Alors que le célibat sacerdotal est ébranlé par des coups de bélier de plus en plus forts qui ont culminé ces derniers jours avec le Synode pour l’Amazonie, et que des lieux communs circulent, y compris parmi les catholiques, pour justifier son abandon, Luisella Scrosati fournit des contre-arguments utiles à ceux qui veulent résister, en replaçant cette pratique dans son contexte théologique, qui est la configuration du prêtre au Christ-Prêtre comme Époux de Son Eglise.

Le fait que, pendant le Synode amazonien, l’option d’un clergé marié mais continent n’ait pas du tout été prise en considération est déjà assez éloquent.

Luisella Scrosati

Célibat et continence, pourquoi en craindre l’abandon

Luisella Scrosati
La NBQ
5 novembre 2019
Ma traduction

Le paragraphe 111 du Synode sur l’Amazonie prévoit la possibilité d’ordonner prêtres des diacres permanents. Si le pape accepte la proposition, il y aura une violation de la loi de continence, qui est liée aux devoirs du ministère. En effet, la présence du prêtre célibataire ou du moins continent n’est pas seulement un rappel moral de la vertu de chasteté, mais c’est un signe de la relation sponsale du Christ Prêtre avec son Église. Chose qu’on oublie aujourd’hui.

A peine le temps de remettre les pères synodaux dans l’avion, et Mgr Vincenzo Paglia prend déjà le large. Dans un entretien avec Il Giornale, le Grand Chancelier du moribond Institut Jean-Paul II donne son avis sur le contenu du paragraphe 111 du document final, qui prévoit la possibilité d’ordonner prêtres des diacres permanents. Paglia a en effet déjà mis les pieds dans le plat, déclarant que ce n’est pas une possibilité qui ne concerne que l’Amazonie:

« Dans le paragraphe il est écrit que cette perspective exige une approche universelle, c’est-à-dire qu’on offre une ouverture que l’Église universelle doit identifier, s’il existe d’autres zones similaires. Le Pape François a répété à plusieurs reprises que des processus doivent être initiés. Ce n’est pas un diktat qui change l’histoire, c’est un processus à initier. L’Église répond à des besoins et doit trouver des réponses ».

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http://www.ilgiornale.it/news/politica/sacramenti-dai-diaconi-valga-tutti-1775798.html

Les prévisions de Mgr Paglia ont malheureusement beaucoup d’espoir de réalisation et pour diverses raisons. Mais pour l’auteur de ces lignes, il semble qu’il y ait un problème originel, qui a ensuite infecté le corps ecclésial, privant le sentiment catholique des anticorps nécessaires pour se défendre de ce piège. Même parmi les gardiens du célibat, la résistance est affaiblie par certains clichés: de toute façon, ce n’est pas un dogme de foi; au fond de l’histoire de l’Église, il y a toujours eu l’ordination des hommes mariés; en cas de besoin, l’exception confirme la règle, etc.

Le premier fait, sur lequel il faut réfléchir, est que pendant les sept premiers siècles l’Église a bel et bien connu l’ordination d’hommes mariés, mais à condition qu’ils embrassent la continence, à partir de l’ordination diaconale. En d’autres termes: la règle n’était pas que le clergé soit célibataire, mais qu’il soit continent; il n’y avait pas de distinction entre l’interdiction faite aux diacres, prêtres et évêques de se marier et l’interdiction que puissent être admises aux ordres majeurs des personnes n’ayant pas l’intention de vivre dans la continence, même si elles étaient mariées. Par conséquent, il n’était pas admis qu’un clerc marié fût autorisé à poursuivre ses relations conjugales avec son épouse légitime.

Ce n’est qu’à partir du Concile in Trullo en 692, dont les décisions sur la continence furent rejetées à la fois par le Pape Serge Ier et par le Pape Constantin Ier (bien qu’il eût accepté d’autres canons du Concile in Trullo), que l’Orient prit une autre voie. L’Église latine, en revanche, a maintenu la discipline, reconnue d’origine apostolique, de demander la continence aux candidats aux ordres majeurs, célibataires ou mariés.

