemblait plus ou moins à ceci:

Un des leitmotivs de ce Synode est la représentation des peuples indiens comme s’ils vivaient dans le jardin d’Eden avant le péché originel. D’eux, l’on vante la pureté originelle et l’on exalte la relation harmonieuse avec la nature. C’est d’eux que nous devrions apprendre à vivre avec l’environnement. Cependant, encore aujourd’hui, une vingtaine de peuples amazoniens pratiquent l’infanticide. Et sur un site web de la Conférence épiscopale du Brésil, on trouve une contribution dans laquelle cette pratique est justifiée. Je demande donc si les droits de l’homme ont une valeur universelle pour vous ou s’ils s’appliquent aux uns et pas aux autres…

Dans sa réponse, Victoria Lucia Tauli Corpuz d’Ousia a reconnu que « l’on ne peut pas dire que tous les peuples indigènes, les peuples natifs, soient parfaits ». Et elle a ajouté : « Certaines pratiques sont incompatibles avec les droits de l’homme. Nous avons longuement discuté de cette question. La déclaration de l’ONU souligne que si les États veulent respecter les droits des peuples autochtones, ceux-ci doivent veiller à ce que leurs traditions soient conformes au droit international relatif aux droits humains. Les peuples autochtones ont dit qu’ils essaieraient de changer certaines traditions ».

Après elle est intervenu le Cardinal Barreto. Dans un premier temps, le président-délégué du Synode a lui aussi reconnu que « ce ne sont pas que des roses et des fleurs parmi les peuples indigènes ». Pour lesquels on ne peut pas parler de « pureté originelle, car cela signifierait méconnaître la nature humaine »; et pourtant « nous devons reconnaître leur sagesse ancestrale, parce qu’ils ont enrichi ce biome que l’Europe utilise ». Puis, « avec tout le respect que je vous dois », a poursuivi le vice-président du REPAM, « je n’ai jamais entendu dire que vingt populations amazoniennes pratiquent l’infanticide« . Et, en retirant ses écouteurs, il a fait remarquer que « ceux qui font de telles affirmations doivent apporter des preuves documentées ». Pour conclure, le cardinal Barreto a toutefois relevé que « toute vie humaine est sacrée. Si quelqu’un prétend que de telles pratiques sont possibles, il méconnaît le message de l’Evangile. La vie doit toujours être défendue ». En tout cas, « j’ai été évangélisé par les Indiens et ils continuent à m’évangéliser ».

A ce stade, étant donné que le Bureau de presse du Vatican n’autorise traditionnellement pas de réponse, nous le faisons par le biais de notre blog www.rossoporpora.org.

Nous fournissons au Cardinal Barreto les informations suivantes qui apparemment lui font défaut.


Le Parlement brésilien examine actuellement le projet de loi (PL) 1057/2007 du député Henrique Afonso, qui vise à interdire la pratique de l’infanticide dans les zones indigènes. La proposition a été approuvée par la Chambre des députés le 26 août 2015 avec 361 oui et 84 non. C’est le Sénat qui s’en occupe à présent. Dans le débat, très animé, s’opposent les raisons pour lesquelles les droits universels de la personne humaine (droit à la vie) reconnus par la Constitution brésilienne en vigueur et ceux des communautés indiennes (en particulier les plus isolées) de préserver leurs coutumes et traditions (comme indiqué dans la Constitution brésilienne elle-même). L’opposition au projet de loi est principalement composée d’anthropologues qui sont des admirateurs extrêmes de l’identité indienne.
Parmi les anthropologues les plus connus, opposants au PL 1057/2007, Rita Laura Segato de l’Université de Brasilia, dont le discours devant la Commission des Droits de l’homme de la Chambre est toujours lisible sur le site web du Conselho Indigenista Missionario (CIMI), « organismo vinculado à CNBBB (Conferência Nacional dos Bispos do Brasil) que hâ 45 anos atua em defensa dos direitos dos povos indigenas do Brasil« . Le titre de l’intervention de Segato est : « Que chaque peuple tisse les fils de son histoire » et le texte dit entre autres : « Quel État est celui qui prétend aujourd’hui légiférer sur la façon dont les peuples autochtones doivent préserver leurs enfants? Quelle autorité a cet Etat? ».