Le fait que, pendant le Synode amazonien, l’option d’un clergé marié mais continent n’ait pas du tout été prise en considération est déjà assez éloquent.

Mais pourquoi l’Église antique, puis l’Église latine, n’ont-elles pas admis de concessions sur ce point? La clé de voûte est que la « loi indissoluble » de la continence, telle que la définit le Pape Siricius, est profondément liée aux devoirs du ministère, à l’offrande des sacrifices. L’Église antique n’en dit pas beaucoup plus, mais nous fournit un indice important, qui, à la lumière des développements les plus récents, nous permet de saisir le cœur de l’obligation de la continence.

Nous savons bien que le sacerdoce ordonné diffère essentiellement du sacerdoce baptismal commun, par sa configuration particulière au Christ Prêtre. On peut exercer le ministère sacerdotal du Christ parce qu’on a reçu un sacrement qui associe à Son sacerdoce. Par le baptême, nous sommes incorporés dans l’Église (et donc dans le Christ), mais celui qui reçoit l’ordination se déplace, pour ainsi dire, du côté du Christ Prêtre et se tient « devant » l’Église. Comme l’a brillamment souligné Marianne Schlosser [1], dans son récent discours au symposium « Les défis actuels de l’ordre sacré » (28 septembre 2019, Collège Pontifical Teutonique), « celui qui reçoit le sacrement de l’ordination sacerdotale est habilité à ‘représenter’ le Seigneur de l’Église, à rendre visible en elle le Christ comme contrepartie permanente de l’Église ». Le Christ se tient face àl’Église, comme Adam à Eve, et l’unit à Lui, devenant une seule chair avec elle, comme l’époux avec l’épouse.

C’est exactement l’enseignement de saint Paul (cf. Eph 5, 30-31) sur le sacrement du mariage, en relation avec le Christ Époux et l’Église Épouse. Et le Christ reconquiert son Épouse, qui était devenue une prostituée précisément par son sacerdoce, dans lequel Il s’offre sur l’autel de la croix. Saint Jean révèle ce sens sponsal, pré-annoncé lors des noces de Cana (cf. Jn 2, 1-11), dans son récit de la crucifixion, quand l’Église, présente sous la croix en la personne de Marie Très Sainte, naît du côté ouvert du Christ, comme la nouvelle Eve née du flanc du nouvel Adam et donc appelée à faire avec lui à nouveau une seule chair. C’est encore dans le quatrième Évangile que nous avons la confession de la relation sponsale entre le Christ et l’Église, par la bouche du Baptiste, ami de l’époux:  » Celui à qui l’épouse appartient, c’est l’époux ; quant à l’ami de l’époux, il se tient là, il entend la voix de l’époux, et il en est tout joyeux. Telle est ma joie : elle est parfaite.  » (Jn 3,29).

Le Christ est donc l’Époux-prêtre ; c’est dans ce contexte que nous devons comprendre le sens de son célibat. Le choix du Seigneur Jésus n’a pas été un choix « personnel », en ce sens qu’il n’était pas l’expression d’une sensibilité privée ou d’une exigence ascétique; son célibat est une conséquence de son mariage avec l’Église. Jésus n’avait pas d’épouse en chair et en os, précisément parce qu’il devait unir à Lui une autre épouse: l’Église. Son corps est resté vierge, parce qu’il devait être offert totalement à son épouse sur la croix, tout comme dans le mariage charnel les époux se donnent réciproquement et exclusivement également à travers leur propre corps, ce qui signifie le don plus complet de leurs propres personnes.

Il existe donc un lien essentiel entre le sacerdoce du Christ, son caractère sponsal et son célibat. Puisque le prêtre est configuré au Christ, il est aussi configuré à son statut d’époux et au célibat, et il est donc appelé à vivre son statut d’époux avec l’Église dans son propre corps. C’est en ces termes que saint Jean Paul II s’exprimait dans Pastores dabo vobis :

« [la loi ecclésiastique sur le célibat], en tant que loi, exprime la volonté de l’Église, avant même la volonté du sujet exprimée par sa disponibilité. Mais la volonté de l’Église trouve sa motivation finale dans le lien que le célibat a avec l’ordination sacrée, qui configure le prêtre à Jésus-Christ, Chef et Époux de l’Église  » (§ 12).