Le CIMI est un organe lié à la Conférence épiscopale du Brésil. Et sur son site Internet, il défend la pratique de l’infanticide, encore pratiqué aujourd’hui par certains peuples autochtones. Nous conseillons donc au Cardinla Barreto de recueillir des informations à ce sujet auprès de son confrère le cardinal Hummes, qui – en tant que brésilien et rapporteur général du Synode – doit savoir quelque chose sur cette grave question….
Que l’infanticide soit une pratique encore en usage de nos jours chez certains peuples indigènes (certains disent au moins 13, d’autres parlent de 20) est confirmé par La Repubblica, un quotidien comme nous le savons obliquement réactionnaire: voir l’article du 16 novembre 2010, dans lequel est interviewé le sociologue et anthropologue Giuseppe Bonazzi en visite chez les missionnaires de la Consolata parmi le peuple Yanomami. Ecoutez ce qu’il dit: « Chez ce peuple, les nouveaux-nés les plus chétifs, ou ceux dont la mère ne pourrait pas prendre soin parce qu’elle est encore occupée avec les frères et sœurs nés avant, ne sont pas acceptés et meurent ». Une déclaration pour le moins effrayante. Mais la Lettera 43, tout aussi obliquement réactionnaire, contient également un article intitulé: « Le Brésil va-t-il changer la loi qui permet aux peuples indigènes de tuer des enfants? ». Il vaut la peine de signaler le début:

« Certaines tribus indigènes du Brésil pratiquent l’infanticide. Et, aussi étrange que cela puisse paraître, la loi brésilienne les y autorise. Mais à présent, le pays sud-américain discute d’un projet de loi qui, s’il est approuvé, pourrait rendre cette pratique illégale. Le débat est très animé. (….) La journaliste Cleuci de Oliveira y a écrit un approfondissement intéressant pour Foreign Policy. Il faut dire, cependant, que la question ne concerne qu’une minorité de tribus brésiliennes: selon les estimations de Foreign Policy, seuls 20 groupes sur environ 300 le pratiquent: parmi eux il y a les Yanomami et les Suruwaha ».

Le sujet est également décortiqué sur le site Web brésilien www.jus.com.br (octobre 2017), sous le titre Infanticidio indigena. Dans l’introduction, on peut lire: « La pratique traditionnelle de l »infanticide indigène’ consiste en l’assassinat de créatures non désirées par le groupe et est commune à plusieurs tribus brésiliennes ». Dans la conclusion, l’affirmation est nette: « Le droit à la diversité culturelle ne peut en aucun cas légitimer la violation du droit à la vie. Par conséquent, toute tentative visant à justifier la pratique de l’infanticide ne peut être appuyée par aucune législation internationale ».

Le journal brésilien O Globo (réactionnaire oblique comme Repubblica et La Lettera 43…) a publié le 7 décembre 2014 les résultats d’une enquête d’une équipe journalistique appartenant au journal sur le Yanomami. L’enquête confirme qu’à la naissance d’un enfant, la mère va avec l’enfant dans la forêt, examine l’enfant et, si l’enfant a un handicap, rentre normalement seule à la maison. Ou bien: si l’on est en présence de jumeaux, la mère n’en reconnaît qu’un seul. L’acte de reconnaissance est symbolisé par l’allaitement et l’enfant est alors considéré comme un être vivant par la communauté.

Hier, le Cardinal Barreto observait: « Je n’ai jamais entendu dire que vingt peuples amazoniens pratiquent l’infanticide ». Et il a refusé de croire (avec force, même en marge du briefing) qu’un article s’opposant à l’abolition de l’infanticide chez les Indiens avait été publié sur un site web de l’Eglise brésilienne. Nous lui avons fourni des informations à ce sujet. Et il ne pourra que changer d’avis.


P.S. Nous avons inséré l’article dans www.rossoporpora.org peu après minuit. Dans la matinée, notre collègue Sandro Magister nous a dit que la contribution de l’anthropologue Rita Segato – opposée au projet de loi brésilien contre l’infanticide autochtone – mentionnée dans l’article avait disparu du site web du CIMI, le Conseil Missionnaire Indigéniste, lié à la Conférence épiscopale. Nous avons vérifié: c’était bien le cas. Si jusqu’à hier soir les contributions publiées de Rita Segato étaient au nombre de cinq, en quelques heures elles ont été réduites à quatre. A l’évidence, dans la nuit ou aux toutes premières lueurs de l’aube, quelques petites mains de Rome se sont tendues vers le Brésil pour annuler sur le site ecclésial l’intervention de Rita Segato devant la Commission des droits de l’homme de la Chambre des députés brésilienne. Malheureusement pour les censeurs maladroits d’hier, nous avions imprimé à la fois la page de la recherche sur Rita Segato et l’intervention de la même anthropologue (*). Bien sûr, ce matin, nous les avons scannées et envoyées à Magister, qui en a parlé dans son article « Infanticide en Amazonie. Il y en a aussi qui le défendent dans l’Église » (traduit en français sur diakonos.be).

(*) On peut encore accéder à la version pdf de l’exposé de Rita Segato dans le cache de Google (avis aux hispanophones…)

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