Il est alors évident, comme le dit encore clairement Schlosser, que « précisément parce que le mariage n’est pas une question périphérique de la vie humaine, mais une communion unique et exclusive entre un homme et une femme qui forme et revendique profondément les deux personnes dans toutes les dimensions, on peut entendre qu’un homme qui a été impliqué avec toute sa personne dans la mission du Christ, ne peut appartenir à une autre personne humaine, comme un époux à sa femme ». C’est pourquoi la loi de continence implique que le prêtre ne se marie pas et que ceux qui sont mariés ne soient pas ordonnés, à moins qu’ils ne cessent leur relation conjugale avec leur femme, comme en témoignent de nombreuses sources dans l’Église ancienne.

Il est essentiel de comprendre que la présence du prêtre célibataire ou du moins continent n’est pas seulement un rappel moral de la vertu de chasteté, mais est le signe de la présence du Christ Époux et Prêtre dans son Église; le Christ veut demeurer dans son Église, affirme encore Schlosser, « non seulement comme don de salut », c’est-à-dire dans l’Eucharistie, « mais aussi comme donneur », c’est-à-dire comme prêtre et époux. C’est cette permanence qui nous révèle le sens véritable et surnaturel de l’Église et de chaque âme, c’est-à-dire l’appel au don total au Christ. Ex parte Ecclesiae, la virginité consacrée rend présente dans sa propre chair la vocation des hommes à s’unir au Christ Époux; ex parte Christi, au contraire, le prêtre continent rend présente l’attente de l’Époux de s’unir à l’épouse.

Si le pape acceptait la proposition présente au §111 du document du Synode, nous serions confrontés à une authentique violation de la loi de continence, parce que, dans le but de combler le manque de vocations, une classe de prêtres uxorati serait en fait créée, non tenus à la continence; ce qui signifie envisager deux manières de vivre la conformation au Christ: un continente et l’autre non, en d’autres termes, une configurée à son caractère sponsal et l’autre non.

Et il est à craindre que cet abandon se produira, conséquence inévitable d’une compréhension sécularisée de l’Église et de sa mission. Si la mission de l’Église devient principalement, ou même exclusivement, de nature humaine, quand ce n’est pas mondaine, il est clair que le ministère sacerdotal se décline de façon de plus en plus fonctionnaliste, au point de perdre de vue sa nature d’épiphanie du sacerdoce et du caractère sponsal du Christ.

Dans une Église qui se comprend elle-même comme une association caritative, un hôpital de campagne, un distributeur automatique de sacrements, un mouvement pour une écologie intégrale, il n’est plus nécessaire d’avoir un clergé exclusivement continent, sinon pour la plus grande disponibilité de temps qu’il peut avoir, pour sa plus grande mobilité ou encore par respect de la valeur de la chasteté, mais non plus pour la signification sponsale imprimée dans son corps; elle n’est plus l’incarnation du sacerdoce et du caractère sponsal du Christ. Le célibat peut donc continuer à être compris comme une valeur que certains, peut-être la plupart, continueront à choisir; mais ce n’est certainement plus cette « loi indissoluble » qui exprime la relation exclusive entre le Christ et l’Église.

De même que la fidélité dans le mariage avec son conjoint est toujours une valeur à laquelle on a cependant voulu associer la « valeur » de la fidélité envers une personne qui n’est pas son conjoint. Mais cela, c’était un autre Synode, auquel le Synode amazonien s’avère profondément lié. Dans la trahison du Christ et de l’Église.


NDT

(1) Elle a fait parler d’elle en septembre dernier, je cite Yves Daoudal:

La Bavaroise Marianne Schlosser, professeur de théologie à l’Université de Vienne, membre de la Commission théologique internationale, prix Ratzinger 2018, conseillère de la commission doctrinale de l’épiscopat allemand, refuse de participer au « parcours synodal contraignant » qu’entreprennent les évêques allemands et le « comité central » des laïcs (…).

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http://yvesdaoudal.hautetfort.com/archive/2019/09/23/elle-claque-la-porte-6177897.html
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